We're out all night to get shitty
Avec Olaf et Martin
◊ Théodule sort faire la bringue ! ◊

◊ TW : Ils sont très bourrés. ◊

« Bon, tu bouges tes fesses de ce bureau, oui ou-- »

Je sursaute sur ma chaise surélevée lorsqu’Olaf fait irruption dans mon bureau sans même frapper ! J’ai mis de l’encre partout, quel abruti, ce militaire sans manières… ne vous méprenez pas, je n’ai jamais dit que je n’aimais pas mon frère, mais il a du mal à comprendre que je ne suis pas un tire-au-flanc, contrairement à lui. Jurant de manière fleurie en essayant de nettoyer l’encra que j’ai éparpillé sur mon parchemin et le bois, je lance un regard noir à mon frère cadet.

« Bonjour, déjà ?! Es-tu obligé d’être aussi grossier ? Est-ce que c’est toi aussi qui va me recopier toute ma lettre ?! »


Olaf hausse les épaules et roule des yeux. Il ne comprend vraiment rien à l’importance de mon travail ! Si je suis coincé dans ce bureau depuis plus de 8h sans pause, c’est bien que j’ai de bonnes raisons de le faire et ça, il ne veut pas comprendre car il dit toujours que mon métier de gratte papier ne l’intéresse pas… enfin, il sous-entend qu’il aimerait mieux qu’on rattrape le temps perdu en parlant plus à cœur ouvert. Mais une fois de plus, je ne suis pas aussi décomplexé et impudique que lui !!

« Bah, tu referas ça avec ta magie, arrêtes de te compliquer la vie, aussi... »

Je grogne et ouvre la bouche pour répliquer mais… ce n’est pas bête, ce qu’il me suggère. Mais enfin, je ne veux pas qu’on pense que je suis un flemmard qui se cache derrière des solutions faciles ! Enfin, si personne ne sait… Ah ! Olaf a déjà une mauvaise influence sur moi, je vais devenir un tire-au-flanc.

« B-bref, tu pourrais frapper avant d’entrer, quand même.. »

Fronçant les sourcils, le capitaine m’observe, blasé.

« Bah, j’ai frappé, je suis pas complètement teubé. Mais t’as pas répondu donc j’suis entré, car j’arrive pas à capter ton attention autrement. »

Oh. Eh bien oui, je travaillais, en somme, évidemment que je… je renifle bruyamment en me mettant à l’aise dans mon siège. J’ai mal à la nuque, je crois que cela fait un moment que je travaille, déjà… quelle heure est-il ?

« Aller, viens prendre une pause avec nous, on va à la taverne. »

Ce ne sera pas la première fois qu’Olaf m’entraîne dans un de ses établissement préférés. Il veut vraiment qu’on copine, je crois… je ne suis pas contre, c’est juste que je n’ai pas le temps. Je n’ai jamais le temps. C’est bien ce qu’il me reproche, d’ailleurs, que je n’ai pas de temps car je ne voudrais pas en prendre… balivernes, c’est juste que je n’ai, bah, euh, pas le temps, je sais que j’insiste mais c’est la vérité !

« ... « Nous » ? C’est qui « nous » ? »

Voilà que mon attention est attirée par autre chose. D’habitude ce n’est que moi et Olaf… peut-être que le militaire veut me présenter quelqu’un ? Je ne sais pas trop si je suis curieux ou un peu méfiant, à l’idée que mon interlocuteur ne soit pas dérangé de me proposer de venir avec lui et ses amis. En fait, je me sens un peu touché. Je ne suis pas vraiment le genre qu’on présente aux potes, généralement, pour des raisons qui m’échappent, je n’ai pas l’impression que les gens m’aiment beaucoup. Je me fiche bien de leur avis, évidemment.

« Un pote qu’est de passage. Pourriez bien vous entendre car il est grave coincé du bulbe aussi et il pense qu’à son taff. »
« Je ne suis pas « coincé du bulbe » !! »


Enfin, si, je crois que si, mais moi j’ai le droit de le dire… pas lui ! Et qu’est-ce qu’il a à me présenter des amis à lui, hein, qu’est-ce qu’il va s’imaginer, que j’ai besoin de rencontrer des gens, hein ?! Tss ! Bon, on verra bien, si c’est un ami d’Olaf, il ne peut pas être pire, après tout… j’imagine ?

Je passe ma cape sur mes épaules, prend le temps de ranger mon bureau sous les soupirs exaspérés de mon petit frère, puis sors de la maison à sa suite. Je me demande où est encore passé Aeden ce soir, comme il n’est pas dans le jardin… j’aurais aimé lui laisser un mot, mais il a encore du mal à lire malgré ce que j’essaie de lui apprendre. Je crois qu’apprendre à lire est un peu le cadet de ses soucis, après ce qu’il a vécu, mais… bon, j’ai pas envie de laisser ce pauvre gamin livré à lui-même alors je fais ce que je peux pour lui, donc, des trucs d’intellos. C’est pas moi qui pourrait lui apprendre à se battre ou autre chose… si je demandais à Olaf… ? Il se débrouillerait certainement mieux que moi.

Je suis plongé dans mes pensées tandis que j’ouvre le portail. Je sursaute en voyant l’invité d’Olaf dont le visage crispé, le menton mal rasé, la taille de razibus, l'armure trop brillante et les cheveux blonds me sont un peu trop familiers.

« Ahh ! Mais qu’est-ce que--- qu’est-ce qu’y fout là, lui ?! »

Martin Hildawagner ?! C’est LUI, le pote d’Olaf ?! Mais c’est une blague !

Le blondin a les bras croisés et son éternel regard qui me juge. Tss. On dirait qu’il n’a pas changé, en 20 ans ! Contrairement à moi, haha ! Enfin, je crois ? Pff. Martin ne répond pas et souffle juste du nez en regardait ailleurs. Ah, je la sens bien cette soirée… mon regard se reporte sur la mine confuse de mon frère. Voyant que je l’accuse du regard, Olaf s’insurge en reniflant de manière sonore.

« Eh ! C’est quoi ce regard ?! Vous vous connaissez, tous les deux ? »

Je regarde mes ongles bien manucurés et renifle à mon tour, dans un mimique très semblable à celle de mon frère.

« Malheureusement, oui. Et je ne pensais pas avoir à le re-croiser. »

Fis-je, dans un soupir des plus condescendants. Les mains sur les hanches, le nain aux cheveux noirs regarde désormais Martin.

« ...Pourquoi tu m’as rien dit ? »

Le blond grogne à nouveau et hausse les épaules.

« Bah, je savais pas que Griffe avait changé son nom, moi. C’est toi qui m’a embrouillé ! »
« Oh, eh, ça va être ma faute, en plus, si vous avez des trucs pas rangés entre vous ?! »


Eh bien, euh… OUI. Car c’est lui qui nous a fait nous recroiser ! C’est une malédiction, je ne veux assumer aucune responsabilité dans cette histoire… d’autant plus que… que c’est moi qui était malmené par Hildawagner, au monastère. Mais bon, ça, Olaf n’en sait rien. Car il n’est absolument pas au courrant de ce qui s’est passé pour moi à cette époque. J’emporterais bien des secrets dans ma tombe… Il n’a pas besoin de savoir mon histoire avec Balthazar, c’est honteux !

« Boooon, aller, haut les coeurs, on va boire et après vous me raconterez vos histoires croustillantes, héhéhé ! »

Hah ! Il peut rêver s’il croit que quelques verres suffiront à me faire parler ! Martin boude autant que moi… mon frère va regretter de nous avoir entrainés là-dedans. Mais je ne serais pas le premier à craquer et à m’en aller comme un lâche. Ce sera Hildawagner qui se lassera et devra fuir devant mon charisme et ma patience infinie ! En une dizaine de minutes, nous avons gagné une taverne et Olaf est parti chercher des pintes en discutant avec l’aubergiste. Impassible, je me tiens en face de Martin et le fixe, espérant qu’il détourne le regard. Il se prend au jeu et me lorgne en retour, toujours avec cet air de… de… il ressemble à rien ce petit merdeux blond de 40 ans, voila !





C’est long.
Je veux partir d’ici. Je déteste ça.

Je prends sur moi. La minute qui suit me semble interminable tant l’ambiance devient gênante et tendue.

« Euh... »

J’ai cru avoir la berlue quand Martin s’est finalement adressé à moi. Qu’est-ce qu’il va me dire ? Des excuses ?! Tss… je suis passé à autre chose, c’est un peu tard ! Enfin, bon, qu’il essaye, hein. Il verra que je n’ai pas que ça a faire qu’écouter ses simagrées.

« La vie t’a plutôt bien réussi on dirait. »

...Hein. Quoi ? Est-ce qu’il essaye de m’amadouer par de vains compliments ? Évidemment que la vie m’a réussi, c’est évident ! Me crispant légèrement, j’arque un sourcil.

« Oui, parce que j’ai travaillé pendant plus de 20 ans pour ce résultat. »

Je réponds, froidement. Martin est impassible et ne semble pas impressionné. Je saute sur l’occasion pour le prendre de haut, sans trop me gêner. J’ai bien droit à une petite vengeance, non ? Non, vous trouvez ça nul et immature ? Eh bah… bah, euh, tant pis.

« Et toi, alors ? Peux-tu en dire autant ? »

Le blond m’offre un regard blasé.

« Tu veux vraiment qu’on fasse un concours de qui a la plus grosse ? »

Quelle grossièreté ! Tous les mêmes, ces militaires ! Et puis, je m’en fiche d’abord. Et puis c’est lui qui faisait ça y’a… y’a 20 ans, quand… urgh. Comment ose-t-il me faire me sentir aussi ridicule.

« Ah, donc, tu vois, être pris de haut pendant des années, c’est frustrant, hein, hein ?! »

Il émet un « roooooh » exaspéré et lève les yeux au ciel. Bon, d’accord, je suis ridicule. Je le vois dans son regard. J’ai… peut-être un peu honte… mais c’est lui qui devrait avoir honte !

« Toujours cul et chemise avec Edenweiss… ? Ton ami est cardinal, maintenant, ça doit être pratique, hein... »

Oh, je le déteste, lui aussi. Je les hais tous les deux. Je m’attendais à ce qu’Hildawagner réagisse et s’énerve, cède à la provocation, mais je ne vois qu’une ombre passer sur son visage. Je me rends compte à ce moment là qu’Olaf est revenu et nous observe avec des yeux ronds en mangeait ses cacahuètes, visiblement fasciné par nos échanges. En voyant que Martin a soudain l’air de faire la tête, néanmoins, mon frère prend prestement la parole.

« Ouais, euh, c’est pas que vos vieilles querelles m’intéressent pas, hein, au contraire mais… Martin, t’avais promis qu’on parlerait pas de ton ex ce soir. »

Je venais de porter ma pinte à mes lèvres mais j’ai tout de suite recraché mon début de gorgée. Est-ce que j’ai bien entendu ?! Martin est… Edenweiss est… ils étaient… ? Mais… mais…

BEEEEEEEEEEEERK.

« Que-- quoi ?! C’est quoi ces histoires, encore ? Arrêtes de me faire marcher ! »

Martin roule des yeux et se penche sur son verre de bière.

« Ouais, moi aussi j’aimerais bien que ce soit des histoires. »

Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis confus. Je crois que je vais avoir besoin de boire pour être moins déboussolé. Ne posez pas de questions.

« Quoi ? T’as un problème dont tu voudrais nous faire part Théo ? »

Je regarde complètement ailleurs. Ne parlez pas de moi dans une telle situation, je-- je-- ! Je suis à deux doigts de crier que, évidemment, j’aime les femmes et que je n’ai absolument RIEN mais alors RIEN en commun avec Martin et son histoire avec Helmut. Mais, je ne dis rien. Je vois déjà dans le regard des deux militaires qu’ils n’hésiteraient pas à me mettre des baffes si je prononçais le fond de ma pensée.

« Euh… absolument pas ! Je suis juste… surpris que, Hildawagner, tu sois… de ce… de ce bord. »

Les deux soldats se regardèrent. Puis m’observèrent. Je pouvais clairement voir des « est-ce qu’on lui dit qu’il est vraiment très con ? » s’écrire dans les regards qu’ils m’adressaient. Mais enfin… on a plus le droit d’être surpris, maintenant ? Tandis que je me sens me ratatiner sur ma chaise, je vois la malice investir les iris noirs de mon frère et je n’aime pas ça du tout.

« Ouais, eh bah, tu sais qu’il est pas le seul, hein. »

QUOI ! Comment… ? Mais comment est-il au courant ?! Oh non… non… il ne doit pas savoir, s’il le sait, cette commère va tout raconter à tout le monde.

« Mais… mais, mais je ne suis pas du tout… ohohoho, si tu savais, je ne suis pas... »

Alors que je nie en bloc, Olaf et Martin se mordent l’intérieur des joues pour ne pas rire.

« Théo. »

Olaf appelle mon prénom pour détourner mon attention, qu’est-ce qu’il va encore insinuer, hein ? Je ne suis pas si transparent qu’il a l’air de le penser !

« QUOI ?! »
« Je parlais de moi. »




Ah. Oh. Ah. Oh bah alors tout va bien, c’est… attends, quoi ?! Mais je… je croyais être le seul… je baisse la tête et commence à avaler une bonne moitié de ma pinte d’un coup, pour dissimuler l’affreux rougissement qui s’est emparé de mon visage.

« Mais on peut en parler, hein, si tu veux. »
« Ce… non, non, ça ira. Je n’ai… je n’ai rien à raconter ! Mais, euh, si Marti-- Hildawagner veut parler de son… de son ex, il peut, hein, hahaha ! Aucun problème ! Mais c’est tout de même surprenant, je vous croyais amis, moi ! »


C’est au tour de Martin d’arborer un sourire des plus mesquins. Oh non…

« Amis, ouais. Un peu comme toi avec Balthazar Von Sievert à l’époque. »

Olaf claque ses mains l’une contre l’autre doucement, émettant un « ouuuuuuuh » des plus enthousiastes.

« Oh, par Oros... »

Je finir ma pinte d’un trait et j’en commande une autre. Il va me falloir beaucoup d’alcool pour surmonter cette soirée.

*****


« Aller, on reprend…. Car c’est un…. »
« UN BoooN CamaRaAAaaAAaaadeUH ! »
« Car c’Est un BoooN cAAaaamaraadeUuuuuuh ! »


Oh, je me sens si bien, tout d’un coup ! Chanter avec mes amis, quel plaisir ! Je veux dire à mon frère adoré, que je l’aime ! Et à Hildawagner que je le pardonne, car au fond, nous avons tant en commun et nous sommes tous les protégés d’Oros ! Je veux aller faire la messe avec eux demain ! Oh, euh, oh… demain… ? J’ai du travail pas fini moi… oups ! J’aurais l’air malin si j’ai la gueule de bois pendant le conseil de quartier… c’est pas très sérieux pour un chef de quartier… mais, eh, je m’en fiche, JE SUIS le Chef de Quartier !! Je peux annuler les rassemblements si je veux ! Quel génie !

« Ohalala, les amis, vous êtes formidables… grace à vous je… je peux le dire, maintenant, je suis… h- je suis h- h-hom-homo… BAH VOUS VOYEZ, QUOI ! »
« J’suis fier d’toi mon frèreuh ! »


Il me tape dans le dos et m'envoie par terre sans le vouloir. Olaf et Martin explosent de rire. Le nain m’attrape par l’épaule en m'aidant à me relever et m’ébouriffe avec sa grosse main tandis que je me débats. Le blond, de son côté, se roule par terre en pleurant d’hilarité. Soudain, il se lève et tire le bras d’Olaf ainsi que le mien.

« Hé, hé, j’ai une idée !! On va à la ville haute, on trouve Balthabatard et Helmerde et on va leur CaaaaasssER La GUEULE !! »
« Ouais, je suis CHAUD PATATE ! »

Oh. Ohohoh. Je l’aime bien, en fait, le Martin. Je suis carrément déterminé à aller mordre le cardinal, moi. J’ai déjà failli lui arracher en partie la main au monastère mais je suis prêt à re-tenter l’expérience !

« Euh, mais non, attendez ! »

Zut. Je ne pensais plus à la réalité mais je viens d’avoir un éclair de lucidité. Mais c’est que j’ai une place à garder propre, moi… je ne crois pas tuer des gens haut placés alors que je suis ivre joue vraiment en ma faveur.

« Euh, mais, euh, non, je peux pas faire ça, c’pas bon pour ma carrière-euh ! »

Olaf et Martin lâchent des « bouuuuuuh » avec leurs pouces pointés vers le bas. Hah. Je passe pour le dégonflé de service, maintenant.

« Rooooh, alleeeer, Dudule, aller foutre un gros coup de pied dans l’fion de ton ex et de celui du cardinal, ça vaut quand même bien d’ruiner ta carrière, nan ? Alleeeeeeeez ! Allez viens, on est bien !! »

Olaf a de bon arguments, je dois bien le reconnaître. Et même s’il a du mal à articuler et manque de se vautrer par terre en me faisant signe de les suivre, l’alcool m’aide à considérer ses arguments.

« Ouiiiiii… c’est vraiiii… ça se vaut bien... »

Me voici face à un dilemme… et un des plus cruels. Mon cerveau est complètement embrumé par les effets de toute la bière que j’ai bu et je ne peux absolument pas décider ni peser le pour et le contre. Je fais quelques pas et m’éffrondre contre un banc, le regard perdu dans le vide. Impossible de me décider, c’est dramatique. J’en ai presque les larmes aux yeux.

]b]« J’y arrive paaaaaas ! C’est trop dur ! J’vous adore, hein, mais… mais j’aime aussi mon travail… c’est trop dur d’me d’mander de choisir, c’est… c’est trop injuste ! »[/b]

Et voila, ma voix se met à chevrotter de manière ridicule et je commence à pleurer. C’est de leur faute ! C’est trop difficile, de me demander de faire de choix. Enfin, c’est surtout ma faute d’avoir pris cette 6e pinte, je crois.  

« Roooh, faut pas pleurer, là, Théoooooo ! »

Olaf s’est affalé à côté de moi sur le banc et me colle. Il me tapote la tête avec des « là, là, gentil Théo » comme si j’étais un animal mignon (??). Le fait qu’il me berce ainsi me donne vraiment envie de dormir et je sens que ma tête tombe sur son épaule, pour glisser ensuite vers le banc où je me recroqueville comme un bébé pour m’assoupir. J’ai l’impression qu’Olaf s’endort aussi. Hildawagner est toujours à l’autre bout de la rue et rebrousse chemin pour venir nous secouer comme des poirriers.

« Oh, eh, oh, eh, hein !! Vous endormez pas, faut qu’on aille casser des genoux, j’vous rappelle ! »


Je me cache dans ma cape en grognant.

« Mmmh, mais-euh non, laisses-moi dormir ! J’ai pu envie d’aller tuer Balthazar, j’veux plus voir sa tronche de toute ma vie ! »

Martin perd l’équilibre en essayant de nous remettre sur nos pieds et se retrouve les fesses par terre. Il soupire et s’allonge sur le pavé, l’air hagard.

« Beuh… ça tourne… mais t’as raison… si on les oublie ptet qu’y vont disparaitre… POUF ! Comme ça ! PPPPPOUUUUFFFF ! »

Il fait un gros pet avec la bouche et recommence à se marrer. Olaf fait de même et leurs rires sont contagieux. Si bien que je dois sortir le nez de sous ma cape pour les fustiger entre deux gloussements.

« Roh, vous êtes cons, hein ! J’arrive plus à dormir à cause de vous ! »

Je me lève et titube jusqu’au portail de ma demeure. Olaf et Martin se sont remis à chanter des chansons paillardes en me suivant, bras dessus bras dessous. Je n’ai même pas pu dire quoique ce soit qu’ils sont déjà avachis sur le tapis du salon en train de ronfler. Je n’ai ni le cœur ni l’énergie de les chasser et me contente de les couvrir avec un édredon avant d’aller moi-même m’écraser sur ma couche.  

*****


« Tss… laisses tomber, Théo, ça ne marche pas. »

L’elfe avait réajuste ses grosses lunettes sur son nez et faisait la moue. Comme à chaque fois que quelque chose lui demandait des efforts, il abandonnait au bout d’à peine une heure. Si j’avais été plus malin à l’époque, je l’aurais laissé chouiner et lui aurais mis un bon gros coup de pied au derrière, histoire qu’il comprenne que ce n’est certainement pas en se plaignant qu’il parviendrait à lancer un sort un jour. Si j’avais reussi à maitriser mes premiers sorts d’attaque, ce n’était certainement pas car j’avais juste lu quelques pages dans un ouvrage générique. La magie demande de la pratique, n’importe quel professeur aurait dit la même chose. Mais Balthazar, lui, il voulait parvenir à apprendre en 15 minutes ce qui m’a pris des années de travail. Quand j’y repense, je trouve ça écœurant, comme raisonnement et je ne comprends pas comment j’avais pu être aussi aveugle.

« Mais… mais non, Balty, tu vas y arriver… essayes encore, tu vas voir. »

Mais il ne m’écoutait plus. Il boudait dans son coin. Et il était très fort pour ne plus répondre juste aux bons moments pour que je pense qu’il était contrarié par ma faute.

J’étais donc retourné travailler mes sorts. J’avais vraiment envie de maitriser Tei, dont l’exécution était très différente de Makaio malgré le fait qu’il s’agissait de deux sorts de protection. Comme cela faisait un bail que je m’exerçais, j’avais fini par faire apparaitre un fin mur translucide devant moi, brillant d’une lueur bien différente de celle habituellement générée par les protections magiques contre les attaques physiques. C’est d’ailleurs à cela que j’avais reconnu Tei. Autant dire que j’étais fou de joie et fier de moi. Je m’étais tourné vers Balthazar avec un sourire ravi, mais il n’était plus là. Je ne l’avais retrouvé qu’au cours de l’après-midi et ne voulait toujours pas m’adresser la parole. Evidemment, son silence me faisait mal au cœur, comme à chaque fois qu’il m’ignorait. Car il m’ignorait souvent. Dès que je réussissais quelque chose, en fait. Alors qu’il aurait très bien pu faire de même, avec un minimum d’efforts.

Il n’y a que quand nous étions seuls qu’il devenait plus supportable, sous prétexte qu’il n’avait pas envie de dormir seul. Là, je pouvais parler un peu plus. Je ne crois pas qu’il m’écoutait vraiment, cela dit.

« J’ai réussi à maitriser Tei, tout à l’heure, au fait ! »
« Hm. C’est bien. »

Sur le moment, je me satisfaisais de ce « c’est bien » indifférent. Je croyais sincèrement que c’était la plus belle preuve d’appréciation qu’il pouvait m’offrir, alors. Evidemment, je me voilais aussi la face quand le moindre mot aimable devait être suivi d’une dose de mépris gratuite.

« Mais bon, c’est normal. Pour toi, c’est facile, tu es un gobelin. C’est pratique, vous êtes doués, avec la magie. »

J’avais beau faire n’importe quoi pour être remarqué, cette discrimination positive finissait toujours par me rattraper. Mon espèce était toujours utilisée pour me réduire, quelque soit la manière employée. Pourtant, je m’endormais quand même dessus. Aujourd’hui, cela dit, je ne regrette pas d’avoir quitté le monastère et les ordres religieux pour de bon. Il n’y avait pas grand-chose de bien pour moi, là-dedans.  


*****


Je me suis réveillé avec le visage de Balthazar encore gravé dans mon esprit et un gout affreux dans la bouche. J’ai aussi fort mal au crâne. Quand est-ce que cet elfe de malheur cessera de parasiter mon cerveau ?! Je crois que je vais réellement abuser de ma position pour annuler la réunion du quartier, aujourd’hui. Je n’ai aucune envie de rendre mon repas en plein discours. Olaf a une mauvaise influence sur moi… voila que je ne vais rien pouvoir faire de productif pendant plusieurs heures, à cause de cette soirée alcoolisée. J’espère que lui et Martin n’ont pas tout cassé en bas.

Encore ébouriffé et avec la sensation qu’une barre de métal me traversait la boite crânienne, je suis descendu pour trouver Olaf aux fourneaux. Hildawagner, lui, était en train de dormir au sol dans une position complètement improbable et avait l’air très heureux ainsi. Y’en a qui ont de la chance de roupiller ainsi le matin… ces militaires, je vous jure… enfin. Olaf m’a préparé du café bien fort et a lui aussi l’air au bout de sa vie, vu la tronche de déterré qu’il tire.

« Bon. C’était sympa hier soir, quand même, nan ? »

Marmonna-t-il en m’envoyant un sourire entre deux gorgées de café silencieuses. Je ne peux m’empêcher de glousser légèrement.

« Ne me fais plus jamais refaire ça. »

Olaf glousse plus fort puis se courbe contre la table de la cuisine en se tenant le crâne, se plaignait que ricaner trop fort lui fait mal à la tête. Toutefois, ce qu’il dit ensuite ne manque pas de me faire ricaner nerveusement.

« Pff. Tu sais très bien que c’est toi qui vas finir par réclamer. »

Hin. C’est ça. Même pas en rêve.