« Ah, Irina. Bonjour. Tu n’es pas encore partie t’entrainer ? »
Il est rare que je croise Irina le matin. Habituellement, ma fille s’arrange pour me croiser le moins possible dans la journée. Elle n’a pas besoin de prétexte pour s’éloigner et je ne lui demande même pas de se justifier, comme je sais qu’elle se dédie entièrement à ses études et son entraînement. Si elle manquait à ses devoirs, je le saurais tout de suite. On peut trouver ça cruel, cette surveillance permanente, mais c’est ainsi que vont les choses. Moi-même, je suis surveillé. Encore plus depuis que je suis cardinal. Oh, oui, ma mère est toujours derrière moi alors que j’ai 40 ans passés, mais il ne s’agit que d’une démarche purement professionnelle, pour servir nos ambitions.
Irina n’a répondu que distraitement à ma question en expliquant qu’elle s’en allait, justement. Elle n’a jamais eu l’air heureuse en ma présence et j’imagine facilement pourquoi. Je n’ai jamais pardonné mère pour avoir fait disparaitre Hanz et Klaus. Parfois, encore, j’y pense. A l’espoir que j’ai longtemps eu qu’ils soient encore en vie. J’imagine qu’Irina a de la peine pour ses frères aussi. Mais elle s’y fera. Cela fait partie du processus. Au bout d’un moment, on finit par ne plus rien ressentir et par se faire à l’idée que les sacrifices, le fait de vivre pour des ambitions supérieures à nous-même est plus important.
Avant même que je puisse poser plus de questions (finalement assez bancales) pour essayer une fois de plus de me lier à Irina, celle-ci quitte la pièce. Ce n’est pas le moment de se laisser au vague à l’âme, car voila que ma mère vient de passer le pas de la porte, croisant Irina qui sortait. J’allais également m’en aller à l’académie et je n’avais pas très envie d’avoir droit aux remarques d’Alma quand je sais exactement ce que j’ai à faire. Elle me dit qu’elle venait juste chercher des ouvrages dans ma bibliothèques. Tss. Juste elle, je lui ferais bien payer un droit d’entrée dans ma bibliothèque. On n’entre pas dans la bibli des gens comme ça…
Après lui avoir donné mon autorisation d’un hochement de tête neutre, ma mère se retourne vers moi.
« Au fait, n’oublie pas de surveiller ta fille. Tu lui laisse un peu trop de libertés depuis que vous vous êtes installés en Yggdrasil. »
Et elle, qu’est-ce qu’elle attend pour rentrer à Altissia ? De dos, elle ne peut pas me voir rouler des yeux et serrer les dents. Je ne veux pas me donner la peine de répondre, donc elle continue.
« Elle ne connaît peut-être personne ici pour le moment mais… elle est maligne et fait très attention à ne surtout pas dévoiler le fond de sa pensée. On n’est pas encore sûrs qu’elle ne serait pas capable de comploter contre notre famille. »
Et qu’est-ce qu’elle ferait à elle toute seule ? Je ne me retourne même pas lorsque je réplique.
« La situation est sous contrôle. Je serais mis au courant s’il y avait le moindre incident. »
Elle est drôle, la daronne. Ne se rend-elle pas compte qu’il y a des choses plus urgentes à régler en Yggdrasil, ces derniers temps ?! Comme, je ne sais pas, au hasard : résoudre les énigmes autour d’un certain arbre magique capable de générer une puissance mystique jamais vue ailleurs ?! Et accessoirement, mettre la main sur ce pouvoir avant que d’autres ne le fassent avant nous ? Nous avons les preuve que quelque chose d’incroyable se situe sous notre nez mais ils font la fine bouche, dans les conseils... Évidemment, Alma est une politicarde, elle se fiche bien de la science, pire, elle n’y croit pas.
Je laisse ma mère vaquer dans la bibliothèque, la saluant sobrement avant de partir. Je me dirige sans trop tarder en direction de la Ville Basse, espérant visiter les rayonnages sylvestres de la bibliothèque de l’académie locale. C’est certainement là-bas que je trouverais le plus de réponses à mes questions dans un premier temps… car je ne peux pas encore me permettre de me pointer au sanctuaire d’Eos impunément. Ce n’est pas que j’ai peu d’être regardé de travers en tant que représentant oroniste et altissien, mais, il vaut mieux que je ne m’attire pas leur foudres tout de suite. Il faudrait que les eossiens me fassent d’abord un peu plus confiance avant que j’y rentre tel le loup dans la bergerie.*****
Une fois arrivé à la bibliothèque de la ville basse, j’entre sans soucis et demande où se trouvent les vieux ouvrages scientifiques eossiens. Dommage que je ne puisse pas emmener mes deux chiens ici, elles seraient aux anges au milieu d’autant de végétation luxuriante… mais elles seraient aussi ravies de déchiqueter tous les papiers qu’elles trouveraient.
C’est fascinant que tous ces écrits aient été si bien conservés dans la cité endormie durant 1000 ans… certain.e.s sous-estiment l’aubaine que nous avons de les avoir encore à notre disposition. Mais bon, si j’étais entouré par des gens intelligents, ça se saurait. C’est tout de même étonnant que dans un endroit aussi vieillot, il y ait tant d’ouvrages si savants… les eossiens n’étaient pas si en retard sur nous aujourd’hui, à l’époque, quand on y réfléchit. Leur culture n’a simplement pas les mêmes fondements que les nôtres, étudier les fondements de leurs textes scientifiques demande de s’y plonger réellement et moi-même je n’ai pas toutes les clés des livres les plus anciens. Le langage reste de l’ancien Elysian compréhensible, surtout vu qu’on l’apprend toujours durant les études oronistes…
Enfin, tout ça vaut bien que je prenne tous ces bouquins et que je trouve une place pour tous les étudier rapidement, histoire de voir sur quelles pistes je peux me lancer. C’est que je commence à en avoir une sacré pile sur les bras. Heureusement que mon centre de gravité me permet d’avoir un bon équilibre car--
Ah... ah bah en fait non.
Les livres m’avaient bouché la vue assez longtemps pour que je ne vois pas la personne dans la quelle j’ai foncé. Tous les livres sont tombés par terre et certains, en plus mauvais état ont perdu des pages…
« Oh, non, mais regardez devant vous, non ?! Les pauvres livres... ! »
Je gromelle puis me baisse immédiatement pour remettre droit les ouvrages abîmés, sans penser un instant à m’excuser à la personne que j’ai bousculée… eh, le savoir c’est plus important que les gens, non ? ...comment ça « non » ? On vous a pas demandé votre avis ! J’espère que je n’ai rien perdu d’important entre ces pages. Ce serait vraiment du gâchis.