Sous l'océan ♪ ~ Howl

La vie avant la Chute n'était pas parfaite. Mais pour Howl, cela lui suffisait. Il est né et a grandi dans des cavités bien en-dessous du lac d'Yggdrasil. Fils unique d'une famille de chasseurs de perles dont la profession se transmet de génération en génération, Howl n'y a pas coupé non plus et a été entraîné dès le plus jeune âge à nager vers les profondeurs pour dénicher les perles et les coquillages les plus rares. Il était toutefois heureux ainsi. Ses parents, Marc et Rita, ont eu leur enfant un peu tard par rapport à la moyenne à force de l'attendre mais l'ont choyé dès qu'il est venu au monde et lui donnaient tout l'amour qu'ils avaient. Ils possédaient un très petit bout de côte dans laquelle ils établissaient un élevage d'huîtres perlières. Leur commerce était florissant et leur permettait de vivre convenablement, alors heureusement, ils ne manquaient de rien.
Howl était un enfant peu bruyant mais plein de vie qui riait de rien et s'amusait de tout. Très curieux comme tant d'autres, il était étrangement peu capricieux et profitait de chaque instant passé avec ses parents. Dès qu'il fut en âge, il les accompagna ramasser des huîtres pour trouver les plus belles perles d'Yggdrasil. Il ne pouvait pas aller trop profondément, mais il essayait de nager aussi loin et aussi bas qu'il le pouvait. Docile quant aux indications que lui donnaient ses géniteurs, il ne pouvait toutefois jamais s'empêcher d'aller explorer à droite et à gauche, quitte à manquer parfois de se faire croquer par des grosses bêtes. Mais chaque fois qu'il rencontrait des petites bestioles, il les observait avec minutie et tentait même parfois de devenir ami avec elles (avec plus ou moins de réussite). Seul ou avec ses parents, il aimait faire de longues ballades sur la plage pour ramasser des coquillages et autres objets perdus. Il avait même mis tous ses 'trésors' dans un petit coffre qu'il gardait précieusement. Peu sociable en général avec les personnes qu'il ne connaissait pas, il se cachait souvent derrière son père et sa mère lorsqu'ils montaient jusque dans la ville. Partir à l'école fut donc quelque chose de compliqué, lui qui fut désormais entouré de d'autres enfants. Plus réservé que ses camarades, ses parents voulaient qu'il se mélange un peu à des êtres terrestres afin qu'il puisse avoir moins de mal par la suite pour ses fréquentations futures. Mais l'école n'est pas spécialement un endroit qui lui convient. Il aime apprendre des choses mais se retrouve très souvent à regarder par la fenêtre pour se distraire.

Aux alentours de six ans, toutefois, il découvre dans son établissement scolaire les cours de musique. Les sirènes étant naturellement faites pour chanter, il n'y portait pas forcément plus d'intérêt que ça jusqu'au jour où il réussit à impressionner un peu ses camarades avec son timbre particulier. Les cours de musique lui rappelaient également celle qui se jouait chez lui. À la maison, sa mère jouait de la harpe. Cela lui avait donné envie d'apprendre la maîtrise de cet instrument qui le fascinait. Ne pouvant évidemment pas l'emporter partout, ses parents lui offrirent une lyre pour l'anniversaire de ses huit ans qu'il put emmener à l'école. Y aller devint moins une corvée et davantage un plaisir quand il y eut des cours de chant qui lui permirent d'apprendre à contrôler les particularités que son espèce donnait à sa voix. Il se rendit bientôt compte qu'il aimait chanter quand il était de bonne humeur. Auparavant, il le faisait déjà : mais ne connaissant que peu de chansons, il s'agissait souvent de paroles très répétitives. Quand il en apprit plus en grandissant, son répertoire s'allongea et il était de plus en plus heureux quand il chantait. Peu attentif en classe, il ne manquait bien sûr aucun cours de musique et y restait même un peu après la fin de l'école pour discuter avec son enseignante. Cette dernière, elle-même sirène, l'aida beaucoup à contrôler les sons qu'il produisait. Alors il chantait.
Il chantait en balade. Il chantait sous l'océan. Il chantait en ramassant des perles. Il y avait des fois où on ne pouvait plus l'arrêter. Accompagné de sa lyre, il se posait sur les côtes rocheuses pour faire sonner ses cordes instrumentales et vocales, son premier public étant les habitants de la mer ou des plages; souvent des animaux, par ailleurs. Il avait encore une certaine timidité parfois quant à l'exposition de ses maigres talents à des inconnus.

Les années passants, le chant l'attirait dans ses filets. Heureux d'aider sa famille à récolter les perles, il était pourtant de moins en moins sûr d'en faire son métier. On plaça en lui de grands espoirs qu'il n'était pas certain de pouvoir réaliser. Il voulait faire de la musique sa profession. Faire de sa voix sa voie. Mais jamais il n'osa toutefois en parler à ses parents. Il avait peur de leur briser le cœur et de les décevoir. Alors il resta, pour une fois, dans le silence sans jamais se plaindre. Cette passion qu'il entretenait demeura un secret. On pensa qu'il s'agissait juste d'un loisir qu'il n'étendrait pas. Après tout, il était normal que les sirènes soient bonnes en chant, alors il considérait ne pas sortir tant que ça du lot. Et pourtant... Il entra dans la chorale de l'école. Et pourtant on le choisit comme soliste pour le mettre en valeur. Il se disait que, peut-être, il pourrait trouver sa place quelque part dans ce domaine, finalement.

Entre-temps, quand il eut douze ans, on commença son initiation à la magie élémentaire. Ses parents l'entraînèrent à la maîtrise de l'eau pour qu'il ait de quoi se défendre si jamais il était pris dans un siphon ou aux prises avec un monstre lors d'une de ses escapades. Mais fort heureusement, on ne le pressa pas avec ça. Il put prendre son temps au fil des années pour progresser et apprendre lentement mais sûrement. Il put bénéficier d'un environnement sain au début de son adolescence, alors il n'eut pas trop de problèmes en soit. Ses journées devinrent cependant de plus en plus banales et ennuyantes, à ses yeux. Répétitives. Il en avait marre des répétitions. Il voulait viser plus haut. Devenir célèbre. Composer des musiques pour faire carrière dans cet art. Il commença à se renfermer un peu plus sur lui-même à cette occasion, se mettant à cacher ce qu'il écrivait à ses géniteurs de peur qu'ils posent des questions. Vers quatorze ans, il commença à plonger davantage dans les profondeurs pour voir jusqu'où seraient ses limites. Il partait à la chasse aux perles, à la chasse aux trésors. L'océan était devenu un échappatoire, une source parfois d'inspiration. De temps à autre, il embêtait les pêcheurs en leur faisant peur sur leurs bateaux. Au crépuscule, il se mettait sur son rocher pour admirer le soleil se coucher. Lorsque l'astre sombrait dans l'eau, la sirène sombrait dans la mer à son tour pour rentrer à la maison. Il avait une vie paisible, en somme, où pas grand chose ne se passait. Il était pourtant heureux et serein. Un jour qui ressemblait à tous les autres, il s'est endormi sur la plage en même temps que le soleil. Mais contrairement à ce dernier, il ne s'est jamais réveillé.

Pas avant mille ans et une année. Un repos qui dura longtemps, très longtemps. Et c'est dans le chaos le plus total qu'il en est sorti, emporté par les eaux du tsunami qui marqua le 5 avril 1001. Il se réveilla sur une place ravagée par les vagues et par le temps.

La confusion passée, le choc retentit. S'endormir aussi longtemps ?.. Impossible. Il eut du mal à le réaliser, encore plus à l'encaisser. Il retrouva ses parents mais rien n'était plus comme avant. Des soldats, des étrangers, partout. Partout dans cette ville si tranquille jadis. Au réveil des Wintersong, on leur appris que le territoire où ils entretenaient leurs perles avait été racheté par un noble Caldissien, que leur maison avait été vendue, qu'ils ne possédaient presque plus rien de leur vie d'avant. On leur fit comprendre qu'ils pouvaient reprendre leur chasse aux perles mais qu'une partie de leurs revenus devait être donnée au propriétaire de la côte. Ils pouvaient toujours en vivre, mais bien moins qu'à l'époque. Ils étaient traités comme un peuple inférieur, avec moins de droits. Cela fit arranger le fils Wintersong. Il se mit à détester les Altissiens et les Caldissiens, se moquant d'eux dès qu'il le pouvait.
Rita et Marc devaient parfois s'épuiser au travail. Howl les soutint et redoubla d'efforts pour partir plus souvent à la chasse à leur place. Il devint presque un expert dans le domaine, rendant fier ses parents. Mais pour gagner des économies, dans leur dos, il accepta des propositions de nobles fortunés pour chanter devant eux. Son espèce lui facilita l'accès à quelques demeures réservées, mais il put y faire suffisamment d'argent pour rendre la vie un peu plus simple à ses géniteurs. Il soignait toujours son apparence quand il devait se présenter auprès de riches personnes faisant appel à ses services. Il fallait épater la galerie, après tout. Un peu de maquillage, des bijoux et des vêtements achetés avec ses économies, et un pseudonyme connu dans le milieu de la chanson : Zéphyr. C'est parfois comme ça qu'il se présentait lors des quelques concerts qu'il a pu faire. Une double vie pour payer les impôts, mais dans laquelle il se plaisait tout de même. Ou du moins, s'il aimait chanter devant un public et en tirer des bénéfices, il se répugnait en sachant qu'il devait servir leurs envahisseurs. Un mal pour un bien, se disait-il, quand il put acheter une nouvelle harpe à sa mère, la sienne ayant été trop usée par le temps.
Entre chasse dans les profondeurs maritimes et chansonnette pour les bourgeois, c'est comme ça qu'il mène sa vie, désormais. La lyre à la main. Mais il n'en restera pas là. Il veut faire payer à ces descendants ce qu'il en coûte de malmener le peuple de l'arbre-monde. Depuis le Réveil, il a acquis un esprit vengeur qu'il ignorait jusque là. Howl a la rage. Howl brûle. Il brûle, tellement et tellement que sa colère, un soir, a formé sa marque. Une note de musique à l'intérieur d'une flamme. Consumée peut-être par celle-ci. Nul ne le sait. Il n'a pas cherché longtemps à s'interroger sur sa signification, préoccupé par d'autres choses. Tout au plus a-t-il trouvé ça stupide d'avoir du feu alors qu'il incarne l'élément de l'eau. Et pourtant, aujourd'hui, peut-être n'est-ce pas un hasard.
Le monde de son enfance si paisible a explosé en même temps que lui. Crépitent désormais autour de lui les flammes d'une rébellion naissante en plein cœur de son adolescence.