Une nuit sans étoiles


Avec
Ziyal



            

Agrougrou ouin ouin

/!/ CW : sous-entendu et évocation d'abus affectifs et familiaux, dépression et autres joyeusetés /!/

Il faisait sombre, dans la petite cuisine. Raol se laissa tomber sur une chaise, épuisé par ses courses de la journée et de la nuit. Combien d’heures par jour travaillait-iel, ces temps-ci ? Probablement plus que ses réserves ne le lui permettent.

Tout ça pour être mal payé. Ces Altissiens et ces Caldissiens qui ne connaissent rien au troc et au paiement en nature… je les hais. Je les déteste tellement.

Ses pensées trouvaient toujours le moyen de remettre la faute sur les autres elysians, même si cela n’a pas de rapport à la base. Cela sonnait faux, la grenouille ne parvenait plus à s’en contenter. Iel avait peur que les ressources viennent à manquer pour ellui et Ziyal… surtout pour Ziyal. Oh, iels étaient loin d’être à la rue, mais leurs économies partaient à une vitesse inquiétante depuis quelques mois. Raol avait toujours été maniaque avec leurs comptes et ces temps-ci, iel en devenait paranoïaque. Gérer tous les aspects pénibles de leur vie de famille, administratifs, financiers, sociaux, émotionnels, depuis toutes ces années, cela commençait à l’user. Il fallait ménager Ziyal en permanence, ignorer sa propre détresse pour que son parent ne s’effondre pas ou fasse quelque chose d’irréparable comme iel prétend souvent pouvoir le faire.

Tout en buvant quelques gorgées de son un verre d’eau, lea Zeteki observa la lumière de l’astre nocturne qui filtrait par la fenêtre entrouverte. L’air était frais, dehors, agréable, pour la saison. Il y avait même eu un averse, il y a quelques jours. Le meilleur des temps aux yeux de l’amphibien qui avait courru sautiller sous la pluie sous sa forme animale. Il fallait en profiter avant que le vent sec de l’automne et le froid de l’hiver ne reviennent.

Un grincement de porte fit sursauter Raol. L’ombre de Ziyal se pétrifia aussi l’espace d’un instant, ne s’attendant pas à voir sa progéniture encore éveillée.

« Oh, c’est toi… tu ne dors pas ? »

Ziyal avait l’air sincèrement préoccupé, mais rares étaient les moments où iel ne s’inquiétait pas. Lea plus jeune baissa les yeux en terminant de boire.

« Ne t’inquiète pas, je viens juste de rentrer de ma dernière course. »

Ziyal prit le temps de s’asseoir et pencha la tête sur le côté. Quand iel ne portait pas ses lunettes, ses yeux tombants semblaient encore plus fatigués qu’à l’accoutumée. Iel faisait toujours de la peine à voir, à se conforter dans sa tristesse depuis si longtemps. Raol s’était résigné.e au fait qu’iel ne pouvait pas faire grand-chose. Que ça ne passerait peut-être jamais. L’espoir que Ziyal oublierait, un jour, se remettrait de la mort d’Akiya, des changements chaotiques des dernières années, il n’était plus trop là.

« Ne… n’en fais pas trop, hein ? »

La sollicitude de son parent parvenait pourtant à l’atteindre, de temps en temps. Lui donnait un peu de réconfort. Lea rassurait sur le fait qu’au moins une partie de ses actions ne sont pas entièrement mal fondées même si les évènements des dernières années prouvent clairement qu’iel s’est gravement trompé.e. Ses muscles se tendirent, l’obligeant à se mettre sur la défensive malgré tout.

« J’ai pas trop le choix. On aura bientôt plus d’économies. »

C’est pas comme si Ziyal allait proposer de m’aider, toute manière. Même par politesse, ça lui traverse même pas l’esprit de proposer.

Raol regretta sa dernière affirmation, de peur que son parent recommence à paniquer. Mais Ziyal resta silencieux.se. Nostalgique, lea plus agé.e se tourna vers la fenêtre à son tour.

« Non, ne t’en fais pas. Akiya est venu.e me voir… iel a dit que tout irait bien. »

Ravalant sa salive, lea plus jeune se crispa en entendant le prénom de saon geniteur.ice décédé.e. Iel en avait marre d’en entendre encore parler comme d’un ange gardien après toutes ces années.

Pourquoi ne peut-iel pas passer autre chose et… sortir de là. Vivre un peu sa propre vie, je ne sais pas…

Lea Zeteki aux cheveux bruns ferma les yeux et se massa les paupières. Akiya était effectivement toujours là, d’une manière ou d’une autre. Son emprise n’avait pas disparue avec sa mort. Raol tentait de se remettre de ce que son parent lui avait fait subir… de ce qu’iel leur avait fait subir. Mais iel était toujours là, iel ne partait pas. A chaque fois que les choses tournaient mal, Raol se disait qu’iel tournait juste comme Akiya, qu’iel finirait comme ellui, que c’était inéluctable. Et en même temps, iel ne pouvait pas se permettre de prendre un autre chemin que celui qu’on lui avait forcé à prendre, lui apprenant à voir toute personne extérieure comme un danger, à se sentir menacé par toute chose que quelqu’un ne ferait pas pareil, par toute chose auquel iel ne participe pas. S’iel n’était pas un.e eossien.ne modèle que chacun veut solliciter en cas de problème, un chef de famille exemplaire, alors, aux yeux d’Akiya, iel n’était rien. Raol avait l’impression d’avoir tout fait, pour correspondre à ça, mais au final, même les éclaireurs n’avaient pas daigné lea prévenir. C’était l’utime preuve de son échec. La preuve qu’il n’avait pas sa place ici. Qu’iel s’était trompé, depuis le début et avait raté sa seule chance de s’échapper car iel avait été trop lâche.

« Ah oui… ? Et qu’est-ce qu’Akiya te raconte, dans ces moments-là ? »

Demanda lea plus jeune d’une voix des plus désabusées. Ziyal sembla surpris car jusqu’à maintenant, Raol n’avait fait qu’ignorer les récits de son parents au sujets de ses « visions » qu’iel avait du fantôme ou de l’apparition de son ancien partenaire. Comme lea Zeteki à lunette restait interdit.e, Raol émit un rire désabusé.

« Laisses-moi deviner… iel te rappelle à quel point je suis un parasite qui ne fera jamais rien de bon pour cette famille et qui ne sera jamais à sa hauteur ? »

A nouveau, Ziyal garda le silence. Ses yeux brillèrent dans le noir, dévoilant que les paroles de son enfant l’avait heurté.e.

« Mais… qu’est-ce que tu racontes, enfin ? »

Évidemment, ce n’est pas Ziyal qui va approuver de telles paroles. Mais j’en ai marre de ne rien dire. De lea dorlotter comme si tout avait été normal dans notre vie de famille.

« Oh, pour la grâce de l'Eos, sois honnête, pour une fois... »

Raol avait trop longtemps ignoré Ziyal, en lea mettant de côté, espérant que rester à distance lui éviterait de souffrir comme cela est arrivé avec Akiya, qui lui reprochait le moindre de ses faux pas de manière excessive. Ziyal approuvait trop souvent saon partenaire mais… au fond, Raol savait que c’était que son parent était également maltraité.e. Et potentiellement aveuglé.e par son amour pour Akiya. Iel ne pardonnerait jamais tout à Ziyal pour autant, mais… rester sans rien dire était probablement pire pour elleux deux.

Comme de toute façon, je n’ai pas grand-chose à perdre…

« Tu vas encore prétendre longtemps qu’Akiya était une sorte de… de bienfaiteur.ice sacré ?! Tu ne te souviens pas ce qu’iel nous a fait vivre… ? »

Ziyal se figea, yeux écarquillés, momentanément effrayé.e par la brusquerie du ton de lea plus jeune. Iel ne sur quoi répliquer, ce qui rajouta à l’agacement de Raol.

« Pourquoi tu dis rien ? Pourquoi tu n’as jamais rien dit ?! Je… je... »

J’ai songé à en finir un trop grand nombre de fois. Des fois je me demande pourquoi je n’ai jamais fini par le faire, surtout quand je vois où l’on se retrouve aujourd’hui. Mais… quelque chose m’a toujours retenu de me tuer. C’est comme ce soir-là, avec Gabryel, je n’ai pas sauté alors que ça semblait le moment idéal. Je ne sais pas… peut-être que je ne veux pas finir comme ellui. Peut-être qu’au fond, je crois que je peux encore faire quelque chose. Même si je n’ai aucune solution à ma situation… à notre situation actuelle. A quoi bon continuer si je ne suis utile à personne ?

….

Ce serait ce que dirait Akiya, pas vrai… ?


Raol eut envie de hurler de frustration. Iel n’avait aucun raisonnement qui lui soit propre. Ses pensées étaient les paroles que son parent lui avait fait rentrer pendant près de 25 ans dans la tête. C’était imprimé. Trop profondément. Iel ne savait pas comment lutter. Et voir Ziyal qui ne disait rien, qui se contentait de se raconter des histoires, ça ne faisait qu’empirer sa colère.

Raol était réellement désespéré pour sortir de là. Iel ne s’en sortait pas seul.e, alors iel s’accrochait aux autres, tant que ces derniers lui disaient ce qu’iel voulait bien entendre, de peur de sa réaction : que ce n’est pas sa faute, après tout, qu’on peut toujours pardonner malgré la manipulation et le chantage affectif. Mais ça ne marche pas. Ça ne comble pas le vide, ne soigne aucune blessure. Ce n’est qu’un bandage qui fait de plus en plus mal à chaque fois qu’il est arraché et qui est devenu inutile avec le temps. Iel avait résisté à cracher sa détresse, à être cru.e sur sa souffrance devant Ziyal. Mais Raol avait compris que fuir était inutile. Alors, il fallait que son parent comprenne, avant de faire des erreurs encore pires que les siennes.

« Tu le sais, quand même, hein ? Qu’iel allait voir ailleurs tout le temps ? »

« Gnagnagnagna, tu sais Raol, le mariage, c’est une prison… ouais tu dis que tu t’es fiancé mais t’es trop jeune pour savoir c’est quoi l’amour, pfff… franchement, t’as pas l’âge de savoir c’que tu veux, même si tu te crois amoureux.se, t’es trop con.ne pour ça. Moi, à ton âge, eh bien, moi... ». Ah, ça, je savais tout de sa vie privée. J’en savais beaucoup trop. Qui raconte tout ça à son gosse tout en étant un tel lâche qu’iel ne peut même pas avouer à saon partenaire ?! Tsss… et encore une fois, qu’est-ce que j’ai à dire, hein ?! J’ai déjà fait pareil. Tromper. Mentir. Ça me vient tellement naturellement. A croire que c’est imprimé dans mes gênes, à force.

Ses propos restèrent plusieurs longues secondes en suspens. Ziyal quitta finalement son expression de surprise et dévia le regard, visiblement bléssé.e. Pourtant, la « révélation » de sa progéniture ne semblait ne provoquer chez ellui aucune sorte de changement. Juste un haussement d’épaule et une grimace attristée tandis qu’iel se mettait à fixer la table.

« Et alors… ? Tu n’as pas le droit de lea juger ainsi… Akiya nous aimait. »

...Quoi ? Iel savait ?!

Ziyal était doué.e pour la dissimulation. Pour jouer la comédie, se faire passer pour une victime ou juste pour l’imbécile de service, iel était très fort.e. A un point que Raol l’avait plusieurs fois réellement pensé.e complètement demeuré.e et avait pris l’habitude de lea sous-estimer. En même temps, quand on part du fait qu’un proche est stupide, c’est tout de suite plus facile de se dédouaner de beaucoup de choses.

J’y crois pas… toutes ces années iel… il n’a jamais rien dit alors que...

Tout bien réfléchi, c’était bien pire, de regarder les choses sous cet angle.

« ...Ce… c’est tout ce qui compte. Iel ne savait pas le montrer mais… iel nous aimait. De tout son cœur. »

Ça par contre, ça ressemblait définitivement à une grossière excuse pour clôre la conversation. Il était clair qu’au-délà de cet argument, Ziyal n’ avait probablement pas de bons arguments pour défendre Akiya. Pourtant, lea plus jeune resta bouche-bée, complètement estomaqué que ce soit la seule justification que son parent ait à son actif (en plus d’être un mensonge évident). De plus, ça n’allait sûrement pas lui sortir de la tête le plus choquant.

« Tu… tu savais tout, alors… ? »

« Tout », mais jusqu’à quel point ? Que j’allais ramasser Akiya presque tous les soirs ivre mort.e ? Qu’Akiya lea trompait dès qu’iel en avait l’occasion ? Mentait en permanence pour se faire passer pour un grand prince ? … Bon sang… évidemment, qu’iel savait. Personne n’est assez aveugle pour ne se rendre compte de rien pendant tant d’années.

Mais… qu’est-ce que ça change. C’est encore pire.


« Tu sais comment j’en ai chié avec ellui ?! Pour nous… pour te… pour qu’on en bave un peu moins ?! Tu savais et t’as rien fait, tu-- »

Raol s’abstint de gâcher d’avantage sa salive. Sa gorge s’était sérrée et iel avait la nausée. Ziyal se renfrogna, lançant des regards de pitié à sa progéniture, comme s’iel était totalement à côté de la plaque et n’avait aucune raison de se plaindre.

« Oh et tu crois que tu étais lea seul.e dans ce cas ?! »

Comment ça ? J’ai bien dit « nous »… évidemment que je n’étais pas lea seul.e qu’Akiya mettait dans le mal, je n’ai jamais--

Sans trop comprendre, iel laissa cependant l’animorphe à la peau kaki reprendre.

« Les choses auraient été encore pires si je m’étais confronté.e à ellui. Mais peut-être que ce que tu aurais voulu, après tout, tu l’as déjà fait, la fois où tu as décidé de fuir avec cette… cette fille ! »
« Elle s’apellait Junya. »

Siffla Raol entre ses dents avant de se taire et de baisser les yeux. Tout ça, iel s’en rappellait et n’avait jamais trop voulu y penser. Car on l’avait déjà trop fait culpabiliser sur ce sujet et à chaque fois qu’iel y repensait, lea Zeteki entrait dans une colère noire envers ellui-même et sa famille. Quelque soit la manière dont la situation aurait tourné à ce moment-là, Raol aurait été amer. Mais les dernières paroles de Ziyal lea laissèrent muet.te. Que répondre à ça ? Que fallait-il comprendre, à part qu’iel était coupable, une fois de plus.

Ziyal dévia le regard à nouveau, toujours mal à l’aise et peu confiant.e. Iel avait aussi peu envie que sa progéniture de cette conversation et allait certainement continuer à trouver des manières de faire renoncer Raol à cette conversation. Pas que lea plus jeune tienne vraiment à traverser autant de malaise d’un coup à la base, mais… au point ou iel en était, iel n’en avait plus grand-chose à carrer.

« En-en plus... tu ne comprends rien... »

Le ton de son parent était peu assuré, comme s’iel cherchait ses mots pour trouver de nouveaux arguments foireux. Raol avait beau être complètement buté et bouché, iel n’était pas complètement stupide et commençait doucement à comprendre.

Peut-être que ce n’est pas tant que Ziyal veuille me mentir que… qu’iel se protège pour ne pas se souvenir de ce qu’ellui à vécu et subi.  

Ceci n’apaisa pas la colère de l’animorphe à la peau dorée pour autant. Cela ne changeait rien au fait que les mots culpabilisants et accusateurs de son parent étaient blessants, même s’il était clair que Ziyal était simplement sur la défensive.

« Quand… quand on… est des survivants comme ellui et moi, eh bien… on se satisfait de ce qu’on nous offre. »

...Hein ? Oh, non, iel ne va pas me refaire tout le récit de notre famille décimée pendant la migration, quand même ?!

Évidemment, Raol savait qu’il s’agissait d’une expérience des plus traumatisantes. Du moins, iel l’imaginait. Mais iel ne voulait pas les écouter quand c’était utilisé pour lea faire taire, comme s’iel avait encore 8 ans.

« Et Akiya nous a offert bien plus que nous n’aurions jamais pu avoir… si nous n’avions pas été acceptés en Yggdrasil grâce à ellui. »

Raol roula des yeux et souffla furieusement des narines.

Ahah ! Alors ça, oui, c’est vraiment une rhétorique imparable : « oh écoutes, si on avait pas survécu eh bah on serait MORT.E.S et tu n’aurais même pas existé, alors arrêtes de te plaindre ! »… Hahaha. Bordel iels m’emmerdent avec leurs complexes de survivants de l’enfer à la con !

« Et alors ? Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? »

Soupira avec exaspération lea plus jeune en se massant les paupières. Ziyal eut l’air choqué sur le moment et peut-être qu’à la réflexion, Raol était un poil trop sec.he. Mais à sa décharge, Ziyal n’était pas un enfant et devais pouvoir entendre des choses un peu difficiles. Surtout après avoir été ménagé pendant des années.

Après un long silence pesant, Ziyal continuait de fixer la table comme un.e gamin.e coupable. Comme s’iel était un perroquet dont la mémoire bouclait sans arrêts, lea plus agé.e repris son laius de plus belle.

« Mais tu sais… tu sais bien qu’Akiya était sans cesse sous pression… tu ne peux pas lui en vouloir d’avoir cherché un échappatoire. Se consacrer entièrement à son travail pour faire vivre sa famille sans jamais se reposer… c’est dur, tu sais ? »

Raol secoua la tête dans son agacement. Iel s’attendait à ce que Ziyal continue de faire l’apologie d’Akiya comme si sa vie en dépendait. Après tout, probablement qu’iel s’était habitué.e à toujours trouver des excuses à saon partenaire par peur de ce qu’iel pourrait lui faire. Peut-être que sa mémoire était réellement altérée à cause du traumatisme… les problèmes de mémoires chez les eossien.e.s, sont, en plus de ça, fréquents depuis le Réveil, à un point où c’en est alarmant.

Lea plus jeune soupira une fois de plus.

« Qu’est-ce que tu crois que je fais, depuis des années... »

Gromella-t-iel d’une voix désabusée, sachant pertinemment que Ziyal dirait sûrement d’une voix molle que « oh mais ce n’est pas pareil tu sais... ».

De toute façon, c’est pas ça qui est important. C’est pas de ça que je veux parler.

Les deux grenouilles se turent, le cœur au bord des lèvres et toujours pas franchement à l’aise. Le silence dura un bon moment, renforcée par la quiétude totale de la nuit.

« Je m’en fous de tout ça. Tout ce que je veux dire c’est que… Akiya n’est plus là. »

Ziyal resta muet.te, sans grande surprise.

« Faut qu’on arrête de vivre comme ça. Comme s’iel était toujours là pour nous... »

Un frisson de malaise l’envahit et la nausée lui revint. Iel comprenait la terreur de son parent, en réalité. Ses mots étaient lancés comme ça, sans aucune certitude qu’iel parvienne à se tenir à ses propositions. Sa voix se faisait hésitante tandis qu’iel énonçait ce qui lui faisait du mal et l’empêchait d’avancer sans qu’iel ne le réalise vraiment.

« ...pour nous menacer et nous… »

Raol dû s’arrêter au milieu de sa phrase. Iel se sentait mal et d’un coup, iel doutait de tout.

...Et si Ziyal avait raison, au final ? Peut-être que j’ai tout déformé. Peut-être que j’ai inventé tout ce qu’on a pu vivre pour… pourquoi j’aurais inventé tout ça ? Ai-je vraiment souffert de tout ça si je suis encore bien vivant.e actuellement ? Mais… pourquoi… pourquoi vivre normalement serait si compliqué pour nous s’il ne s’était vraiment rien passé ? Pourquoi aurions-nous cette conversation ?

Même si toutes les preuves étaient de son côté, lea plus jeune ne pouvait que remettre en question ses certitudes. C’était devenu une habitude, de se méfier de tout et surtout de ses propres sentiments. C’était ancré trop profondément.

Ziyal a l’air de dire que c’est inutile d’essayer de changer quoique ce soit. Iel est résigné.e. Iel pense peut-être réellement que sa vie n’a aucun sens sans son partenaire. Je… je ne sais pas si la mienne en a un, honnêtement. A part chasser les étrangers et me venger de…



De quoi… de qui je veux me venger, en réalité ?


Depuis le Réveil, Raol n’a qu’une directive en tête : « ce qui nous arrive est injuste et il faut le rectifier en reprenant ce qui nous appartient ». Mais le « nous » n’avait jamais été qu’un « moi je », au final. Raol n’avait pas su agir pour le bien commun, iel n’avait pas réussi à se faire entendre car au fond, iel se bat contre autre chose et seulement pour ellui-même.

Contre tout le monde. Contre chaque personne qui ne veut pas aller dans son sens, qui ne veut pas approuver l’affaire personnelle qu’il a fait de tout ce qui se passe depuis 2 ans. Car ce qu’iel combat, finalement, c’est de ne pas avoir eu la chance d’avoir eu un entourage sain et qui l’a endommagé.e, réduit à néant son estime d’ellui-même, puis rendu.e complètement paranoïaque et égocentrique. Des choses qui ne peuvent être changé. C’est plus facile d’être en colère contre quelque chose qui ne changera pas : c’est impossible d’avoir tord.

Je ne… je n’ai jamais voulu… je n’ai pas choisi cette famille ou tout ce qu’on m’a fait vivre. C’est injuste. Pourquoi je devrais m’excuser ?!

Je voudrais…

Je dois…

J’aimerais…
Qu’est-ce que je fais… ?
Il faut--


Sa pensé et son anxiété s’emmêlèrent. D’un coup, Raol ne parvenait plus à penser à quoique ce soit où à formuler sa pensée. L’angoisse tendit son corps, il avait l’impression qu’un bruit blanc avait envahi son crâne, l’empêchant de faire sens de quelque soit la chose qu’iel tentait d’expliquer  à la base.

« ...Raol… ? »

La voix de Ziyal lea ramena à la réalité. Quelque chose n’allait vraiment pas et ce n’était pas simplement son état physique actuel et la crispation de son corps qui l’empêchait soudainement de parler. Ce n’était pas la première fois que le chaos s’investissait ainsi dans son esprit tandis qu’iel revivait l’etat d’angoisse permanente d’avant la mort d’Akiya. Quelque chose ne fonctionnait pas. Sa logique ne fonctionnait pas. Ne fonctionnait plus.

Quand Raol demandais à Ziyal d’arrêter de parler d’Akiya comme s’iel était en vie, c’est qu’il voulait qu’iel change, au fond, iel savait que les choses devaient changer.

Mais comment est-ce que quoique ce soit peut changer ? Je n’y arriverais pas. On n’y arrivera pas. Les gens partent déjà devant et ça semble impossible de les rattraper.

« P-pardon, je... »

Articula-t-iel finalement, respirant à nouveau tandis que ses pensées sortaient doucement du brouillard. Son souffle était encore court et ses poings trop serrés lui faisaient mal.

« Je sais pas... »

Iel fut pris d’un tremblement. Sa gorge lui faisait mal et ses oreilles bourdonnaient. Iel sentit ses yeux humides tandis qu’iel se baissait vers la table.

« ...Je sais plus quoi faire. Je sais pas… je sais pas comment réparer. »

Sa voix se fit chevrotante, affaiblie par les quelques sanglots qui franchissaient sa gorge.

Je voudrais juste retourner dans le passé. Me secouer, éviter de tomber si bas. Résister. Ne pas revenir. Ne pas abandonner Junya. Ne pas tuer. Ne pas haïr absolument tout. Ne pas… C’est stupide, on ne retourne pas dans le passé. Pourquoi suis-je aussi stupide ? Pourquoi tout le monde comprend ça, sauf moi ?! Pourquoi est-ce que je ne peux pas avancer normalement, comme tout le monde ? Pourquoi je ne peux pas simplement... vivre sans haïr en permanence ?

« Je déteste tout le monde. »

Ça changera pas, hein ? C’est pour ça, que rien ne marche. Je les hais. Je ne sais pas faire autrement. C’est moi, qui suis injuste.

J’en peux plus.

Ce n’est pas moi.

Moi, qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce qu’on a fait de moi ?


Iel sentit les larmes couler sur ses joues. Lourdes, douloureuses.

« Je suis rien…. on est rien. C’est tout ce qu’iel a fait de nous. On est juste bon.ne.s à avoir peur et à détester, maintenant... »

Ziyal se rapprocha doucement. Son souffle était court et iel renifla à son tour. Sa main tremblottante se posa sur le dos de sa progéniture, l’effleurant doucement pour ne pas l’éffrayer.

« M-ma rainette râleuse… je... »

Son front se posa sur l’épaule de lea plus jeune qui hoquetta et pleura de plus belle dans ses mains, le visage sans doute pas bien beau à voir et couvert de morve.

« Raol je… je ne voulais pas... »

La détresse de lea plus jeune avait l’air d’avoir produit quelque chose chez Ziyal. Peut-être qu’avoir vu Raol résister pendant tout ce temps l’avait fait douter qu’iel pouvait ellui-aussi se sentir mal et pleurer ainsi. Cela faisait si longtemps qu’iel se contenait en sa présence… qu’iels ne s’adressaient même plus la parole.

« … je suis désolé.e… je ne savais pas que tu étais si mal. Je ne savais même pas que tu étais triste, tu… tu ne me l’as jamais dit. »

Raol eut un haut le cœur et grogna contre son parent, sur la défensive.

« Et t-tu… t-tu pouvais pas t’en rendre compte plus tôt ?! »

Ellui non plus n’avait pas essayé de comprendre Ziyal, avant ce soir. Iel s’en rendit rapidement compte et se crispa à nouveau. Mais Ziyal ne s’effondra pas comme iel aurait pu le faire dans d’autres circonstances, comme iel le faisait pour éviter certaines discussions.

« Pardon. Je ne… tu ne m’as jamais laissé approcher depuis que… »

Raol se tendit, presque irrité que l’autre tente de s’expliquer sans trouver les bons mots.

« Mais moi non plus je… je ne pouvais pas. J’aurais dû, mais... »

Non, iel n’avait pas besoin d’en dire plus. La forme était maladroite, mais Raol comprenait là où Ziyal voulait en venir. Évidemment, ça ne changeait pas grand-chose dans l’absolu. Lea plus jeune tremblait toujours de colère, mais les mots de son parents, du moins leur fond l’avait atteint.

On s’est perdus.

On ne peut pas retrouver le chemin.


Et ça prendra sûrement du temps. Beaucoup de temps.

Après un long moment, les deux animorphes séchèrent leur larmes et restèrent silencieux. Ziyal s’endormait un peu sur l’épaule de son enfant qui s’était sans trop s’en rendre compte accroché à la manche de lea plus agé.e. Le cœur de Raol avait repris un rythme normal, tout comme sa respiration. Il faisait sommeil. Et froid, près de la fenêtre ouverte.

Après s’être essuyé grossièrement le nez et le visage dans sa manche, la grenouille à la peau dorée se redressa, réveillant Ziyal au passage qui était un peu déboussollé. Iels se contentèrent d’aller chacun se coucher de leur côté, sans revenir sur ce qui venait de se passer. Ça leur prendra du temps, de revenir sur cette lourde conversation qu’iels auraient sans doute dû avoir bien plus tôt. Mais, en attendant, Ziyal se contenta de s’arrêter à sa porte, pour fixer Raol dans le noir.

« Bonne nuit, Raol. »

Il lui avait semblé voir un sourire triste se dessiner sur le visage de son parent. Après être resté un instant immobile, Raol finit par lui rendre la pareille.

« Bonne nuit. »