avec l'eau Samouille
Le magimorphe ne saurait dire si l’intérêt du général vis-à-vis de sa situation le touche ou le dérange. Ça le soulage, de pouvoir enfin se confier sur sa condition et sur la manière dont cela impacte son rapport à l’eonisme et ses relations avec ses concitoyen.ne.s. Surtout avec une personne qu’il ne connait que peu et qui ne le juge pas. Mais, d’un autre côté, Thirésias a trop pris l’habitude d’être un phénomène de foire aux yeux des gens et craint que cela se répète avec Samaël. En ce qui concerne la gravité de son « état »… cela dépend de quoi on parle. Le gros poulet fait la moue et soupire, l’air pensif, sans savoir quoi répondre.
L’emplumé n’aime pas trop le concept de « tolérance ». Encore moins après ces dernières années à côtoyer la noblesse caldisienne. Si la plupart des gens ne pensent pas à mal en l’employant, nombreux sont ceux qui l’utilisent pour cacher leurs inclinaisons à la discrimination. Car oui, c’est certain, les caldissiens l’ont toujours très bien « toléré ». Mais iels ne se gênaient jamais pour chuchoter des horreurs à son sujet, à quelques mètres de lui, alors qu’il pouvait entendre, mais ne rien dire.
« Tolèrants… oui. Mais « tolérer » n’est pas « accepter », malheureusement. »
Il marque une pause et pince les lèvres.
« En fait, la nécromancie et les morts-vivants ont des connotations particulièrement négatives chez nous. »
Il lui semble que les eossiens sont globalement plus acceptants vis-à-vis des hybrides que le reste des Elysians. Du moins, ils le sont plus que la noblesse caldisienne, mais ça, ça ne devrait pas mériter des applaudissements. Thirésias hausse les épaules, puis poursuit, platement.
« Notre société a aussi ses failles et défauts de jugement. »
Il pourrait être surprenant d’entendre Thirésias pointer les défauts de la civilisation qui l’a vu grandir. Mais, quand on grandit élevé par les mages et notamment des vieux un peu relous… on remet plus facilement leurs mots en question que si l’on grandit avec ses propres parents. Probablement. Hors de ça, l’emplumé a toujours eu la langue bien pendue et s’est souvent fait fustiger lorsqu’il se plaignait de certains aspects de son quotidien d’eossien. Il s’est notamment souvent insurgé d’un paradoxe qui l’a toujours mis mal à l’aise : le fait que l’on incite les eossiens à toujours penser à la communauté avant penser à soi ou ses proches mais… que les personnes isolées soient souvent enfoncées et pas assez comprises ni aidées.
« Bref, pour vous la faire courte, le rejet des morts vivants dans la société eossienne est directement lié à nos croyances. Disons que le concept même de retour à la vie et de mort-vivant contredit des piliers de l’eonisme. »
Loin de lui l’idée d’endormir le châtain avec du blabla religieux soporifique. En cherchant à formuler ses phrases pour aller au plus simple, Thirésias se dit qu’il vaut mieux commencer par poser les bases.
« Tout est cyclique, dans l’Eos. Nous croyons en la réincarnation et la mort est vue comme une renaissance. C’est un événement que nous célébrons comme le début du voyage vers notre prochaine existence. Lorsque nous mourrons, notre essence ne fait plus qu’un avec l’Eos et les âmes des défunts qui nous ont précédé. C’est l’Eos qui décidera où nous iront par la suite, de ce que nous deviendrons. »
Il pourrait étoffer son propos en parlant des nombreuses célébrations et coutumes en rapport avec le voyage sacré qui caractérise la base de la religion et de la philosophie eoniste. Mais Il n’a pas vraiment ce temps (et pas très envie non plus). Autant revenir au sujet initial.
« L’invocation et la nécromancie… interrompent ce voyage sacré. Ils brisent donc le cycle à la base même de toutes la philosophie eoniste. Donc… j’imagine que maintenant, vous comprenez mieux pourquoi les morts-vivants ne sont pas bien vus chez nous. »
Evidemment, je ne pensais jamais en arriver là.
Le magimorphe n’a jamais rencontré d’autres morts vivants. D’ailleurs, il n’a jamais vraiment questionné le fait qu’ils soient victimes de rejet avant de revenir à la vie. Même aujourd’hui, Thirésias n’arrive pas à se dire que ce n’est pas de sa faute, qu’il n’a pas choisi de se retrouver dans une position dans laquelle il pourrait être discriminé. Il culpabilise d’avoir « brisé le cycle » mais ce n’est pas comme s’il l’avait voulu. Désormais silencieux, il se perd un peu dans ses pensées. Il se demande vraiment si l'Eos compte le mettre à l'épreuve. S'il obtiendra jamais le pardon des siens.