La journée longue, très longue. Il avait durement travaillé en plus d’avoir sa nouvelle demeure à tout retaper pour que ce soit viable. Toutefois, malgré ce nouvel endroit, malgré la charge de travail, malgré la fatigue qui pesait, tu te retrouvais ici. Quelle ironie. Cette foutu taverne où l’on pouvait pratiquement le considérer comme un habitué. Évidemment, il n’y allait jamais quand il y avait trop de monde, au contraire, son moment préféré était en soirée avancée, là où la plupart était partis. Le seul inconvénient c’est que malgré l’heure tardive, la taverne était plutôt bondée ce soir, mais pas assez pour l’empêcher de s’asseoir à sa place habituelle sans être entouré. Évidemment, à la grosseur qu’il avait, bien des gens se tassaient pour le laisser prendre sa fameuse place. Par respect et surtout par crainte, on avait laissé les places près de lui disponible, n’empiétant pas sur son espace personnel et se tenant loin de ce forgeron. Les rumeurs et sa réputation étaient déjà de plein fouet… Grognon, violent, dur en affaire mais un sacré bon forgeron Altissien. Déjà une certaine forme de respect c’était imposé auprès des fréquents de la taverne et des gens du coin.

Assied lourdement sur le banc de bois, que mêmes les dieux ignoraient avec quoi il était fait pour être aussi solide, il avait déjà un verre bien entamé en main. Un certain silence planait autour de lui sans pour autant éteindre la faible ambiance de l’endroit. En pouvait entendre des conversations plus basses, des rires, quelques chope ou verres qui s’entre choquait. Le regard unique du forgeron ne faisait que se noyer dans ce liquide engourdissant. S’amusant à créer une légère tempête dedans de quelques coups de poignet de temps à autre. Décidément cette texture, cette couleur, c’était bien tout ce qui lui restait, ce qui expliquait comment et misérablement il se retrouvait ici bien trop souvent et ce même en plein soir de semaine… D’ailleurs la perte de son esprit dans ce liquide lui valut un léger regard désolé venant de la serveuse de l’autre côté du bar qui voyait un homme, pouvant être son père, venir boire jusqu’à la fermeture, sans avoir la moindre interaction sociale avec qui que ce soit, exceptée elle qui lui servait à boire.

Il termina d’un trait du reste de ce poison qu’il consommait trop, déposant le verre sur le comptoir, un peu brusque, mais sans malice, plus maladroit que mal intentionné. Il repoussa ensuite le verre de sa main brièvement.

- Je vous en sert un autre Nordalh ?

Le vieux bonhomme leva les yeux vers la jeune femme de l’autre côté, lui offrant un léger hochement de tête, froid et distant. De son côté, elle lui sourit tristement, remplissant son verre de nouveau avant de déposer la bouteille près de lui, lui faisant un bref clin d’œil complice. Le bonhomme eut un très faible rire d’un seul souffle, la remerciant d’un léger signe de tête avant de la laisser aller s’occuper de la taverne et des autres clients. Il reprit de son énorme main ce verre remplit de ce doux nectar qui pourrissait son foie tous les soirs. Il amena lentement le contenant à ses lèvres, laissant cette fausse chaleur brûler sa gorge lentement, tandis qu’il ferma les yeux brièvement, se satisfaisant de cette sensation brève et minable.

Alors qu’il appréciait tendrement s’intoxiquer, quelque chose changea soudainement dans la taverne. Plus aucun son… C’était comme si les gens étaient tous à bout de souffle alors qu’une atmosphère encore plus froide que lui s’installait davantage dans la pièce. En temps normal, n’importe qui s’aurait retourné en ressentant tout ça, maiiiiis pas notre bon vieux yeti grognon. Qu’est-ce qu’il en avait à faire qu’un individu d’imposant ou d’important entre ici et ce… Si tard ? Il préféra contempler son nectar silencieusement, sans même se soucier de qui venait d’entrer, laissant chacun et chacune le souffle court.

Ça lui rappelait les bonnes années, les fameuses années où il était grand gros et fort (ce qu’il était encore), mais surtout quand il était jeune et qu’il entrait dans une taverne, armée jusqu’aux dents entres deux missions. Ça le fit sourire faiblement en coin, cette sensation de puissance, de domination, c’était quelque chose de pratiquement exaltant. Ça lui manquait presque… Considérant ce que ça lui avait coûté… Il reprit une nouvelle gorgée, un peu étonné cette fois, les gens n’osaient toujours pas parler ou faire le moindre son, comme figer dans le temps, alors qu’en fait c’était la peur qui les habitaient. Le vieux borgne levant les yeux vers sa serveuse d’habitude, la questionnant du regard, mais celle-ci plus loin, fixait l’être dans la taverne, les yeux plutôt ronds, comme s’il venait de voir l’empereur des enfers. Le bonhomme fronça lourdement les sourcils. Qui pouvait être cet individu bordel…

C’est donc ainsi qu’il regarda brièvement pardessus son épaule droite, le seul moyen qu’il puisse voir sans se retourner complètement. Rapidement, du premier coup d’œil, il y vit une jeune femme, sa chevelure et ses yeux d’un rouge si hypnotisant, si flamboyant qu’on y croirait des joyaux. Son corps… Elle était… CLAIREMENT PAS DE TON ÂGE NORDALH. C’est donc sans se retourner complètement, encore un brin indifférent qu’il revint vers son verre, les sourcils toujours quelque peu froncés. Elle lui rappelait quelqu’un, définitivement… Sa mémoire lui faisait toutefois grand défaut, faute d’alcool ou de temps ? Bonne question, probablement qu’une gorgée de son nectar lui ramerait les idées, ce qu’il fit alors, laissant cette douce sensation de brûlure dans sa gorge… Il ferma les deux yeux quelques instants cherchant à se rappeler de qui il s’agissait, elle lui rappelait vraiment quelqu’un et ça commençait à l’énerver de pas trouver… Foutu mémoire à la con qui le lâchait de plus en plus.

Question d’aider encore mieux sa cause, il termina une nouvelle fois son verre, avant de le « déposer » durement contre le comptoir et le remplir une fois de plus, ne sentant toujours pas les fameuses effets tant recherchés… Bon sang que ça lui en prenait beaucoup… À la grande déception de sa bourse bien trop souvent…

Mais qui était-elle déjà, ce regard rouge… Il plissa légèrement les yeux, une famille Noble… Le nom était sur le bout de sa langue…