ft. Jill Lazarus. [Mail 1001]
Sciences et voyance
« And I can go anywhere I want, anywhere I want, just not home. »
Je déteste les journées de repos. J'ai pourtant insisté auprès de mes supérieurs pour qu'ils m'en donnent le moins possible, mais apparemment mes légères cernes et bâillements à répétition n'ont pas joué en ma faveur. Pourtant, je ne me sens pas si fatiguée que ça. J'ai une phase un peu insomniaque ces temps-ci, préférant passer mes nuits à virevolter dans les airs plutôt qu'être dans mon lit, mais mes facultés intellectuelles ne sont pas altérées pour autant. Je peux toujours réfléchir et effectuer mes tâches quotidiennes, mais mon argument pourtant tout à fait rationnel ne leur a pas suffi. Me voilà donc en congé forcé en cette fraîche journée de Mai. Je dois avouer que je ne sais pas quoi faire de moi-même. Je préfère les jours où je travaille, ainsi je peux penser à quelque chose d'utile. Je n'apprécie pas les pensées qui affluent lorsque je n'ai pas d'objectif en tête. En général, je ressasse toujours la même chose, et ça m'agace. Même prendre le temps de lire ne focalise mon esprit que pour quelques heures ; rien de bien incroyable lorsqu'une journée est composée d'autant d'heures. J'en ai profité pour faire le ménage dans ma petite maison, mais ayant toujours été quelque peu maniaque, j'ai à peine vu la matinée passer. Je me retrouve donc dans mon salon, le soleil ayant à peine atteint son zénith, l'ennui m'étouffant comme s'il avait une matière capable de m'étreindre réellement.
Poussée par une montée d'adrénaline soudaine, j'enfile un vêtement un peu plus chaud et je claque la porte de ma maison, laissant à peine le temps à mon corps de s'habituer à la différence de température. Le temps devrait être plus clément, en Mai, mais aujourd'hui semble consister en une exception. La constance scientifique me plaît, comme c'est un fait qui se renouvelle tous les mois de Mai, mais la fraîcheur m'est bien moins agréable. Pourtant, je devrais y être habituée, étant native d'Altis, mais ces derniers mois passés à Yggdrasil ont considérablement diminué ma résistance au froid. Là aussi, c'est une chose tout à fait normale, rassurante, attestant du bon fonctionnement de mon corps, mais le résultat me frustre. Encore plusieurs années ici et je risque de m'habituer aux douces températures. Le retour à Altis pourrait s'avérer compliqué. Mais à bien y réfléchir, je ne suis pas sûre d'y retourner un jour. Les souvenirs m'y sont encore trop douloureux et, étonnamment, je commence à m'habituer à cette Cité. Et puis bon, soyons honnête, si je finis par trahir le gouvernement comme je l'ai prévu, il y a peu de chances pour que je sois autorisée à rentrer à Altissia un jour. J'atteste la possibilité d'un retour à la capitale Altissienne à environ 18%. Une statistique très peu élevée.
Mes pas me conduisent vers le quartier des Loisirs alors que mes pensées sont accaparées par un débat sur les bienfaits du chaud et du froid. Après réflexion, je décide que la meilleure température pour vivre confortablement est de 24°C. Du soleil, mais un peu de vent pour ne pas avoir trop chaud. Oui, dans un monde idéal, le temps serait toujours aussi constant. Mais je sais aussi que certains animaux ne peuvent vivre que l'hiver, ou que l'été, et cette nouvelle donnée fausse complètement mon hypothèse. Je dois donc en faire une nouvelle où je prends tous les facteurs en compte. Au final, je m'aperçois qu'Yggdrasil est ce qui se rapproche le plus de l'endroit parfait pour vivre. Voilà de quoi clore le débat. Je peux reporter mon attention sur l'environnement qui m'entoure. Le quartier en cet après-midi est relativement calme. J'en déduis que les habitants se remettent encore de la grande foire qui a eu lieu il y a quelques jours à peine. En même temps, vu tout ce qui s'y est passé, je peux les comprendre. Moi-même j'ai eu du mal à digérer le coup de la poule qui m'est rentrée dedans, ainsi que les longues minutes qui ont suivi à retrouver toutes les autres volailles aux côtés de mon supérieur. En y repensant, c'était vraiment une drôle de soirée. Je me souviens à peine des feux d'artifice, alors que les explosions colorées auraient dû m'émerveiller. Peut-être que ma hiérarchie a raison, en fin de compte : je suis un peu à côté de la plaque ces temps-ci. Je vais donc profiter de cette journée pour me ressaisir.
Rapidement, je me sens oppressée par les larges rues bordées par de nombreux commerces. Certains artisans ne se gênent pas à m'interpeller pour me vendre leurs affaires, et si je comprends l'attitude qui leur est nécessaire pour faire fonctionner leur boutique, je me retrouve vite agacée. Je n'aime pas être sollicitée pour des broutilles. Déjà que lorsque je porte l'uniforme, ce n'est pas ma partie favorite du métier, alors là... je profite d'une ouverture sur le côté pour me faufiler dans une ruelle plus étroite et calme. Elle n'a rien de terrifiant, au contraire, elle me rassure. Au loin, j'aperçois un petit cabaret qui sert des boissons et je me rends compte que je suis assoiffée. Il n'y a pas l'air d'y avoir beaucoup de monde, ce que je recherche, alors je pousse la porte de la boutique, préparant déjà dans mon esprit ma commande pour ne pas paniquer sur le moment. Je demande un thé glacé à la menthe et m'assois dans un coin, le dos contre le mur pour voir tout le monde. Je déteste avoir des gens derrière moi. Simple précaution. Très rapidement, mon attention est captée par une dame dans un coin qui semble jouer avec des cartes. Je m'approche, intriguée, et je m'aperçois que ce sont des cartes de voyance. La jeune femme n'a pas l'air d'être avec un client, alors j'en profite pour m'asseoir en face d'elle.
« Comment vous faites, pour trouver des histoires à raconter à partir des cartes ? Vous devez avoir une imagination débordante, non ? »
Ne vous méprenez pas, mon intention ici n'est pas d'insulter cette femme. Je ne crois pas à la voyance, et l'idée me paraît tellement ridicule qu'il m'est impossible de concevoir le fait que certains peuvent y croire. D'ailleurs, je ne m'adresse pas à elle sur un ton accusateur, mais plutôt curieux. Je suis sincèrement intéressée par le fait de savoir comment elle utilise ses cartes pour soi-disant prédire l'avenir. Et, surtout, savoir comment elle fait pour ne pas faire faillite. Après tout, si elle prédit quelque chose qui ne se réalise pas, comment ses clients réagissent-ils ? Je suis étonnée de voir que personne ne l'a encore accusée d'escroc. Mais peut-être que certains ont justement besoin de croire en quelque chose. A bien y réfléchir, je préfère penser cette dame voyante plutôt que de croire en Oros. L'idée me paraît bien moins ridicule. C'est après quelques longues secondes que je me rappelle les paroles de politesse dont je dois user lorsque je rencontre des personnes que je ne connais pas. C'est Max, qui me les a apprises. Il me répétait tout le temps que je ne pouvais pas interpeller les autres sans au moins les saluer.
« Et euh, bonjour, d'ailleurs. »
Là, il faudrait que mes lèvres se constituent en un sourire, mais alors que je regarde la voyante pour la première fois, ses traits m'interpellent. Je prends note de son visage incroyablement pâle, de ses nombreuses cicatrices qui parcourent sa peau. J'écarquille les yeux, étonnée. Je n'avais pas vu de personnes comme elle depuis...
« Oh, vous êtes une nécromate. »
Je n'exprime ni dégoût ni hostilité. Simplement une surprise qui ne ravive pas de bons souvenirs.