Intrigue n°1 : Braises & Rancunes

Les rues de la Ville-Haute n'ont jamais été si vivantes. Colorées, abondantes, bourdonnantes de vie, de rires et d'engouement. L'on danse sur les places, entre les croisements, l'on saisit son voisin pour l'inviter à boire de la même coupe. Le quartier des nobles, d'ordinaire si calme, silencieux, distingué, s'anime, vit, clame, comme pris d'un seul et même chant d'allégresse. Du haut des balustrades fleuries des demeures richement décorées, l'on lance des grains de riz et l'on encourage les saltimbanques éparpillés entre les rues. Le son des instruments s'accorde, grandit, se différencient pour mieux se rejoindre dans des mélopées claires et joyeuses. L'on distribue de la nourriture à tour de bras, des fruits colorés à l’enivrante odeur sucrée, de généreuses assiettes de viandes, de fromages et de légumes savamment rôtis dans des épices de la plus haute qualité.
Exceptionnellement, les grands escaliers menant au quartier des cimes ont été richement décorés, parés des plus belles fleurs d'Yggdrasil ; ses marches se sont vus agrémentées de somptueux vitraux de Caldissia, et dès lors que les regards s'aventurent entre les hauteurs des maisons, de majestueuses tapisseries altissiennes captivent les yeux de par les aventures et légendes qu'elles racontent. Jamais, de souvenir humain, une telle démonstration d'opulence et de générosité n'avait eu lieu sur tout le continent. Les disettes et les famines pourtant si peu lointaines ne semblent plus être qu'une réminiscence informelle d'un temps maintenant dépassé.

Les soldats d'argent et d'or marchent en rythme d'un même pas, devancés par les chevaliers de rouge et de bleu. Les acclamations les suivent sans jamais se tarir : on leur jette des gerbes de fleur, on les applaudit à tour de bras. Leurs bannières flottent vaguement au vent, les unes à côté des autres, emmêlées, croisées sans jamais s'affronter. La parade traverse Yggdrasil depuis une heure maintenant, s'acheminant enfin jusqu'à la Place Sacrée. Les grands mammouths d'Altis ralentissent leur pas, tandis que les aigles ambrés de Caldis freinent leur vol pour se poser de part et d'autre de l'estrade.

Le pas lourd et pesé, Hincmar et Adélaïde s'avancent. Leurs mouvements sont coordonnés, synchrones, travaillés. Peu à peu, le silence se fait autour de la place : l'on retient son souffle, comme interdit par cette image qui aurait pu sembler tiré d'un songe il y a pourtant si peu de temps. L'on pense aux désastres, aux morts, aux famines qui ont précédé cet événement et qui semblent bientôt être ensevelis sous le temps. Une année, pourtant, s'est écoulée. Une année de Paix, sans guerre, sans batailles, sans villages dévastés, sans commerçants attaqués, sans disettes, sans augmentation du prix du blé. De toute l'histoire d'Elysia, ça ne s'était jamais connu. Alors on espère. On croit, enfin, qu'il est possible de passer à autre chose, à une alliance prospère et fertile pour le bien-être de tous. Que les forces combinées de l'Empire et du Royaume permettront de trouver l'Artefact et mettre fin à toutes les misères humaines ; éradiquer les maladies, les sécheresses, ramener la fertilité dans les terres dévastées par la guerre.

L'espoir croît dans chacun de leurs pas qui, inexorablement, se rapprochent. Bientôt, le silence total englobe toute la place. La main gauche d'Adélaïde et la main droite d'Hincmar enserrent lentement la coupe de vin posée sur l'autel au centre de l'estrade. D'un seul geste, les deux souverains l'élèvent et la portent à leurs lèvres, sans que leurs regards ne se quittent.
La coupe tombe, soudainement, vivement, en même temps que les corps des deux souverains, foudroyés. Le métal claque contre le sol dans un son aigu. Des exhalations horrifiées se font entendre de part et d'autre. Sur l'instant, personne n'ose y croire, mais les deux dirigeants ne se relèvent pas. Immédiatement, les diplomates de chaque pays accourent, pressant leurs seigneur-lige de montrer le moindre signe de vie.


La musique a cessé, l'on ne danse plus, l'on ne rit plus, l'on ne célèbre plus. Des murmures stupéfaits et craintifs s'élèvent vite comme un même long cri de peur alors que les soldats, dans des exclamations puissantes, cernent la place, empêchant quiconque de s'éloigner.
Il est trop tard, toutefois. L'Impératrice et le Roi sont morts.

Et voici la toute première intrigue d'Yggdrasil : Braises & Rancunes ! Le forum commence sous un ton particulièrement fort ; lors de la parade de Commémoration du premier anniversaire de la Paix, le 5 mars 1001, l'impératrice d'Altissia et le roi de Caldissia meurent au même moment.
Au terme de la parade fastueuse et somptueuse censée célébrer le renouveau d'une Elysia débarrassée de sa guerre millénaire et de la découverte d'Yggdrasil, les souverains se sont rendus, guidés par l'armée, jusqu'à la Place Sacrée de la Ville-Haute, bondée de monde. Ici, ils devaient partager la même coupe de vin pour signifier la fin des conflits entre eux. Pourtant, à peine eurent-ils commencés à boire qu'ils s'écroulèrent instantanément, morts.
À partir de ce moment, ce fut le chaos. Les soldats bouclèrent le quartier pour s'assurer que personne ne put s'échapper, arrêtèrent les personnes suspectes et procédèrent à des fouilles minutieuses dans la plupart des bâtiments. Aucun indice, ni suspect crédible, ne fut trouvé. Les festivités s'arrêtèrent immédiatement, plongeant la ville dans une ambiance morne et tendue.


- De chaque côté, les accusations fusent. Pourtant, ce sont bien les deux souverains qui se sont écroulés ; voilà donc pourquoi le regard se pose sur les Éossiens, seuls apparemment avantagés par cette tournure de la situation. Ils sont soumis à une scrutation plus intense que d'ordinaire.
- En attendant, les tensions entre Altissiens et Caldissiens sont remontés en flèche : beaucoup craignent que ces décès simultanés signifient la reprise de la guerre. Des bagarres et disputes ont déjà éclaté dans le centre-ville, quand bien même l'armée se montre sévère sur les punitions.
- Un couvre-feu a été mis en place. Pendant les 15 prochains jours, personne n'a le droit de se trouver dehors passé minuit.
- La mort des deux souverains a plongé Altissia et Caldissia dans un véritable bourbier politique. Gaston et Camélia, les deux héritiers respectifs, devraient prendre leurs fonctions dans un mois, passé le temps de deuil.