Quand tonton tond le gazon - Fiche d'Aaron

/!/ CW : racisme, homophobie entre autres joyeusetés. /!/

« GGGRGGHGDJHDSHFDJSZZZDDDAAAAAAAAHhhhh »

Vous n’en faites pas, ça, c’est juste le bruit que je fais quand je m’étire tous les matins au lever. Bah oui je suis pu tout jeune et avec ma taille, mon dos me fait souvent mal. Je devrais aussi faire changer ce lit… je m’enfonce dans le matelas et mes lombaires me le rappellent tous les matins depuis des semaines. Erh. Ça va, c’est pas si important, je m’en occuperais demain. En terminant mes étirements, j’ouvre mes fenêtres, je baille de manière très sonore, ce qui fait fuir les oiseaux et fait sursauter une petite mamie qui va au marché. Pardon Mamie !!

Je rentre et observe mon lieu de vie, une simple chambre avec un coin pour mes instruments, mes vêtements et de quoi me débarbouiller. C’est petit mais ça me convient et j’ai préféré tout mettre dans l’auberge. Tiens, à ce sujet… je crois que les livres de comptes de l’auberge que j’ai perdus depuis 1 mois se trouvent sous tout ce bordel. Mais j’ai la flemme de vérifier. J’ai pas le temps de ranger ce matin… Euh, mais il est quelle heure, d’ailleurs ? Je passe la tête par la fenêtre et plisse mes yeux de gros poissons à la vue du soleil déjà arrivé à son zénith.

BOUDIOU ! J’ai encore trop dormi. C’est ballot, je n’aurais pas le temps de ranger, faut que j’aille préparer les plats de ce midi… mon fournisseur de poisson va encore me taper sur les doigts car j’aurais trainé. Bah. Si j’y vais en courant, je ne serais qu’une petite heure en retard, ça va.

J’arrive à peine essouffler au marché et mon pote Marcel Fricadelle me fustige pour mon retard, m’accusant de pas m’être réveillé à temps et d’avoir oublié de fermer ma braguette. Héhéhééhé. Je le paye un peu plus pour m’excuser de mon retard et prend mon poisson frais pour le ramener à l’auberge. Je me mets rapidement en cuisine, il faut nettoyer les poissons, les vider, des découper, les mettre à griller avec mon assaisonnement maison dont j’ai le secret, préparer une bonne dose de riz, sortir les légumes marinés et les sauces. Mes clients réguliers commencent à arriver et j’entends déjà leurs vannes sur le fait que « oh bah c’est surprenant que tu sois à la bourre ohlala », « héhéhé le gros il s’est encore levé y’a 30 minutes », « hé, champion, ça sent l’poisson dans ta cuisine ». Je suis habitué, c’est de bonne guerre et ils ne sont pas de mauvais bougres. Je vais leur servir leur bière et ils seront calmés… enfin, pas trop mais, ça les fera patienter. Je n’aurais pas trop de temps pour eux aujourd’hui, j’ai beaucoup de repas à faire pour aller en distribuer ensuite aux gens des quartiers eossiens ou des coins plus pauvres de la ville. Comme toujours, je ne vois pas trop les heures de la journée passer. Mais je suis heureux d’être aussi occupé, c’est important de nourrir les gens ! En plus, je peux discuter avec eux en espérant que mes blagues leur donnent un peu le sourire.

Avant même que je ne puisse m’en rencontre compte, la soirée est déjà bien entamée. Mais hors de question de rentrer à la maison pour dormir. Je dois encore m’occuper des clients à l’auberge. D’autres repas sont en marche, mais il n’y a pas foule. Je peux donc me poser derrière le bar avec mon théorbe pour accompagner le repas de tous ces gens d’un peu de musique et de chants. Parfois, d’autres musiciens me rejoignent pour improviser des morceaux. Je n’ai pas vu Jaskins ce soir, c’est dommage, mon « cousin » caldissien le requin tigre est quand même plus doué que moi pour le chant et raconter des histoires en musique.

Avec tout ça, la nuit est tombée. Les gens désertent petit à petit l’auberge ou vont se coucher dans les chambres. Je profite du calme pour aller me promener dans le quartier des loisirs. Je sais que le cabaret de mon pote Olaf doit être encore ouvert et que je pourrais aller me détendre.

J'aime bien Olaf, hein, mais des fois, il me fait la morale. Il dit que j'ai l'air complètement à côté de mes pompes, que je devrais dormir plus et arrêter de passer mes journées à courir partout... eh, de quoi je me mèle ? Je lui rétorque dors déjà largement assez le matin. Et puis, j'aime pas m'ennuyer. En plus, il peut parler, lui, le nain qui passe son temps à s'occuper des autres et à réparer les pots cassés de son frangin le gros bourge débile... je lui dis d'arrêter de me faire la leçon car venant de lui c'est l'hopital qui se fout de la charité et... et il me dit que c'est moi qui suis aussi de mauvaise foi.

... Pfffff.
...
Mais quoi ?!
Arrêtez tout de suite, je fais pas la même chose, c'est pas vrai d'abbord ! Déjà, j'ai pas de frère bourge con et--

Oh merde. C'est vrai ça. J'ai encore un frère. Et c'est le pire mec !

Olaf a vu que ma face de grand blanc s'est assombrie l'espace de quelques secondes. Les épaules soudain tendues, je souffle pour ravaler mon agacement et mes mauvais souvenirs lorsqu'il me demande pourquoi je tire une si sale gueule. Je lui dis simplement, de manière très vague, que c'est pas grave, que c'est juste que la nuit passée, j'ai justement fait un sale rêve qui m'a rappelé l'époque où je vivais encore en Altissia avec ma famille. Je ne compte pas plus m'épancher ni remuer des choses qui me font déjà assez cauchemarder. Je vois bien que mon interlocuteur m'observe, à la fois inquiet et las que je dilue ces sujets de conversations dans une des mes blagues sur mes fesses.

Finalement, je ne me suis pas éternisé au cabaret. J'ai décidé de rentrer de bonne heure, pour une fois. Peut-être faire une nuit à peu près correcte, pour une fois. Je pense plutot que je vais jouer un peu de musique joyeuse, pour faire passer le mauvaises pensées. J'ai pas envie d'encore rêver de notre village, où on vivait avec les vieux et mes frères et sœurs.

On était pas bien riches et il faisait froid sur le littoral, mais on était ensemble et pas si mal. Enfin, c'était mieux quand mon grand frère ne m'emmerdait pas dès que les autres avaient le dos tourné. Ah, il aimait pas que je sois un peu trop requin pour ses standards, le Weston. hein. C'était mon grand frère donc, malgré tout, je l'admirais et j'espérais après son approbation. Je me disais qu'en voyant que je devenais le meilleur pêcheur du village, que ça nous aidait à mieux nous nourrir, il allait finir par s'assagir et me foutre la paix. Mais ça a été tout le contraire. Il est devenu encore plus jaloux et a recommencé à rejeter sa frustration sur moi. Je n'ai rien dit, car au village, mes frères et sœurs et nos parents avaient plus important à faire que m'entendre me plaindre. Donc j'ai simplement décidé de prendre sur moi. Toute façon, il allait partir bien s'en aller un jour, il passait son temps à dire qu'il avait rencontré quelqu'un, qu'il allait la rejoindre et enfin se barrer "de ce village pourri en plus c'est bien, je verrais plus ta sale gueule de gros thon". Dire qu'à ce moment-là, je lui souhaitais encore d'être heureux, de fonder une famille comme il l'avait toujours désiré. Enfin, je voulais surtout qu'il se barre pour ne plus revoir sa face.

Bon... C'est assez de ruminations pour ce soir, hein ! Je soupire longuement, sentant mes yeux se fermer doucement et mes doigts lâcher petit à petit les cordes de mon instrument. Demain, une nouvelle journée bien chargée m'attend.

J'essaie de faire en sorte que les jours qui se succèdent ne soient pas tout le temps les mêmes. Je ne veux pas tomber dans une routine trop planifiée ni perdre la passion pour ce que je fais. J'essaie de préparer d'autres plats, de varier les plaisirs. Pour ça, de toute façon, les clientèle change chaque jours, ce qui n'est pas pour me déplaire. L'ambiance est tout de même pesante, depuis quelques jours. Quoi de plus normal, après les évènements qui ont eu lieu à la Ville-Haute il y a peu. J'entends bien que les éclaireurs en prennent pour leur grade, j'entends dire que "de toute façon, maintenant, on sait que c'est forcément eux qui ont tué notre chère Adélaïde, même s'ils ont surement forcé ce pauvre Pilate à se prêter à leur comédie" ce qui me fait grogner et rétorquer qu'ils ont leurs raisons. Que les pressions que sont forcés de subir les eossiens depuis leur réveil ne peut rien donner de bon et qu'ils ont raison de se soulever de la sorte. Evidemment, je ne sais pas quoi dire quand on me dit qu'ils feraient mieux de se rebeller pacifiquement mais... de ce que j'ai entendu, ils ne seraient jamais allés aussi loin si on les avait écoutés dès le départ. J'ai beau ne pas être du genre violent... je comprends leur colère et leurs actions. Fort heureusement, ma clientèle aux opinions débiles ont vite fait de fermer leur clapet en bafouillant des excuses en me voyant froncer les sourcils. Ca a du bon d'avoir ma face de méchant requin, hein. Bref. Ils m'ont mis de mauvais poil, ces abrutis.

J'avais des commandes à passer au quartier des affaires pour des réparations au restaurant et pour mes provisions de le semaine prochaine... rien de bien passionnant, hein. En plus, rien ne va, c'est le bazar dans mes commande et je perds intérieurement patience. C'est vraiment pas ma journée. J'ai hâte de rentrer à la maison et de rester en cuisine à couper rageusement mes sashimi pour me détendre.

Après une journée pareille, je ne m'attendais vraiment pas à la croiser. Enfin, je sais même pas qui j'ai croisé, en fait. "Croisé" est même un bien grand mot, comme je ne l'ai vue que de loin. Simplement, une gamine. Quoiqu'il serait plus honnête de dire qu'elle est une jeune femme, désormais. Avec des cheveux tous noirs, la peau grise et des grands dents. Des dents comme j'en ai, moi, dans ma gueule de requin. Cette petite hybride requine m'a paru étrangement familière. Enfin, disons le plus franchement : elle m'a rappelé Weston. La fille de Weston, ma nièce. La gamine que Weston a abandonnée par le passé. Sur le coup, j'ai repris mon chemin et je me suis dit : "allons, Aaron, sois pas débile, y'a des tonnes d'enfants animorphes requins dans le monde et y font pas forcément partie de ta famille". N'empêche que ces yeux dorés aux pupilles allongées, eh bien... je les connais.

Donc, oui, vous aurez compris par vous-même, mais il ne reste plus grand chose de ma famille. De mes parents, Ladislas et Diona. De mes frères et soeurs, Ingrid, Kaeya, Johann et Weston. Même si je préfère penser à ce dernier comme un inconnu, maintenant. Y'a pas à dire, cette gamine lui ressemble vraiment. Et aussi à sa mère. La pauvre. J'espère que mon enflure de frère lui a définitivement fichu la paix.

Avant la catastrophe, les choses partaient déjà en couille depuis un moment à la maison. Du moins, entre moi et Weston. Après avoir passé des mois à dire à quel point il aimait sa femme, il passait désormais son temps à la tromper dès qu'il en avait l'occasion. Evidemment, le temps qu'il ne passait pas à m'emmerder, il le passait à se plaindre de l'hybridation de sa fille. Un jour, il m'a même dit "si t'es à ce point de leur côté, c'est peut-être que t'as reluqué ma femme ?! Vu la sale gueule de Rosemarie, t'es sûr c'est pas la tienne ?! Ah, bah non, impossible, c'est vrai que t'es pédé comme un phoque..". Si Johann et Ingrid ne m'avaient pas retenu, je lui en aurais foutu une. Il achevait ma patience en boucle mais cette fois, je n'étais plus seul face à lui. Les saloperies de Weston avaient fini par affecter toute la famille et nos parents l'avaient chassé du village. Il se sont excusés à moi, aussi, mais je m'en foutais un peu. Je voulais passer à autre chose et arrêter de penser à cette enflure. Mais, tout de même,  j'étais inquiet pour Rosemarie et sa mère. Un jour, j'ai voulu aller les voir mais... elles n'étaient pas chez elles. Personne ne savait où elles étaient parties. En même temps, elles avaient certainement bien fait, vu ce qui les aurait attendues si elles étaient restées.

Depuis le départ de Weston, tout se passait bien à la maison. J'aurais aimé que l'on puisse en profiter plus longtemps. Rester là, avec tout le monde, encore des années, ça m'aurait bien plu. Evidemment, c'est lorsque je me sentais en paix qu'une sentinelle du village a sonné les cloches. Nous avons reconnu le rythme effréné de l'alarme, du danger. En dirigeant nos regards vers la mer, nous avons vu des voiles sinistres surgir de derrière la falaise. Soldats caldissiens, brigands, simple pilleurs assoiffés de sang qui profitaient de la guerre pour s'enrichir, je ne sais plus qui étaient nos assaillants. Mais en peu de temps, nos maisons étaient en feu et ils fondaient sur nous, toutes épées dehors. Nous n'avions pas eu le temps de nous organiser pour fuir ensemble, ne désirant pas nous éparpiller. Après avoir entendu les cris de mes parents, de mes frères et sœurs, ma mémoire me fait défaut. Je n'ai pas pu aider ni les protéger, je n'ai jamais sur me battre. J'aurais préféré que ce soit moi plutôt qu'eux.

Je ne sais pas pourquoi j'ai survécu. Je sais qu'une garnison altisienne est arrivée peu après et que je lui dois probablement la vie. Leur capitaine... je ne me rappelle pas son nom, mais je me souviens son visage. Un hybride écailleux -probablement un dragon- au regard perçant. Je me rappelle qu'il m'a pris à part pour me demander ce qu'il s'est passé. J'ai compris que j'étais le seul survivant. Mon corps me faisait mal. On m'a dit que j'avais de nombreuses blessures, mais rien qui ne pourrait être soigné. On m'a parlé de torture. Je n'étais qu'à moitié présent. J'ai simplement demandé en boucle où ils étaient. Où était ma famille. Les soldats avaient creusé des tombes pour tout le monde. J'ai aidé, machinalement. Puis je suis parti. J'ai suivi un moment l'armée le long de la côte, jusqu'à revenir à la conscience. Encore une fois, je n'ai que peu de souvenirs des mois qui ont suivi. Je me rapelle m'être arrêté au port de la ville la plus proche et d'avoir proposé mes services, pour retrouver du travail auprès des pêcheurs du coin. Quelques temps plus tard, je suis reparti vers le centre du continent. La vue de la mer me rendait malade. J'avais besoin de voir du pays.

Je ne regrette pas. Avoir gagné Yggdrasil a été comme une petite renaissance, pour moi. Il parait que mon deuil n'est pas fait. Certains disent que j'évite à tout prix de m'occuper de ranger mes traumatismes en les faisant taire, en aidant les autres comme si ça allait sauver celleux que j'ai perdu. Possible, hein. Mais bon. Je ne veux pas m'appesantir sur le passé. J'ai la chance d'être encore en bonne santé et de ne pas être si vieux que ça. Je peux très bien surmonter tout ça et je peux être heureux malgré tout ! Il suffit de sourire à la vie et la vie te sourira... enfin, ce genre de conneries, quoi. Héhé. J'espère que je pourrais retrouver Rosemarie un jour. Surtout que maintenant, j'ai une petite idée d'où elle peut être.

La journée d'hier n'était pas géniale mais... mais je sais que demain sera meilleur. Quoiqu'il arrive, il faut bien garder espoir, et avancer !