Heartbeat, heartbreak | Judith Yeshua

Basmath descend doucement la pente qui mène à la caverne. Elle avait découvert cet endroit, il y a peu de temps, quand elle patrouillait avec d’autres soldats. C’était vraiment un endroit magnifique, mais le plus important, c’était un des seuls endroits à Yggdrasil ou il y avait du sable. Du vrai sable, comme dans le désert et… Honnêtement, ça la rendait nostalgique. Pouvoir y mettre ses pieds nus, les enfoncer dans celui-ci comme elle faisait avec Judith et Isaac. Quand ils étaient une famille. Quand elle avait une famille.

….............................

Bas’ avait besoin de temps pour elle, loin de tout le monde. Loin de la ville, comme dans le bon vieux temps. Alors elle s’était décidée à aller s’installer, quelques heures, dans le sable pour penser et se laisser bercer par les couleurs des cristaux.

Elle avance vers l’eau, tandis qu’elle regarde le plafond. Pendant un instant, elle pouvait presque oublier toute la merde qu’elle avait vécu durant les dernières années. Presque. La jeune femme ne fait que passer une main dans ses cheveux blancs et rouges, avant de tourner la tête et de voir que quelqu’un était déjà là, assise au bord de l’eau. De longs cheveux blonds très pâles qui lui rappellent terriblement…. Sa petite soeur. Basmath la regarde, pendant une seconde ou deux, avant de secouer la tête, sourcils froncés.

Non, c’est impossible, Judith est… Judith… Est m……

Ses yeux rouges se posent sur une coiffe que la femme assise à quelques mètres devant elle a, a ses cotés. Une coiffe qu’elle ne reconnaît que trop bien, un chapeau qu’elle a vu mille et une fois. C’est le chapeau de Judith. Il n’y en a pas deux comme celui-là, avec ses cheveux blonds et maintenant qu’elle la regarde, sa couleur de p… Non, c’est impossible. Impossible.


« Ju….Judith ? »


D’un pas rapide, la soldate marche pour pouvoir voir la jeune femme sur le sable, par terre. Elle n’y croyait pas. C’était Judith. Vraiment, vraiment, vraiment Judith. Elle reconnaissait ses yeux de couleur bronze, son visage, il n’y en a pas deux comme elle. Sa petite sœur qu’elle adorait tant.

Basmath tombe à genoux, tremblante, bouche-bée. Elle ne sait pas du tout quoi dire, elle ne fait que la fixer et tendre les bras.


« Jud’ je… J’te croyais morte. Maman m’avait dit… Oh mon petit soleil, je suis tellement contente que tu sois en vie. »


Est-ce que ça allait finalement être une petite joie dans sa vie si sombre ? Est-ce que ça allait pouvoir l’aider à guérir, finalement ? Basmath avait des larmes aux yeux, tellement elle était heureuse de retrouver sa belle petite sœur qu’elle aimait tant. Après toutes ces années….

Clairement, Judith était aussi étonnée qu’elle de la voir. En vrai, c’était tellement un coup du hasard, qu’elles se retrouvent toutes les deux à Yggdrasil et dans cette caverne en même temps. Quelles étaient les chances ? Basmath qui se trouvait terriblement chanceuse, qui avait envie de remercier les quelconques dieux qui avaient permis cette rencontre, même si elle n’était pas du tout croyante.

Jusqu’à ce que Judith ouvre la bouche.

Basmath, elle en avait pris des coups. Des soldats Altissiens, de ses nombreux combats, du loup-garou, même. Mais aucun de ces coups ne lui avait autant fait mal que ce que Judith venait de crier. Bas’ sursaute, restant figée, les yeux grands ouverts. Elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas du tout pourquoi sa petite soeur adorée réagit comme ça.


« J-Judith je... »


Même pas le temps de dire quelque chose que la blonde se lève en la regardant et en reculant. Basmath se relève, lentement, elle aussi, toujours regardant sa petite soeur. Elle cligne des yeux plusieurs fois, ne sachant pas trop quoi faire.


« Jud’, qu’est-ce qui se passe, a-attends! »


Elle tend la main vers l’avant, vers Judith, comme si elle allait disparaitre encore. Sa main qui se met à trembler. Non non non non qu’est-ce qui se passe, pourquoi elle est comme ça, pourquoi elle lui a dit de se la fermer aussi….

Elle lui en veut. C’est clair qu’elle lui en veut, mais pour quoi ? Basmath était certaine qu’elle était morte. Maman lui avait dit qu’elle, papa et Isaac étaient tous morts, qu’il n’y avait que Mamie, Maman et elle maintenant. Qu’il fallait continuer, ne pas lâcher prise et… Qu’il fallait que la lignée des Yeshua continue, malgré tout. Cette lignée si forte et fière. Et pourtant, en ce moment, Basmath ne s’était jamais sentie aussi faible et vulnérable. Bas’ fait quelques pas vers l’avant, incertaine, effrayée.


« Je croyais que tu étais morte, Jud’, s’il te plait, je suis désolée. »


Sa gorge commence déjà à se serrer.

Bas’ ne comprend rien. Elle ne sait pas du tout ce qui se passe, elle reste là, confuse, la main tendue vers sa petite soeur qu’elle aimait tant. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’elle lui disait ça ? Elle… Elle croyait...


« J-Ju... »


Elle sent une boule se former dans son ventre, dans sa gorge. La tête commence à lui tourner, mais elle voit sa petite sœur tomber dans l’eau et se débattre. Pendant une fraction de seconde, la mate se demande qu’est-ce qui cause ses problèmes, Judith avait toujours su nager, mais rapidement, Basmath remarque… oh merde. Oh merde de merde de merde.

En combattant le tournis et le vertige qu’elle avait, Basmath se lève de sa position agenouillée et retrouve rapidement Judith, dans l’eau, la soulevant sans problème avant de la rapporter sur le sable. Elle se fout si elle la déteste. Elle a le droit de la détester, en vrai. Elle devait… Elle devait avoir ses raisons. C’était sûrement de sa faute. Depuis qu’elle était partie du cocon familial, Bas’ n’avait fait que enchaîner les échecs.

C’est pas vraiment vrai, mais c’est ce qu’elle se dit.

Après avoir déposé Judith sur le sable, Bas’ se recule. Elle ne sait plus quoi faire, ce qui est permis ou non. Elle l’aime, Judith, elle l’aime de tout son coeur alors de la voir… Oh son bras, sa jambe….


« Judith… Je suis tellement désolée je… J’ignorais… »


Que tu étais vivante, que tu étais blessée, que tu étais seule (?) depuis tout ce temps ? Basmath veut tout dire et ne rien dire. Elle se sent tellement vulnérable. Elle veut enlacer sa soeur, la dernière personne qui lui reste, mais celle-ci la déteste. Elle la déteste. Les larmes se mettent à monter à ses yeux alors qu’elle la regarde.


« S’il te plait. »

Son mal de coeur revient. Elle se sent mal. Très mal. Elle n’a pas envie de voir Judith en colère, surtout pas contre elle. Basmath qu’était si contente de voir qu’elle n’était pas la dernière Yeshua en vie, alors… Non, en vrai, Judith était totalement dans son droit de lui en vouloir. Ça faisait presque 6 ans qu’elle était partie à l’armée et du jour au lendemain, elle avait arrêté de donner des nouvelles. À cause…. Ce…. Cette n….

Oh merde le malaise…

La violence avec laquelle Jud’ lance le sable dans l’eau la ramène sur terre, Bas qui sent sa respiration un peu saccadée, qu’elle tente de garder le plus calme possible. Et finalement elle les voit. Son bras, sa jambe qui sont remplacés par des prothèses. Merde. Merde merde merde merde c’qu’elle est conne et stupide et imbécile. Bas se mord l’intérieur de la lèvre inférieure avec force, inconsciemment, sentant soudainement le goût du fer dans sa bouche.

Mais la soldate ne dit rien. Pas qu’elle serait capable, de toute façon, avec tout ce qui se passe dans sa tête.

Judith lui confirme finalement que Maman et Mamie étaient toutes les deux mortes. La dernière fois qu’elle les avait vu, elles étaient au bord du gouffre. Autant mentalement que physiquement et peu importe ce que Bas pouvait dire ou faire… Il était trop tard. Ce deuxième couteau qui s’enfonce encore dans le coeur de la jeune femme, par contre, quand elle prend vraiment conscience qu’elles sont seules. Les deux dernières Yeshua.

Mais quand Judith se retourne, c’est pas un couteau qu’elle a dans le coeur, mais une machète. La voir comme ça, ça lui fait couler ses propres larmes, même si encore une fois, elle n’arrive pas à dire un mot. Elle essaye, du mieux qu’elle peut, de rester forte, de rester la grande soeur, mais… Elle n’a pas été grande soeur depuis presque 6 ans. Et en ce moment, il n’y avait pas plus vulnérable qu’elle


« Jud...Jud je m’...Je m’exc….Excuse... »


C’est tout ce qu’elle avait réussi à sortir et ça lui avait pris un effort phénoménal. La rouge et blanche n’osait même pas regarder sa soeur. Elle ne faisait que fixer les membres artificiels de celle-ci. Elle avait protégé Isaac ? Ou tenté, en fait. Et avait perdu….

Son corps entier lui crie de s’enfuir, qu’elle ne mérite pas d’avoir Judith. Mais Basmath fait le contraire. Avec toute la force qu’elle est capable, ses jambes qui semblent peser des centaines de tonnes, elle avance vers sa petite soeur. Au diable si elle ne l’aime plus, Bas’ ne pourra jamais l’abandonner. Elle ne pourra jamais la regarder pleurer et ne rien faire. Elle est juste comme ça.

Une fois à ses cotés, la mate pose sa main sur l’épaule de sa petit soeur, silencieusement. Elle pleure, elle aussi, elle tremble, ses jambes sont toutes molles.


« T’as fait ce que tu as pu. Je serais... Probablement morte... Moi aussi. »


Elle se déteste plus que tout au monde, en ce moment. Elle se déteste, se déteste, se déteste, se déteste, se déteste, se déteste, se déteste.

Bas retire sa main, les yeux grands ouverts. Elle se rend compte à quel point ce qu’elle venait de dire était stupide. Complètement idiot. Et elle a envie de disparaitre. La suite des choses s’est passé très, très vite. Il y a soudainement eu du vent qui s’est mis à tournoyer autour de sa petite soeur et sans avoir pu réagir, Basmath se faire projeter plus loin, sur le sable.

Mais ce n’est pas ce qui lui fait le plus mal. Ce sont ses mots. Les mots de Judith qui viennent lui transpercer le coeur aussi facilement qu’une lame chauffée à blanc. Couchée sur le ventre, un peu déboussolée, mais surtout, démolie émotivement, Basmath ne bouge plus. Mourir. Oui, mourir semblait être une bonne idée, en ce moment.

Elle qui venait de retrouver sa petite soeur adorée, elle la détestait. Elle qui croyait pendant un instant que tout allait s’arranger… Quelle idiote. Quelle idiote complètement naïve tu es, Basmath Yeshua. La guerrière se sent, pour une fois, complètement vulnérable, complètement incapable de faire quoi que ce soit. La voix de sa petite soeur ne fait que résonner dans sa tête. ‘’Bah meurs’’. Meurs. Meurs. Meurs. Meurs. Meurs. Meurs. Meurs.

Elle l’entend s’éloigner, mais reste couchée au sol. Elle n’a plus de force dans ses bras, dans ses jambes. Même si elle voudrait courir à ses trousses, s’excuser encore des millions de fois et lui dire qu’elle allait… Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Si Judith la détestait, c’était son droit. Elle était… C’était totalement compréhensible. Bas’ avait bien été une des pires personnes pour sa soeur. Depuis son départ à l’armée…


« J-Jud………………. »


Sa voix trop faible pour faire un vrai son, un simple souffle serré par sa gorge. Les larmes se mettent à couler à flot sur ses joues. Sa main se referme sur du sable qu’elle serre avec force. Il n’y a pas de mot assez fort pour exprimer à quel point Basmath se déteste, en ce moment.

Elle ne reverra plus jamais sa petite soeur. Même si elle peut, peut-être, se rassurer en se disant qu’au moins, elle n’est pas morte. Disparaitre de sa vie semble être la seule chose à faire.

Combien de temps elle est restée dans la même position ? Aucune idée. Elle avait le vertige, le tournis, elle a pleuré comme un bébé pendant une éternité. Et puis après un temps, elle se relève très lentement, essuyant son visage avec de l’eau salée du lac. Et en voyant sa réflexion dans ce dernier, elle se dégoûte. Elle n’est qu’un monstre. Un monstre ignoble. Autant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Un pas à la fois, Basmath est retournée à la caserne de Caldis. Presque par instinct, ne voyant presque même pas où elle allait. Tout était noir pour elle. Tout. Elle avait besoin de sommeil, même si elle doutait qu’elle allait être capable de le trouver.