La mauvaise foi, ça rend moche et gluant


OS
ft. Melchior



            

/!/ TW : manipulation verbale, chantage affectif, relations abusives.
L'OS est du point de vue de Rara donc c'est pas mal "à vif". Le but de l'OS est notamment de parler des mécaniques que Raol utilise pour influencer les autres, que ce soit conscient ou non.
Evidemment, même si Raol ne sait pas toujours ce qu'iel fait, iel a un comportement immonde que je ne cautionne pas du tout.


De l’extérieur et même à l’intérieur, rien n’a bougé dans la boutique. J’aime ce magasin. Même si je préférais l’ancien. J’aime son grand comptoir de bois et ses petites fenêtres colorées au bord desquelles j’ai fait pousser quelques fleurs. J’aime l’arrière boutique et ses nombreux placards et rangements, ainsi que la grande table qu’on avait fait faire sur mesure. Aujourd’hui le me retrouve dans l’entrebâillement de notre boutique avec une sensation étrange qui me tord le ventre. Comme si je ne devrais pas être là. Mais je ne dois pas la laisser me contrôler.

« C’est moi. »

Forçant un contrôle malaisé dans sa voix et son état déplorable, Raol entra à pas précautionneux dans le magasin un peu avant l’ouverture. Iel ne vit personne dans la pièce principal et se mit donc à la recherche de son collaborateur.

« Melchior ? Tu es là ? »

Je contrôle la situation. Il ne va rien arriver. Je pourrais m’excuser puis Melchior oubliera et ce sera fini… pas vrai ?

Iel entendit du bruit dans l’arrière boutique et sentir sa poitrine se serrer sous le coup de l’appréhension. Anxieux.se, iel porta ses doigts sur le pansement placé sur la joue, là où Evergarden l’avait griffé l’autre soir. Ça lea grattait, en plus de cicatriser mal. Si ce n’est pas Melchior, d’autres personnes lui avaient bien fait fermer son clapet, à la fête.

Calmes toi. Ne recommence pas à paniquer. Tu n’as rien à te reprocher. Ce sont des choses qui arrivent, dans une relation.

Après leurs dernière échanges à la suite de la grande foire, le magasin était resté fermé quelques jours. Même si Raol essayait de se convaincre du contraire, il était évident que les joallier.e.s ne pourraient pas faire comme si ne rien était. Plus maintenant. Une la ligne avait été franchie, à force de s’aventurer aux limites de la décence et vers l’abus relationnel. Même Raol l’avait compris, au fond. Iel ne voulait pas se l’avouer, évidemment, mais sa manière de traiter les autres commençait à déclencher des réactions d’impatience et de lassitude de plus en plus virulentes.

Mais je… ce n’est pas ma faute. On a rien demandé. Il ne peut pas me reprocher de mal vivre cette cohabitation insupportable !

L’idée que Melchior s’y habitue et pas ellui, ça lae rendait extrêmement nerveux.se ; tout comme l’idée qu’il y a peut-être d’autres manières que la haine, la généralisation, le rejet et la violence pour se préserver par les temps qui courent.

« Je suis là. »

Merde.

La grenouille retint son souffle en voyant le gobelin, traits tirés et yeux cernés, sortir de l’arrière boutique. Son ton était froid et son regard plein de pitié et de reproche. Raol serra le poing, sentant que tout cela lui était destiné à juste titre. Iel se sentit comme menacé par sa propre vulnérabilité face à la fermeté dont faisait preuve le gobelin. Ce dernier ne lea regardait même pas.

Il attend que je… bon sang.

« Je suis… je suis désolé.e pour l’autre fois. »

En serrant les dents, Raol sentit sa gorge se serrer. Iel avait presque mal à force de ruminer en permanence. Iel déglutit difficilement, attendant la réaction et le pardon de l’autre, qui ne vint pas.

Qu’est-ce qui lui faut de plus ?!

« Hé, tu me pardonnes, pas vrai ? Il n’y a pas de problèmes, hein ? Je veux dire, on se connaît depuis longtemps, tu sais que je- »

Mell échappa un puissant soupir et posa bruyamment une boite de fourniture sur le comptoir,  interrompant Raol au milieu de son baratin culpabilisant.

Quoi ? C’est quoi ce regard ? Il est encore fâché ? Mais je me suis excusé !

« Tu sais qu-que… que t’vas pas t’en sortir comme ça, cette fois, hein ? »

M’en sortir ? De quoi ? Je n’ai pas commis un crime, que je sache ! Pas cette fois… je veux bien qu’il panique et se mette dans tous ses états pour un VRAI crime, évidemment. Mais là, je trouve qu’il en fait tout un plat pour rien.

Un sourire nerveux apparut sur les lèvres de l’animorphe. Son cœur battait de plus en plus fort sous le coup du malaise. Probablement que Melchior se sentait plus mal encore.

« De quoi tu parles ? Je viens de dire que j’étais désolé d’avoir été franc et que cela ait heurté des sentiments. Tu voulais juste aller t’amuser, après tout, pas vrai ? »

Ce n’est pas moi, le méchant, dans cette histoire. Il va falloir qu’il finisse par l’admettre.

Un silence.

« Bon. C’est réglé ? »

Rajouta Raol sans chercher à comprendre l’agacement de son collègue qui ne jugeait pas utile de répondre, à juste raison. Iel pensait réellement qu’à force d’insister sur le fait que l’incident est clos et que tout pardonné, cela finira par passer. Pas cette fois, apparemment. Appuyé sur la table, Mell inspira et commença à trembler de frustration. Ses doigts se mirent à serrer le bois avec force. Serrant les dents, le gobelin perdait patience et ne tarda pas à élever le ton.

« Non, c’pas « réglé » ! »
« Oh, ça va, pas la peine de t’énerver... »

Je suis calme, moi… je suis parfaitement calme. J’ai le contrôle.

Melchior eut très envie de frapper la grenouille au visage mais il tremblait trop de colère pour faire le moindre geste. A la place, il s’appuya contre le bois et enfouit son visage dans ses mains, se massant les tempes pour ne pas partir en vrille tout de suite. Un silence des plus glacial s’installa dans le magasin et déjà, le gobelin semblait regretter ses paroles et s’en aller vers une certaine lassitude qui lui donnait envie de juste remettre cette conversation à plus tard.

« Bordel, tu fais chier… »

Raol est fort.e pour renvoyer la faute sur les autres. Pour se faire passer pour la victime. Probablement parce qu’au fond, iel sait très bien ce que son comportement toxique fait aux autres.

Quand on ne veux pas assumer d’être coupable, le plus facile, c’est toujours de renvoyer sa culpabilité sur d’autres personnes vulnérables. Sur des personnes qui sentiront coupables à sa place, plus longtemps, qui présenteront leurs excuses, qui lui pardonneront dans leur lassitude, qui feront le travail émotionnel à sa place. Des personnes comme Melchior ou comme Natsume. Qui sont trop patientes pour leur propre bien et qui ont l’habitude qu’on leur dise que c’est leur faute. Iels ont besoin de se sentir utiles, ont tendance à se sentir responsables des autres. Ce sont des personnes qui ne l’ont pas eu facile : elles ont subi des discriminations de la société pour leur espèce, leur genre, leur famille, leur santé et aujourd’hui, parce qu’elles sont eossien.ne.s. Par conséquent, elles cherchent à être validé plus fort que d’autres et prendront un signe de sympathie ordinaire pour une preuve de respect plus forte que celui qu’ils ont eu l’habitude d’avoir.

Tout ça… Raol l’a vécu quotidiennement pendant presque 30 ans. C’est comme ça qu’iel a été élevé, qu’on a ignoré ses limites, qu’on a abusé d’ellui. Iel ne le supporte pas de devoir vivre avec ce qui lui est arrivé. De se dire qu’il lui faut se soigner, admettre ces blessures purulentes. Mais iel ne veut pas. Iel refuse de se montrer faible, alors qu’on lui a toujours dit de rester digne et fort.e. Si les autres ont souffert comme ellui, arrivent à vivre normalement ou à mettre un « stop » clair, alors, ça lea fait se sentir pathétique. C’est comme si ses blessures n’existaient pas car d’autres en avaient des semblables et s’en sortaient mieux. Comme s’iel n’avait plus aucune espèce d’importance. Était perdu.e pour de bon.

Moi, j’ai survécu à tout ça. Je me suis battu. Ce n’est pas ma faute… mes parents m’ont toujours traité.e comme ça... et alors ?! Moi, je ne viens pas pleurer à la moindre petite attaque personnelle ! Je me défends ! Je prends le contrôle ! Tant pis si ça lui déplaît. Ce n’est pas comme ça que je suis fait.e. Pas comme ça qu’on m’a elevé.e.

« Sois meilleur.e que les autres si tu ne veux pas être remplacé.e. »
« Ne te plains pas. Ce n’est pas en pleurant sur la moindre petite chose que tu avanceras. »
« Personne ne veut de quelqu’un qui s’écrase. Personne ne veut de quelqu’un de faible comme tu peux l’être. »
« Tu vois bien, que cette fille te manipule. Elle te fragilise. »


Pour tout le mal que ces paroles lui ont fait, Raol ne pouvait pas s’en passer. Iel se sentait perdu.e, sans elles. Sans elles, il faudrait admettre ses tords, admettre qu’iel souffre et que c’est ça, qui lea fait maltraiter tout ce qui n’est pas ellui.

Raol se mit à trembler. Iel avait la nausée mais s’efforça de l’ignorer. Melchior n’avait pas parlé depuis un petit moment et donc, l’animorphe assuma que son collègue avait jeté l’éponge. Tandis qu’iel s’en allait vers l’arrière boutique, le gobelin se remit à parler.

« J’ai pris une décision. »

La grenouille retint son souffle et se retourna vers l’autre. Cette « décision » n’avait pas l’air simple à annoncer. Quelque chose disait à Raol qu’iel n’allait pas vraiment apprécier la suite.

« J’crois… qu’c’est mieux si on arrête de travailler ensemble. »
« Pardon ? »


C’est une blague, là. Il ne pense pas ce qu’il dit. C’est Mell, il est bien trop mou pour… Et si… je ne sais pas.

Le gobelin avait l’air sérieux et tout trace de sourire incrédule disparut du visage de Raol quand l’autre reprit la parole. Melchior perdait patience et tapotait frénétiquement des doigts sur le comptoir pour garder un semblant de self-control.

« Je veux plus bosser avec toi, t’as pas compris ? »

La grenouille n’allait sûrement pas prendre son collègue au sérieux. Iel roula des yeux et se rapprocha, l’air faussement compatissant, mais le timbre hautain.

« T’es en train de mélanger le travail et le privé, là, Mell… sois un peu mature pour une fois. »

Les yeux du joallier à la peau violette s’écarquillèrent lorsque Raol eut l’audace de lui reprocher son manque de maturité. A ce train là, la rainette ne faisait que sortir des termes qu’iel savait capables de heurter personnellement son interlocuteur. Peu importe si cela ne faisait pas sens où était complètement hypocrite.

« « Mature », c’est ça, ouais ! »

Le Straum serra les dents et aurait pu siffler de la fumée par les narines. Les gestes plus frénétiques que d’habitudes et nerveux, il jure plusieurs fois de manière très fleurie pui empila sa paperasse et ses outils pour s’empêcher de regarder le visage de lea plus âgé : c’est qu’il n’a pas envie que cette envie grandissante de frapper Raol revienne.

« De toute façon, je m’en fous, j’en ai ma claque et c’est décidé ! »

Oh, alors, c’est comme ça. « Tais-toi, c’est moi qui l’ait dit alors c’est comme ça » ?! Ah, bravo… quel courage.

La grenouille sentit qu’elle se mettait à trembler à son tour. Elle se sentait mal, avait le vertige, comme si tout était fini. Quelque chose était en train de se briser entre ellui et son ancien ami.

Ah, oui. On était ami.e.s… avant. Il y a longtemps.

« Vraiment ? Ça t’aurait gêné, de m’en parler avant ? »

Cette fois, ce fut à Melchior de pouffer de rire sous le coup de sa frustration. Il se frotta le front entre deux gloussements nerveux, à bout de patience.

« Ah, j’me demande pourquoi je ne l’ai pas fait tiens… ! »

Oh, c’est ça,fais de l’ironie. Je peux faire de l’ironie aussi, figures-toi. Mais j’ai passé l’âge d’en faire pendant une discussion sérieuse entre adultes !

« Après tout ce que j’ai fait pour toi, c’était la moindre des choses si ta personne est capable d’un minimum de respect ?! »
« Mais je te dois rien ! »


Oh, Raol n’ignorait pas la vérité sur son collègue. Melchior était une des personnes les plus gentilles et saines qu’iel connaissait. C’était totalement insensé, qu’il puisse, tout d’un coup, dépasser les bornes et traiter mal son entourage comme Raol le faisait si souvent. Mais le but de lea Zeteki, ce n’était plus les faits, ce n’était plus la vérité. C’était de les manipuler afin d’obtenir ce qu’iel voulait. C’est pour ça que malgré les nombreux « stop » que lui mettait son collègue prêt à sortir de la boutique, Raol continuait de trouver d’autres choses pour le faire craquer.

« Enfin, j’ai compris. De toute façon, c’est vrai que je n’ai pas assez de merdes sur le dos, déjà, hein. Quand je pense au fait que je vais devoir annoncer ça à Ziyal... Maintenant-- »

Plutôt que continuer de débattre avec le chantage affectif que lui faisait Raol, Melchior fit le choix le plus sain pour lui de sortir de la boutique en claquant la porte, déclarant qu’il reviendrait pour l’ouverture.

Avec ça, Raol finit par comprendre que cette fois-ci, iel ne servait à rien de continuer à forcer. C’était un point de non-retour. Melchior avait fait une coupure. Au moins, dans sa tête, comme elle n’était pas encore effective physiquement. Et Raol était assez malin.e pour réaliser qu’iel ne pouvait probablement rien faire contre ça. Parce que… Melchior n’est pas le seul en en avoir eu marre récemment, pas vrai ? Iel s’acharnait sur Melchior car iel le connaissait assez pour faire jouer sa corde sensible, mais, sinon, les réactions lassées du gobelin n’étaient pas les seules oppositions fermes que la grenouille a rencontrées depuis le début de ce mois chaotique.

Dans l’absolu, lea Zeteki ne savait pas ce qu’iel allait faire et se contenta de s’asseoir pour se calmer et espérer que ses tremblement se calment, que sa tête cesse de lui tourner. Évidemment, iel pouvait ouvrir son propre magasin. Ce serait certainement comme ça que ça se passerait, après des négociations. Raol pouvait être pragmatique, car n’était pas le côté pratique, qui le mettait si mal à l’aise. Simplement… il y avait cette impression un peu trop familière que tout va s’effondrer. Que surtout, c’est ellui qui va tomber et réaliser qu’iel n’est pas assez fort.e pour supporter ce qui se passe depuis le réveil. Qu’iel a abusé des gens, qu’iel a commis un crime. Qu’iel se retrouvera seul.e face à ça et ne pourra s’en prendre qu’à ellui-même.

Non, non. Peu importe. Ça ira. Je ne vais pas craquer à nouveau, pas comme l’autre soir. Pas comme avec Gabryel qui--

En plus, il n’y a pas que lui. Raol ne veut même pas penser à Judith ou à Basmath dans un moment pareil. Et si sur certaines choses, le général avait eu raison ?

Non, non, non ! Il voulait juste… il se fout bien de moi ! Il avait juste envie de m’emmerder ! Je ne l’ai pas choisi, lui, pour pleurer ! Il était juste…

Il était là.


L’espace d’un instant, ses gestes, ses mots, avaient touché Raol. Lui avait fait penser qu’il y avait peut-être quelque part ou iel pouvait… faire confiance ? Être en sécurité ? Les choses seraient-elles différentes, si Raol avait seulement le cran d’accepter que tout le monde, même les personnes qui essaient, ne sont pas un danger à éloigner ?

Pourquoi… pourquoi est-ce que j’ai fui ? Pourquoi j’oblige les gens à me détester pour m’enfuir plus facilement ? Ce n’est pas comme ça…

Ce n’est pas comme ça qu’iel évitera l’effondrement.

« Il faut… il faut que j’aille travailler. »

La main tremblante et sans se rendre compte qu’iel parlait à voix haute, la grenouille se rapprocha de son plan de travail dans l’arrière boutique pour se mettre sur son ouvrage.

« Si je fais ça, je... »

Sa voix était presque inaudible tandit qu’iel maniait ses outils.

« Ça… ça devrait aller. »

Il faudra bien. Je n’ai pas le choix.

Ça a été. Ça a toujours été, depuis qu’Akiya est mort.e. Ça allait mieux. Je pensais que ça allait mieux. Je pensais que maintenant qu’iel n’était plus là, je… tout irait bien. Je ne pleurais plus. J’avais le temps pour mon travail. Surtout pour mon travail. Pour Melchior, pour Natsume, j’avais même d’autres ami.e.s, à l’époque. J’arrivais même à m’occuper de Ziyal, qui en avait plus besoin que moi. Ça ira. Je n’ai besoin de personne. Je ne suis toujours débrouillé.e par moi-même pour avancer. Je n’ai pas besoin de Melchior. Tant pis pour lui. Je me fiche de ce qui peut lui arriver, maintenant, si c’est ce qu’il a choisi. Ce sera peut-être mieux, même !

Akiya n’avait pas tord sur tout. Finalement, on ne peut vraiment compter sur personne et on peut très bien remplacer les gens.


« Surtout celleux qui, au final, ne sont même pas loyaux envers leur concitoyen.ne.s. »