Début août
1001
Racines
One Shot
Dans une histoire, il y a toujours un moment où la vie du protagoniste bascule. Dans celles que Samaël a l'habitude de lire, tout du moins. La lecture de romans a toujours été un loisir important dans sa vie. Il s'évade en même temps que les héros qui s'y trouvent, se place même parfois à leur place quand il arrive à s'identifier, et flâne en imaginant que sa vie pourrait être elle-même un de ces contes qu'il adore, avec ses personnages, ses aventures, ses péripéties... Et ses rebondissements. Il est pourtant loin d'être un chevalier exemplaire que l'on trouve dans ces fantaisies, mais les surprises qui se trouvent sur son chemin, elles, sont au rendez-vous. Et il n'en est pas au bout. Sa vie n'a jamais été bien extraordinaire, à partir du moment où il a quitté les dortoirs de l'orphelinat. Il y a des concepts qui lui échappent pourtant toujours ; celle de la famille, notamment, qu'il a découvert au travers de ses proches mais sur lequel il tatillonne tout de même encore. Il ne peut en être autrement, après tout, quand on lui a conseillé de ne s'attacher à personne lorsqu'il était enfant et qu'il a vu ses ami.es partir les un.es après les autres dans ces mêmes familles qu'il aurait souhaité rejoindre. Mais passé quatorze ans, il a bien compris que les chances étaient minces, voire inexistantes. Alors il a fini par s'y faire.
Il avait bien une famille, à l'orphelinat, lorsqu'il y pense. Windie, sa fidèle compagne de toujours. Elle était là depuis aussi longtemps qu'il arrive à s'en souvenir. Il trouve cela drôle. Mais elle ne doit plus être toute jeune, à présent. Des fois, il y pense. D'autres fois, il ne veut pas le faire. Les chiens ont une espérance réduite par rapport aux humains, il le sait. Mais elle a vécu jusque là ; pour lui, il s'agit d'un signe. Un signe qu'elle continuera d'être à ses côtés. Il se demande même de temps à autre si elle n'est pas une sorte d'esprit ou de déesse. On l'a sous-estimé à de nombreuses reprises parce que ce n'est qu'un animal, mais pour l'Enodril, c'est bien plus que ça. C'est une part de lui qui l'a toujours suivi, même sur les champs de bataille. Il ne sait pas ce qu'il ferait, sans elle. Quand il a commencé à vivre seul et par ses propres moyens, cela le rassurait, quelque part, de savoir qu'une présence l'attendait. 'Quelqu'un', qu'il aimait dire, même si cela pouvait sembler ridicule aux yeux de ses collègues qui avaient, pour la plupart, une famille qui espérait leur retour au foyer. Lui il n'avait que Windie, mais ça lui convenait tout à fait. Elle comprenait en plus tout ce qu'on lui disait. Elle était la plus adorable des chiennes, le réconfortant quand le moral était bas, le sortant de ses moments de solitude, et s'occupant de lui quand il était malade.

« Ça va pas, ma belle ? »

Ce soir, c'est elle qui est malade. Allongée sur son panier, elle n'est pas au mieux de sa forme. Ces derniers temps, il la sentait en effet fatiguée, de plus en plus. Il y a eu beaucoup de choses qui se sont produites en peu de temps. L'Enodril pense que c'est ça qui a dû l'épuiser. Une retraite s'impose pour elle, songe-t-il souvent, même si cela lui fend le cœur de savoir qu'elle ne pourra plus l'accompagner partout, ayant été habitué à sa présence. Il sent bien qu'elle a du mal, aujourd'hui. Elle n'a presque pas touché à son repas alors qu'il lui prépare toujours avec grand soin. Sa température, remarque-t-il, est en plus assez élevé par rapport à d'ordinaire. C'est une mine inquiète qui apparaît sur le visage de son maître. Il n'aime pas la voir ainsi. Il a peur qu'elle se mette à lui filer entre les doigts. Il ne veut pas croire que cela puisse être la fin. C'est juste... Une petite maladie de rien du tout, espère-t-il.

« Je vais t'emmener chez le médecin. »

Dehors, il se fait tard, mais mieux vaut prévenir que guérir dans tous les cas. Guérir dans ce cas-là aussi, tant qu'à faire. Yggdrasil est endormi mais il sait pouvoir trouver à l'hôpital du personnel encore éveillé qui pourront prendre en charge son amie. Il la porte donc dans ses bras pour sortir de chez lui, de manière aussi délicate que possible. On ne le croirait pas aussi doux, pourtant. Brute qui aime boire et faire la fête, mais cela ne l'empêche pas, heureusement, de faire preuve de tendresse. Car il en a à revendre, à celleux qui veulent bien en recevoir, et quand il ne joue pas aux idiots.
Windie le sait. Lyra le sait. Il ne l'a jamais connu que sous sa forme animale, mais elle savait ce qu'elle risquait si elle dévoilait sa véritable identité, à lui ou à d'autres. Son nom et celui du père de son enfant ont été salis. Avec toutes les calomnies que l'on disait d'eux à leur progéniture, ce dernier avait fini par nourrir une haine à leur encontre, les accusant de tous les maux possibles. En dépit de cela, elle a tenu à veilleur sur lui d'une façon ou d'une autre ; même si cela voulait dire se cacher toutes ses journées derrière une apparence de quadrupède. Mais ce soir, Lyra a du mal. Elle se sent malade et angoisse à l'idée que son secret puisse être découvert par la même occasion. Elle s'agite un peu dans les bras de celui qui la porte, mais ce dernier, sans comprendre sa démarche, refuse de la laisser s'échapper, évidemment.

« Arrête de gigoter ! Il faut que l'on te soigne, tu comprends ? »

Il sait qu'elle comprend. Il trouve que c'est une chienne remarquablement intelligente ; la plus intelligente qu'il ait connu, même, et pas seulement parce que c'est la sienne. C'est en effet très aisé de comprendre ce que disent les humains quand on en est la moitié d'un. Mais c'est lui, cette fois, qui ne comprend pas les enjeux, malgré sa gentillesse et sa dévotion pour elle. Ces deux qualités ne sauraient la sauver de l'inévitable, elle le craint. Elle est toutefois fière de lui pour la façon dont il s'est toujours occupé de cette Windie dont elle se fait passer. Et c'est déchirant, quelque part, d'avoir dû lui mentir toutes ces années ; d'avoir eu la motivation de continuer à le faire et de se dire que c'était ce qu'elle aurait toujours fait.
Mais elle se sent faible. Si faible. Ses forces la quittent petit à petit. Elle s'épuise, à vouloir s'enfuir, manque même de mordre son porteur. Mais elle n'ose pas. Au lieu de ça, elle finit par le gnaquer.

« Hééé ! Windie ! »

Il tient quand même fermement son amie dans les bras, mais cette dernière parvient à s'échapper de justesse, finalement. À cette heure-ci, les rues sont désertes et tranquilles. Une chance, se dit-elle. Elle pourra disparaître dans la nuit pour revenir au petit matin quand elle ira mieux. Oui. Sur le moment, elle se dit que c'est une bonne idée. La meilleure. Mais dès qu'elle pose les pattes à terre, son énergie peine à la maintenir debout et elle s'écroule sur le pavé rendu glacé par la nuit fraîche.

« Windie ! »

Et il l'appelle encore, énervé cette fois par ses tentatives de fuite. Haletante, la chienne reste cette fois-ci au sol mais geint quand l'humain s'en approche. La maladie tend à faire dysfonctionner ses pouvoirs de métamorphose, malheureusement pour elle. Quelques étincelles finissent par l'entourer. Sa magie s'affaiblit.

« Qu'est-ce que... »

Samaël s'immobilise devant la lumière qui entoure sa chienne. Son cœur rate un battement ; il croit que ce sont des esprits venus la chercher pour son dernier voyage. Le halo magique la recouvre complètement, changeant sa forme, la transformant. Lorsqu'il s'estompe, c'est une femme qui apparaît à la place de la Pyrénées qui se trouvait à terre.

« Windie ?.. »

Elle a disparu. Ne reste qu'une humaine à l'emplacement où elle se trouvait. Une femme d'une cinquantaine d'années, aux yeux noisette et aux cheveux châtain clair. Alors, naturellement, il ne comprend pas. De son regard ambré, il cherche sa compagne de toujours, se tournant, retournant, la poitrine agitée de peur qu'il l'ait perdu dans la pénombre. Si elle ne le montre pas, Lyra panique. Son front brûlant ne lui permet pas de penser à grand chose, néanmoins. Elle a une fièvre non négligeable, elle le sait. Mais elle ne pourra pas se déplacer toute seule. Elle se doute, pourtant, de ce qui l'attend désormais.

« Windie... Où est-elle ?.. Qu'est-ce que vous en avez fait ?! »

Elle sent sa confusion. Son énervement. Sa panique. Son esprit est perdu. Il sort son épée pour la pointer en sa direction comme si elle était une ennemie. Sa main, pourtant, tremble au niveau du pommeau à la manière d'un débutant en la matière, alors qu'il en est bien loin. Windie, ou plutôt Lyra, n'a pas peur. Elle fait de son mieux pour relever la tête afin de lui parler, rassemblant le peu de force qu'il lui reste. L'heure n'est pas aux explications, mais elle se doute qu'il doit se poser des tas de questions. Elle veut s'efforcer d'y répondre. Elle lui doit bien autant de réponses.

« C'est moi... Samaël... Je suis Windie.
- … Quoi ?.. Qu'est-ce que vous racontez ? R-Répondez-moi !.. »

Son épée est sortie mais loin d'être tendue. Il n'a pas l'air d'oser le faire totalement. Son but n'est pas de blesser. Il s'agit plutôt d'un réflexe. Il finit par l'abaisser un peu, s'accroupissant auprès de la plus âgée. Ses pensées sont dans le désordre. Il croit rêver. Lorsqu'il plonge son regard dans celui de l'autre, toutefois, on ne peut s'y tromper. Il retrouve cette même lueur familière, cette même douceur, cette même bienveillance... Sa voix se brise. Il peine à y croire.

« Tout ce temps... Tu étais une animorphe ?.. »

Elle ne répond pas directement. C'était une question rhétorique. Il n'a pas le choix de croire en ce qu'il voit. Mais cela lui fait un choc. Quelque part, il s'agit toujours de Windie. Mais d'autres parts, c'est quelqu'un qu'il ne connaît pas. Qu'il n'a jamais connu alors que cela fait trente ans qu'ils sont ensemble.

« Mais... Je ne comprends pas... Que... Qui êtes-vous ?.. Pourquoi... »

Les mots se perdent. Ne sortent pas. Il pose toutefois la question qui lui brûle les lèvres, accapare son esprit, lui fait mal à la tête, aussi. C'est au tour de Lyra de trembler. Elle scrute le cadet avec une grande affection mais une tristesse infinie. Elle se rappelle comme si c'était hier du jour où elle l'a tenu dans ses bras pour la première fois. Du jour, également, où ce fut la dernière. Et elle a tant rêvé de lui dire. De lui avouer qui elle était. Cela était devenu dangereux, mais elle s'en fiche. Ce n'était pas ce qui comptait. Elle devait être là pour lui. Se cacher pour le protéger, le temps qu'elle ne soit plus recherchée par les soldats. Le temps que son séjour en prison soit loin derrière elle. C'est avec émotion que ses larmes se mettent à monter à ses yeux. À couler sur ses joues rougies par la fièvre. Elle esquisse un sourire tendre, mais peiné. Maternel, mais meurtri.

« Mon nom... est Lyra. Je suis... Ta mère, Sam... C'est moi, qui t'ai mis au monde... Je me suis cachée derrière mon apparence animale durant toutes ces années. »

Péniblement, elle lui révèle la vérité qu'elle gardait pour elle durant toutes ces longues années. Même si elle ne comptait pas lui avouer tout de suite, cela la soulage d'un poids immense qu'elle pouvait presque ressentir physiquement.
L'Enodril, lui, se redresse. Recule lentement, comme apeuré. Comme s'il se trouvait devant une bête effroyable. Son regard est perdu, tout autant que lui. Sa main libère même son épée qui retombe lourdement sur le pavé. Une telle révélation est en effet bien pesante. Lyra peut le voir se décomposer, ressentir jusque dans sa poitrine les sentiments contraires qui se bousculent en lui. À l'instant, la colère prime sur les autres. Il grogne. Se remémore ce qu'on lui a toujours dit sur ses géniteurs.

« Non... Non ! Vous mentez ! Mes parents m'ont abandonné !.. »

Et quoi bon l'écouter ? Ce sont sûrement des balivernes. Des mots pour le déstabiliser. Et pourtant... Il sent un courant froid lui traverser le corps, faire monter l'humidité dans ses yeux. Il tremble même légèrement. La description qu'on lui avait faite de sa mère biologique correspond pourtant à ce qu'il aperçoit devant lui. Ou du moins, le peu qu'on lui a dit, pour qu'il cesse de poser des questions à ce sujet. Le portrait décrit alors était néanmoins beaucoup moins flatteur. Il n'y avait pas cette humanité, cette bonté dans ces traits. Elle ne constitue pas une menace. Elle est loin d'être dangereuse. Et c'est sans doute réellement la même chienne qui a toujours été à ses côtés. Il a du mal à y croire. Il se sent trahi. Sans réellement savoir s'il arrive à faire confiance à ce qu'elle lui raconte, la rancune qui demeurait en lui remonte d'un coup, et il se lâche, finalement, pour dire ce qu'il a toujours souhaité répondre à ceux qui lui ont donné la vie s'il avait un jour l'occasion de les rencontrer.

« Vous m'avez abandonné ! Je vous déteste ! Je vous hais ! »

Il la rejette. D'une violence qu'elle ne lui connaissait pas à son égard. Dans son regard des éclairs dansent, se transforment en brasier. Il serre les dents. Il en a vu assez. Ses pas le font partir. Il s'en va, lui tourne le dos, court dans la direction opposée, les pensées entourées d'une brume opaque qui le rend aveugle. Ou peut-être que ce sont ses larmes qui obstruent réellement sa vue. Sans qu'il ne s'en rende compte, il revient chez lui. Essoufflé, il rentre et ferme la porte derrière lui d'un coup sec, avant de se laisser tomber contre l'entrée, les jambes repliées contre sa poitrine. Il semble à peine conscient de ce qu'il vient de se passer. Est-ce qu'elle a dit vrai ? Est-elle réellement sa mère ? Il ne peut qu'en douter. Cela ne colle pas. On lui a toujours dit que ses parents étaient morts tous les deux. Et ça l'arrangeait bien d'y croire quand il ne voulait pas s'attacher à des figures qu'il s'imaginait pourtant parfois. Il s'est souvent demandé ce qui se serait passé si on ne l'avait pas délaissé. Si sa famille avait bien voulu le garder. Mais on lui a souvent répété que son statut de bâtard l'empêcherait d'accomplir quoi que ce soit. Qu'il fallait qu'il se rende utile à la communauté et lui dédie sa vie pour espérer être considéré de manière honorable. Cela ne l'a jamais empêché, toutefois, de s'inventer sa propre histoire. Il se souvenait d'une dame qui venait parfois à l'orphelinat le soir pour embrasser son front et le border, se penchant au-dessus de son lit alors qu'il était à moitié endormi, venant uniquement à ce moment-là. Son visage était caché par la pénombre, alors il ne s'en souvenait jamais. Il croyait à une illusion de son esprit. Mais elle était douce. Comme un flash, ce n'est que maintenant qu'il réalise que la femme de ces fois-là était la même que celle qu'il vient de quitter. Les larmes qu'il tentait de refluer se mettent tout de même à couler, incontrôlables. Sa main se porte instinctivement à son front.
Je croyais l'avoir rêvé, ce baiser...



Lyra est surprise une bref instant lorsqu'elle le voit s'enfuir, avant de se dire que c'était prévisible, tout compte fait. Elle savait à quoi s'attendre. Elle savait que ça ne risquait pas de bien se passer. Pour ne rien arranger, elle sent quelques gouttes dans ses cheveux. Elle se laisse retomber sur le pavé, épuisée. Un sourire manque de lui échapper. L'animorphe est heureuse malgré tout d'avoir laissé échapper cette vérité qui la faisait souffrir depuis tout ce temps. Sans doute qu'elle a eu tort d'attendre aussi longtemps. Sans doute qu'elle aurait dû lui révéler plus tôt. Lui raconter son histoire dès le début. Lyra n'a jamais prétendu faire de bons choix. Elle a juste cru prendre ceux qui lui semblaient les meilleurs sur le moment. Elle voulait juste... Continuer de prendre soin de lui à sa manière, même si pour cela elle avait dû revêtir une apparence contraignante. Une vie de chien, littéralement. Pour elle, ce n'était pas grand chose, si elle pouvait être auprès de son enfant. Si elle pouvait le voir grandir. Si elle pouvait le rassurer. Elle ne s'étonne pas de sa colère. À ses yeux, sa peine et son dégoût sont légitimes. Elle ne lui en veut pas. Tout au plus elle est étonnée qu'il ne l'ait pas blessé, même si la laisser à son sort, finalement, cela revient au même. La pluie au-dessus de sa tête s'intensifie, comme si elle se moquait d'elle. Mais ce ne sont que des petites gouttes d'eau. Elles sont inoffensives, comparé à la toux qui la prend soudainement. Mais elle est résignée. Si le froid, la faim, ou la maladie l'emporte, elle l'acceptera.
Je l'ai mérité. C'est tout ce que j'ai mérité.

L'odeur de Sam est encore fraîche malgré la pluie. Elle est même encore plus forte. Elle se rapproche. Interdite, Lyra relève faiblement le regard vers la silhouette du soldat qui revient sur ses pas pour revenir vers l'animorphe. Ce dernier a toujours le visage particulièrement dur et sombre. Sans un mot, il ramasse l'épée qu'il avait laissé par terre. Puis, son bras lève l'arme en l'air. Le cœur de la plus âgée s'accélère d'un coup. Elle aurait préféré lâcher son dernier souffle par autre chose que la main de celui à qui elle a donné son premier. Mais si Omnis et Oros l'ont décidé ainsi... Peut-être était-ce comme ça que sa vie devait finir. Alors elle baisse la tête, préférant fermer les yeux plutôt que de regarder la mort en face.
Le coup, toutefois, ne vient jamais. Un bruit de lame lui fait relever l'œil vers le cadet. L'épée, il l'a remis dans son fourreau, à sa place initiale. Est-ce qu'il a fait tout ce chemin pour récupérer son arme ?.. Oui. Mais pas que. Avec une douceur insoupçonnée, en comparaison de ses agissements précédents, il prend contre toute attente sa génitrice dans ses bras pour la soulever. Lyra sent son cœur rater un battement. L'expression de l'Enodril n'a pourtant pas changé. Elle est sévère et fermée. Mais Lyra sent quelque chose au fond de lui qu'elle a reconnu. Une petite lueur qui ne s'est pas éteinte.



« Tu es revenu... »

Allongée dans son lit, la cinquantenaire observe son fils réchauffer la couette qu'il a mis sur elle. Malgré sa frustration, ses mouvements ne sont pas particulièrement brusques. Il est maîtrisé, mais son ton est aussi froid que les montagnes d'Altissia.

« J'ignore pourquoi. »

Oui, pourquoi ?.. Ce fut instinctif. Sa mère l'a compris.

« Tu ne tournes pas le dos éternellement. Tu n'es pas comme ça. »

Et en effet, après la crise de larme, il est revenu auprès d'elle. Il l'a porté jusqu'à la maison et l'a placé dans son lit afin qu'elle se repose. Ce n'était pas très sûr de la laisser dehors par ce temps même pour trouver un médecin. Quelques bases de l'orphelinat où il devait s'occuper d'enfants malades lui sont restées, heureusement.

« Je t'emmènerai voir un médecin quand la pluie se sera un peu calmée. »

Il la tutoie, à présent. Il s'en fiche. Elle aussi. Il n'a pas envie de se casser la tête plus que ça. Il ne l'aime pas, c'est certain. Il lui en veut énormément pour lui avoir menti toutes ces années, et pour tout le reste. Malgré tout, pouvait-il la laisser derrière ? Sûrement pas. Qu'il l'accepte ou non, elle a toujours été avec lui, à sa manière. Ses méthodes n'étaient peut-être pas juste les bonnes, et ils en subissent tous deux les conséquences aujourd'hui.

« Tu me jetteras dehors, ensuite ? »

Elle est inquiète malgré tout. Quitte à survivre ce soir, qu'est-ce qu'il lui arrivera par la suite ?

« Non. Comme tu dis, je ne suis pas comme ça. »

En silence, il pose une serviette humide sur son front pour en diminuer la fièvre. Pendant un moment, elle devra supporter sa rudesse et son amertume. Et ses questions.

« Mais tu me dois des explications. Et des bonnes. »