Moins de darons, plus de potimarron Avec Gabimbo |
"Tu veux pas qu'on aille manger des pommes, plutôt ?"
Trop curieux de tout ce qui l’entoure et de son hôte, Raol ne remarque pas tout de suite la gêne et la tension qui envahissent les attitudes de Gabryel. Ce dernier ne lui en fait pas part non plus, mais l’on peut facilement imaginer que la grenouille serait tout aussi embarrassée de laisser le caldissien entrer chez lui. Lorsqu’il lui a proposé de venir jusque dans sa maison, Gabryel ne se rendait peut-être pas compte d’à quel point une telle proposition pouvait être intime. Il y a quelques heures, Raol aurait préféré s’enfuir en courant que se faire inviter dans la demeure du général, probablement pour ces mêmes motifs. Par peur de ce qu’être invité dans ce cocon, ce lieu de vie si personnel, pourrait signifier pour leur relation. Mais, après leurs discussions maladroites, iel se sent plutôt honoré d’être là et aussi, étrangement à l’aise et en sécurité. Bon, ce n’est pas pour autant que les lieux ne l’impressionnent pas un peu.
Il n’y a pas que les lieux qui sont un poil intimidants, d’ailleurs. Et iel ne pense pas au fait que sous sa forme de grenouille, iel est bien minuscule face à son ami. La capacité du général à s’ouvrir et à se livrer à l’exploration de ses propres émotions a toujours provoqué quelque chose de particulier chez la grenouille. Ça l’impressionne. Au départ, iel détestait profondément la nymphe quand elle faisait son drame de riche caldissien isolé de sa terre natale. Ou simplement quand il essayait de lui faire part de ses sentiments. Gabryel a une manière bien à lui d’être sentimental… Raol a passé des mois à trouver ça indécent et franchement dérangeant. Probablement parce qu’iel envie son pote de Caldis sur ce point. Ellui ne sait pas comment comment appréhender ses propres émotions. Iel serait bien incapable de se lancer dans de longues tirades comme le fait le général Ouin-ouin.
Ouais, bon, te mets pas à quatre pattes pour ça non plus, Zeteki (quoique, c’est déjà le cas en fait). On le sait, que tu le trouves canon quand il est inspiré et dramatique, ton général. Ehehe.
Comme quoi, tout change. Lorsque l’autre mentionne à nouveau sa famille, la grenouille sent un certain malaise l’envahir. Le sujet a l’air de rendre son interlocuteur morose. Puis, ses mauvais à priori ne sont pas prêts de partir de sitôt, après sa rencontre avec Venomania Père. Maintenant, iel est certain qu’à part Gabryel, iels sont tous comme ça. Ce n’est pas aujourd’hui que sa rancune deviendra moins tenace. Mais bon, normalement, lea Zeteki n’aura pas à fréquenter les Venomania de trop près pour le moment (enfin, à part celui qu’il a envie de fréquenter de très près). Lorsque le visage de Gabryel s’illumine à nouveau en parlant de son pays, la petite grenouille sent son cœur s’emballer de plus belle.
Pfouah… Oui bon ça va on a compris que t’es beau et que t’as encore plus de swag qu’une pomme bien rouge Gabryel. Maintenant, arrêtes de briller, ça fait mal aux yeux.
La grenouille ferait mieux de s’essuyer quand elle bave, de son côté. Iel force un sourire compréhensif lorsque l’autre lui parle de son attachement à son pays d’origine et insinue que Raol aime Yggdrasil de la même manière. Déstabilisée, la grenouille n’ose pas couper l’autre, mais elle a failli se manifester pour affirmer, très sèchement que « non, je ferais jamais ça pour Yggdrasil ». Le fait que cette certitude soit si présente à son esprit lea met mal à l’aise. Pas qu’iel ne le suspectait pas déjà. Puis, il comprend bien ou Gabryel veut en venir, mais, tout de même. Le batracien ne sait pas ce que c’est, d’être attaché à sa patrie autrement que par quelque devoir pénible et par une espèce de reconnaissance obligatoire. Iel pensait que tout le monde faisait ça par obligation et sous une pression sociale ou familiale, comme ellui. Mais, visiblement, ce n’est pas le cas.
Toute cette conversation lea mettait déjà en terrain inconnu, mais la suggestion de son ami lea pris à nouveau de court. Bouche-bée, la grenouille reste muette et fantasme, l’espace de quelque secondes, rencontrer des cousins très très éloignés partis vers Caldis. Iel s’imagine d’un coup une famille moins brisée que la sienne et qui a trouvé sa place dans l’est du continent. Au soleil de Caldis, sans le froid de l'hiver…
Non mais ça suffit, à quoi tu penses, là ?!
« E-euh… »
Il bug, l’amphibien. Iel cligne des yeux puis se reprend.
« Tu… ferais vraiment ça… ? J’veux dire, tu peux… ? »
Son cœur se serre tandis qu’iel pense à Ziyal. Son parent lui a raconté que l’essentiel de sa famille, les Rhinellae, est partie vers l’est. Si Ziyal est en Yggdrasil, c’est parce qu’il a suivi Akiya par amour. Tout ce qu’iel a gagné, c’est d’être plongé dans la dépression à cause d’un compagnon violent et manipulateur, même s’iel assure qu’Akiya n’avait que de bonnes intentions. Comment Ziyal réagirait-iel, s’iel apprenait que les descendants de sa famille étaient en Caldis… ? L’espoir envahit soudain la grenouille qui entre-aperçoit une solution qui permettrait peut-être à son parent d’aller finalement mieux, d’arrêter de se laisser dépérir avec ses regrets.
Et si… si notre avenir pouvait être ailleurs ? Est-ce que Ziyal accepterait l’idée qu’Akiya s’est gourré ? Est-ce qu’il accepterait l’idée d’avoir perdu tant d’années ici avec nous alors que…
« Je… vais y penser. »
Je voudrais en parler à Ziyal avant.
Sans en dire plus, Raol reste un petit moment plongé dans ses pensées. Iel laisse Gabryel faire quand celui-ci transporte le petit bol au travers de la demeure. La grenouille en profite pour continuer d’admirer le paysage, tout de même curieuse d’où l’autre peut bien l’emmener. Iel ne s’attendait pas à se retrouver dans la chambre de Gabryel ce soir, à vrai dire. Trop occupé à se retourner le cerveau avec cette histoire de cousin.e.s caldissiens, Raol ne pense même pas à faire une blague débile sur le fait que « huehuehuehue c’est qui qu’est pressé de m’avoir dans son lit maintenant, hein ?! ». L’eossien reconnecte à nouveau avec la réalité lorsque son ami se remet à parler, plus longuement cette fois-ci. Il a l’air de réfléchir à voix haute, de faire le point et il s’excuse, encore.
« Non, mais, c’est bon, te justifies pas pour lui… c’est lui qu’est con. »
Marmonne Raol en s’humidifiant à nouveau la peau, sans animosité. Enfin, si, de l’animosité il en a, mais pas après Gabryel. Iel ne comprend pas bien ce que son pote veut dire par « représenter la famille »… le système de chef de famille chez les nobles lui échappe encore un peu, mais il lui semble que ce n’est pas vraiment la même chose que simplement la « représenter ». Peut-être que lea Zeteki n’est pas très vif pour comprendre les trucs de nobles, mais ce qu’iel comprend sans mal, c’est que la nymphe est extrêmement préoccupée par ses responsabilités. Que ce soit en tant que fils, en tant que représentant de la noblesse, en tant que général et en tant que fier caldissien. Plus Raol apprend à connaître le général, plus iel voit à quel point la position de son ami est peu enviable à bien des égards. Il lui semble toujours au bord du craquage… d’ailleurs, iel l’a déjà vu perdre pied plusieurs fois.
…Au moins, lui, il accepte de perdre pied pour mieux se relever.
Mais ce n’est pas étonnant que Gabryel soit si tourmenté, en fait. Ce n’est pas juste une scène de Général Ouin-Ouin pourri gâté. Il se sent coincé et impuissant et la grenouille peut sentir sa frustration, son désespoir, même. L’impuissance, Raol connaît vraiment bien ce sentiment. Que ce soit face à sa propre situation familiale passée et présente, face au fait qu’iel ne peut revenir en arrière et ne peut annuler la Chute, face au fait qu’iel ne se sentira sans doute jamais vraiment « eossien », face au fait qu’iel ne peut pas annuler ni oublier le meurtre qu’iel a commis, et bien d’autres choses. Il y a des situations sur lesquelles l’on ne peut avoir aucune prise, aucune influence. Qui sont juste complètement merdique, avec lesquelles il faut juste « faire avec » ou ronger son frein en attendant que ça passe. Lorsque ces contextes mettent en danger des personnes que l’on aime, la colère et le sentiment de solitude que l’on peut alors ressentir est immense, insupportable. Mais, ce ne sont pas de pauvres mortels qui peuvent y changer quelque chose.
Le cœur de Raol se serre et iel fait un petit bond hors de son bol d’eau, puis se change à nouveau en humain en atterrissant avec légèreté sur le lit, aux côtés du général. Présentement, iel a juste envie d’alléger un peu l’esprit de son ami. De lui dire que les choses vont bien se passer alors qu’il n’a rien qui lea rend plus incertain. Pourtant… c’est tout à fait ce la grenouille s’apprête à faire. Son bras vient doucement s’enrouler autour de la taille du plus grand et sa tête se pose sur l’épaule de Gabryel. Iel enlace avec precaution son ami, son corps à moitié posé sur celui de son vis-à-vis. Les cheveux de la grenouille sont encore un peu humides mais elle se dit que ça ne dérangera pas trop la nymphe aquatique. Iel soupire doucement et ferme les yeux, l’espace de quelques secondes. Iel est bien, ici. Son cœur bat fort et son ventre se réchauffe d’une manière bien particulière. Une pression agréable pèse contre sa poitrine, tandis que son corps se serre un peu plus contre celui du caldissien. Voir Gabryel se montrer si vulnérable et l’avoir contre ellui, ça lea fait se sentir chanceux, important. Faut dire que le Général Ouin-ouin est devenu très important à ses yeux aussi.
« C’pas à toi de porter toute la misère du continent et de ta famille, hein. T’es pas… Miss… Omimi-truc… euh… c’est quoi le nom de votre dieu, déjà ? »
Ah bah bravo, pour casser l’ambiance, toi… ça se voit que ton daron était dans le bâtiment, tiens.
« Hem… laisses tomber. Je veux juste dire que… bah… évidemment, que t’es impuissant. Franchement, on est toustes un peu impuissants, là et ça risque de rester comme ça encore un moment. »
Ouais c’est pas hyper optimiste comme manière de penser. Ça sonne comme une mauvaise excuse, mais ce n’est pas le cas. Enfin, peut-être.
« Pis tu te rends compte que tout ce bordel, c’est pas ta faute à toi personnellement, hein ? »
Je sais que y’a quelques mois, j’aurais adoré pouvoir lui cracher à la face le contraire. Lui dire qu’il est responsable de tous les maux du monde et que c’est parce qu’il a pété un jour en sortant du bain qu’on a vieilli de mille ans d’un coup… erh. Mais bon, faut pas abuser, non plus.
« Tu fais de ton mieux… pas vrai ? »
Je peux pas en dire autant.
« Donc… »
Tout en essayant maladroitement de rassurer son ami, la main de la grenouille s’est mise à caresser chastement, avec une douceur mesurée, le torse du général. Ses doigts remontent doucement vers le haut et ramène une longue mèche de cheveux claire avec laquelle iel commence à jouer distraitement.
« Arrête de te prendre la tête. Pour le moment, tout va bien. »
Son visage se blottit dans le cou et les cheveux de Gabryel. Iel dépose un baiser léger à la base du cou de son ami puis laisse échapper un court soupir tout en se détendant. Par « pour le moment », iel veut dire, « en cet instant présent », pour inciter l’autre à penser à autre chose et à se détendre avec ellui. Evidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. La grenouille n’est pas la dernière à se tourmenter incessamment et à sentir les remords lui remonter le long de l’échine à chaque fois qu’iel oublie qu’iel a tué ce type dans une ruelle sans y réfléchir à l’avance. Iel ferme les yeux et se force à penser à autre chose. Ses pupilles jaunes se redirigent vers l’intérieur de la chambre, qu’iel n’a pas vraiment pris le temps de détailler. Tout est tellement calme. L’ambiance ici n’a rien à voir avec les quartiers eossiens ou même de la ville basse. Iel a l’impression d’être seul au monde en compagnie du général.
« J’vais rester ici j’crois. J’espère que t’es prêt à m’entretenir financièrement parce que là, le travail, pour moi, c'est fini. »
En grognant de manière volontairement infantile, la grenouille resserre vivement son étreinte et enfonce encore plus sa tête contre la poitrine du caldissien. Une fois bien allongé sur l’autre et la tête bien installée sur le haut du torse du plus grand, Raol sourit comme un bienheureux et émet un « hmmmm » satisfait.
« Paaaaaaaaarfait. Bouges pu maintenant. Sinon, j’te bave dessus. »
Héhéhéhéhéhéhé.