Event n°3
Le Gardien
Ça faisait longtemps.
Le printemps est arrivé. Yggdrasil s’est parée de son manteau de verdure, de ses accessoires floraux et de ses plus belles étoles de bourgeons ; et si des feuilles tombent, venant garnir les ruelles pavées d’un ensemble de couleurs chatoyantes, ces dernières sont étonnamment bien tenues. Nettoyées, débarrassées, parfaitement aménagées. Le granite et la pierre semblent plus brillants que jamais ; on peinerait à croire qu’elles étaient noires de cendres il y a six mois. On peinerait à croire qu'elles étaient recouvertes d'un fin manteau blanc il y a quelques semaines.
Aliès, pourtant, s'en rappelle.
Iel se rappelle d'avoir ces rues bien plus dégagées. Bien plus vivantes. Fournies d'enfants, de ménages, de familles, d'ancien.ne.s qui n'étaient jamais bien seul.e.s, en printemps comme en hiver. Iel se rappelle des processions saisonnières menant jusqu'aux grands sanctuaires de la Ville-Haute, aux grands foyers qui les protégeait tous lorsque l'hiver se faisait trop rude : aux grandes tablées rondes qui les réunissait tous pour qu'aucun d'entre eux ne soit à l'écart. Ces rues, autrefois, étaient à tous : mieux que ça, même, elles n'étaient à personne. Elles les avaient protégé des tempêtes, des inondations, des incendies, des maladies.
Leurs ancêtres le leur avaient toujours dit : quand le malheur frapperait, leur refuge se trouverait dans les hauteurs.
Aliès ne comprenait pas, fut un temps, de quoi ils parlaient. Il pense maintenant l'avoir compris.
Après tout, leur protecteur se trouvait ici.
Dans l'ombre des maisonnées où iel se cache avec d'autres éclaireurs, iel observe au travers des fenêtres ouvertes. Son regard passe des rues à l'immense statue draconique qui se trouve toujours au centre de la place. Seule rescapée de l'Incendie du Centre de Commandement, la statue du Gardien est parfaitement intacte ; il n'y a pas même une rayure sur l'ébène de sa pierre. Son regard rouge brille du même éclat qu'il y a trente ans, lorsqu'iel passait sous ce dernier lors d'une procession. Maintenant, une nouvelle bâtisse se tient derrière lui, comme une pâle imitation de ce qu'était fut un temps leur plus important sanctuaire.
Entend-t-il ? Voit-il ? Est-il aussi dégoûté qu'iel ne l'est, devant cette étalage de médiocrité, de richesse, d'obscénité et d'injustice ? Sent-il cette colère qui brûle au fond de son ventre, à chaque fois qu'iel doit observer ces couleurs affreuses dévorer la place et les rues de la Ville-Haute ? Perçoit-il cette fureur qui lui dévore la poitrine devant l'étalage de demeures laides d'abondances qui ont dévoré les espaces communs ?
Est-il aussi brisé qu'il ne l'est de ne pas voir Erys aujourd'hui, à la place de ces marmots ?
Sans doute. Aliès peut imaginer ce que cela doit être, de supporter tout cela : car iel le fait.
Car iel le fait, et cela lui est déjà insupportable.
Ça faisait longtemps.
Gaston observe. Ses épaules sont rigides, sa carrure est prostrée. Son manteau est trop grand pour lui ; par intervalles, ses épaules bougent un peu pour tenter de le conserver droit. Son regard s'abaisse, de temps à autre, face au poids de la masse de visages assemblés en face d'eux. Sa gorge se noue. Ils étaient moins nombreux encore, lors de l'Incendie, mais c'est comme si ses membres s'attendaient à devoir courir d'un instant à l'autre à nouveau. Devront-ils le faire ? Personne n'avait répondu à sa question. Même si le Centre de Commandement a été reconstruit, brûlera-t-il encore ?
Son regard, de temps à autre, passe sur les silhouettes des hauts dignitaires l'accompagnant. Représentant altissien, ambassadeur, général ; tous lui paraissent bien plus grands qu'il ne l'est. Leurs regards lui semblent plus certains. Leurs manches ne tombent pas jusqu'à leurs doigts, leurs visages se tiennent plus droits. Comment font-ils ? Comment font-ils pour ne pas sentir cette pression froide dans leur poitrine, cette crainte quand il faut parler ?
Comment fait-elle ?
Ses yeux repassent vers le centre de l'estrade, où Camélia se tient. La couronne est droite sur sa tête, au moins. Lorsqu'il avait fallu négocier sur qui parlerait pour eux, elle s'était dévouée pour le faire sans attendre. Elle ne lui avait même pas jeté un regard : sans doute avait-elle déjà compris qu'il ne le ferait pas. Elle parle clairement, salue sans difficulté, d'une voix nette et presque aussi inflexible que ne l'était celle de sa mère à lui.
« Et c'est pourquoi il est de mon honneur et de ma responsabilité de vous annoncer notre mariage à venir, et le renforcement explicite de notre alliance. »
Sa voix ne trébuche pas, malgré les murmures et les regards qui s'échangent entre l'assemblée. Gaston le sait, sans même qu'il n'ait eu besoin qu'on le lui dise : cette décision pourrait se retourner contre eux. Nombre de ses propres conseillers avaient explicitement exprimé leur désaccord. Lui-même avait hésité. La noblesse n'avait pas oublié le traitement infligé à l'un des leurs lors de l'Incendie. La bourgeoisie ne manquerait pas de leur sauter à la gorge si leurs affaires s'en retrouvaient trop affectées.
Et pourtant, Camélia ne baisse ni le regard, ni la tête.
Et en l'observant, Gaston se demande.
Pourquoi n'était-elle pas seule, ici, sur cette estrade ?
Ça faisait longtemps.
Elle ne devrait pas être là. Personne ne devrait être ici. Elle devrait être à Caldis.
Son père devrait être là.
Mais non. Il avait fallu qu'il vienne. Il avait fallu qu'il meure, et qu'il les laisse seuls, comme toujours. Il avait fallu qu'il s'entête, après ces six mois passés à ignorer leurs appels, ces six mois passés enfermé dans son bureau. Ces six mois où il n'avait plus écouté personne. Son autre père, Alphonse, avait bien tenté de lui dire qu'il ne s'agissait que d'une passe, qu'Hincmar était simplement absorbé par son devoir, qu'il reviendrait.
Il était revenu dans un cercueil.
Alors il y a longtemps qu'elle n'était pas apparue. Qu'elle n'avait pas pris sa place, usurpé ses chaussures, sa couronne et son sceptre. Elle ne devrait pas à le faire, et pourtant. La voilà en train d'annoncer des fiançailles et un mariage qu'elle n'aurait pas eu à organiser si les choses en avaient été autrement. Elle avait trouvé l'idée stupide lorsque Gaston l'avait présenté. Gaston était stupide. Insupportablement hésitant, tout le temps à se cacher dans les jupons des autres, comme il le faisait avec sa mère fut un temps. Hincmar ne le lui avait jamais permis, lui.
Mais tous ces conseillers qui s'étaient épouvantés l'étaient encore davantage : quels autres choix avaient-ils ? Comment concilier des noblesses et des bourgeoisies qui ne demandaient qu'à prendre le pouvoir, peu importe les conséquences ? Comment tempérer les hostilités des natifs, alors qu'elle-même mettrait le feu à son tour si elle avait été à leur place ? Elle n'avait pas osé le dire, toutefois. Elle ne peut pas le faire. Il n'y avait qu'à son Général, qu'elle en avait fait la remarque, un soir de fatigue et de faiblesse. Elle s'était rétractée immédiatement, mais elle pouvait le sentir. Alors elle avait eu une idée. La façade s'effritait, et il fallait le maintenir, coûte que coûte.
Le coût, pourtant, lui laissait un goût amer au travers de la gorge.
Il faisait longtemps qu'il n'avait pas ri ainsi.
« Les... Les Eossiens pourront maintenant, enfin, à partir d'aujourd'hui, porter les armes. Nos... Nos armées se tiendront entièrement garantes e-et... Garantes, enfin, responsables de leur formation, pour les guider, afin de pouvoir offrir à tous l'égalité des chances et le... Le pouvoir de protéger nos peuples. »
Aliès en rit. Un rire jaune et tassé, assourdi par le désabus et l'amertume qui remontent dans sa gorge comme une houle écœurante. Tout ça était hilarant. Les voilà, ces monarques trop petits pour leurs propres couronnes, en train d'inviter les siens à devenir eux-mêmes les artisans de leur oppression. Des peuples qui, en plus de ça, avaient besoin de marier des enfants, sans que ça ne semble dégoûter personne, pour faire croire à leur entente. Arriver la bouche en cœur, dans ce qu'Aliès ne saurait pas distinguer entre de la naïveté, de la bêtise ou de l'arrogance, afin de présenter des cordes supplémentaires autour de leurs poignets comme des cadeaux.
Et pourtant, Aliès le sait, cet appel sera entendu. Après la disette de cette d'hiver et la misère dans laquelle se retrouvent plongés ses congénères... Erys lui dirait sûrement de ne pas les blâmer.
Malheureusement, d'entre eux, iel était cellui qui avait survécu.
Dans un mouvement de main, iel indique aux éclaireurs l'accompagnant de se tenir immobiles. Il était temps de déroger ce monologue interminable et inintéressant. Iel en a assez entendu. Leur audace est trop grande. Iel s'excuserait presque auprès du Gardien, qui doit entendre toutes ces sornettes ; sans doute qu'aucune autre de ses vies n'a eu à subir la même idiotie. L'Eos le garde d'un cycle qui serait aussi injuste que celui-ci. Iel s'apprête à donner le signal.
Pourtant, la terre tremble.
La terre tremble. Elle tremble si fort qu'iel doit s'accrocher à la rambarde pour ne pas chuter. Elle tremble comme si c'était la terre même qui avait décidé de se déchirer : et pourtant, elle reste intacte.
Elle reste intacte, car les vibrations ne viennent pas d'elles. Les vibrations viennent de la place.
Elles viennent du Gardien.
-
Ça faisait longtemps.
La pierre bouge. Ses écailles semblent s'articuler par elles-mêmes. Ses lourdes pattes se dégagent du socle, dans un bruit lourd et imposant. Tandis que les humains au sol s'agitent, s'éparpillent, crient, paniquent, la bête bouge sa tête. La foule s'agite. On s'empresse de protéger et d'éloigner les plus importants. Son regard de rubis s'illumine et brille.
Un cri monstrueux et furieux quitte sa gorge.
Une immense gerbe de flammes quitte sa gueule. Peu lui importe ce qu'il vise. Peu lui importe ce qu'il touche.
Il n'y a que de le bruit et la fureur.
Yggdrasil est en fête : sous un soleil radieux en extérieur, Gaston et Camélia annoncent leurs fiançailles afin d'unir les deux pays qui se sont fait la guerre pendant un millénaire. Ravis ou non de cette cérémonie, les habitants se bousculent pour y assister, au grand dam des concernés qui n'ont pas pris cette décision de gaieté de cœur.
Cette célébration est aussi l'occasion pour annoncer à tous les Sentinelles : ce nouveau rang parmi les militaires a été fait pour les Eossien.nes qui peuvent désormais intégrer l'une des deux armées afin de la servir.
Aliès et un groupe d'Eclaireurs voient tout ça d'un mauvais œil et s'apprêtent à chambouler un peu cette histoire de mariage, mais sans toutefois faire preuve de violence.
Tout ce beau monde est néanmoins pris de court par des tremblements venant du sol et des rugissements sonores. Dehors, dans le ciel d'Yggdrasil, la statue du dragon gardien qui se trouvait sur la place du Quartier Eossien a quitté ses écailles de pierre pour devenir une créature vivante. Elle menace désormais la cité en crachant à tout va un feu destructeur qui vient semer la zizanie et le chaos.
Le printemps est arrivé. Yggdrasil s’est parée de son manteau de verdure, de ses accessoires floraux et de ses plus belles étoles de bourgeons ; et si des feuilles tombent, venant garnir les ruelles pavées d’un ensemble de couleurs chatoyantes, ces dernières sont étonnamment bien tenues. Nettoyées, débarrassées, parfaitement aménagées. Le granite et la pierre semblent plus brillants que jamais ; on peinerait à croire qu’elles étaient noires de cendres il y a six mois. On peinerait à croire qu'elles étaient recouvertes d'un fin manteau blanc il y a quelques semaines.
Aliès, pourtant, s'en rappelle.
Iel se rappelle d'avoir ces rues bien plus dégagées. Bien plus vivantes. Fournies d'enfants, de ménages, de familles, d'ancien.ne.s qui n'étaient jamais bien seul.e.s, en printemps comme en hiver. Iel se rappelle des processions saisonnières menant jusqu'aux grands sanctuaires de la Ville-Haute, aux grands foyers qui les protégeait tous lorsque l'hiver se faisait trop rude : aux grandes tablées rondes qui les réunissait tous pour qu'aucun d'entre eux ne soit à l'écart. Ces rues, autrefois, étaient à tous : mieux que ça, même, elles n'étaient à personne. Elles les avaient protégé des tempêtes, des inondations, des incendies, des maladies.
Leurs ancêtres le leur avaient toujours dit : quand le malheur frapperait, leur refuge se trouverait dans les hauteurs.
Aliès ne comprenait pas, fut un temps, de quoi ils parlaient. Il pense maintenant l'avoir compris.
Après tout, leur protecteur se trouvait ici.
Dans l'ombre des maisonnées où iel se cache avec d'autres éclaireurs, iel observe au travers des fenêtres ouvertes. Son regard passe des rues à l'immense statue draconique qui se trouve toujours au centre de la place. Seule rescapée de l'Incendie du Centre de Commandement, la statue du Gardien est parfaitement intacte ; il n'y a pas même une rayure sur l'ébène de sa pierre. Son regard rouge brille du même éclat qu'il y a trente ans, lorsqu'iel passait sous ce dernier lors d'une procession. Maintenant, une nouvelle bâtisse se tient derrière lui, comme une pâle imitation de ce qu'était fut un temps leur plus important sanctuaire.
Entend-t-il ? Voit-il ? Est-il aussi dégoûté qu'iel ne l'est, devant cette étalage de médiocrité, de richesse, d'obscénité et d'injustice ? Sent-il cette colère qui brûle au fond de son ventre, à chaque fois qu'iel doit observer ces couleurs affreuses dévorer la place et les rues de la Ville-Haute ? Perçoit-il cette fureur qui lui dévore la poitrine devant l'étalage de demeures laides d'abondances qui ont dévoré les espaces communs ?
Est-il aussi brisé qu'il ne l'est de ne pas voir Erys aujourd'hui, à la place de ces marmots ?
Sans doute. Aliès peut imaginer ce que cela doit être, de supporter tout cela : car iel le fait.
Car iel le fait, et cela lui est déjà insupportable.
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Ça faisait longtemps.
Gaston observe. Ses épaules sont rigides, sa carrure est prostrée. Son manteau est trop grand pour lui ; par intervalles, ses épaules bougent un peu pour tenter de le conserver droit. Son regard s'abaisse, de temps à autre, face au poids de la masse de visages assemblés en face d'eux. Sa gorge se noue. Ils étaient moins nombreux encore, lors de l'Incendie, mais c'est comme si ses membres s'attendaient à devoir courir d'un instant à l'autre à nouveau. Devront-ils le faire ? Personne n'avait répondu à sa question. Même si le Centre de Commandement a été reconstruit, brûlera-t-il encore ?
Son regard, de temps à autre, passe sur les silhouettes des hauts dignitaires l'accompagnant. Représentant altissien, ambassadeur, général ; tous lui paraissent bien plus grands qu'il ne l'est. Leurs regards lui semblent plus certains. Leurs manches ne tombent pas jusqu'à leurs doigts, leurs visages se tiennent plus droits. Comment font-ils ? Comment font-ils pour ne pas sentir cette pression froide dans leur poitrine, cette crainte quand il faut parler ?
Comment fait-elle ?
Ses yeux repassent vers le centre de l'estrade, où Camélia se tient. La couronne est droite sur sa tête, au moins. Lorsqu'il avait fallu négocier sur qui parlerait pour eux, elle s'était dévouée pour le faire sans attendre. Elle ne lui avait même pas jeté un regard : sans doute avait-elle déjà compris qu'il ne le ferait pas. Elle parle clairement, salue sans difficulté, d'une voix nette et presque aussi inflexible que ne l'était celle de sa mère à lui.
« Et c'est pourquoi il est de mon honneur et de ma responsabilité de vous annoncer notre mariage à venir, et le renforcement explicite de notre alliance. »
Sa voix ne trébuche pas, malgré les murmures et les regards qui s'échangent entre l'assemblée. Gaston le sait, sans même qu'il n'ait eu besoin qu'on le lui dise : cette décision pourrait se retourner contre eux. Nombre de ses propres conseillers avaient explicitement exprimé leur désaccord. Lui-même avait hésité. La noblesse n'avait pas oublié le traitement infligé à l'un des leurs lors de l'Incendie. La bourgeoisie ne manquerait pas de leur sauter à la gorge si leurs affaires s'en retrouvaient trop affectées.
Et pourtant, Camélia ne baisse ni le regard, ni la tête.
Et en l'observant, Gaston se demande.
Pourquoi n'était-elle pas seule, ici, sur cette estrade ?
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Ça faisait longtemps.
Elle ne devrait pas être là. Personne ne devrait être ici. Elle devrait être à Caldis.
Son père devrait être là.
Mais non. Il avait fallu qu'il vienne. Il avait fallu qu'il meure, et qu'il les laisse seuls, comme toujours. Il avait fallu qu'il s'entête, après ces six mois passés à ignorer leurs appels, ces six mois passés enfermé dans son bureau. Ces six mois où il n'avait plus écouté personne. Son autre père, Alphonse, avait bien tenté de lui dire qu'il ne s'agissait que d'une passe, qu'Hincmar était simplement absorbé par son devoir, qu'il reviendrait.
Il était revenu dans un cercueil.
Alors il y a longtemps qu'elle n'était pas apparue. Qu'elle n'avait pas pris sa place, usurpé ses chaussures, sa couronne et son sceptre. Elle ne devrait pas à le faire, et pourtant. La voilà en train d'annoncer des fiançailles et un mariage qu'elle n'aurait pas eu à organiser si les choses en avaient été autrement. Elle avait trouvé l'idée stupide lorsque Gaston l'avait présenté. Gaston était stupide. Insupportablement hésitant, tout le temps à se cacher dans les jupons des autres, comme il le faisait avec sa mère fut un temps. Hincmar ne le lui avait jamais permis, lui.
Mais tous ces conseillers qui s'étaient épouvantés l'étaient encore davantage : quels autres choix avaient-ils ? Comment concilier des noblesses et des bourgeoisies qui ne demandaient qu'à prendre le pouvoir, peu importe les conséquences ? Comment tempérer les hostilités des natifs, alors qu'elle-même mettrait le feu à son tour si elle avait été à leur place ? Elle n'avait pas osé le dire, toutefois. Elle ne peut pas le faire. Il n'y avait qu'à son Général, qu'elle en avait fait la remarque, un soir de fatigue et de faiblesse. Elle s'était rétractée immédiatement, mais elle pouvait le sentir. Alors elle avait eu une idée. La façade s'effritait, et il fallait le maintenir, coûte que coûte.
Le coût, pourtant, lui laissait un goût amer au travers de la gorge.
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Il faisait longtemps qu'il n'avait pas ri ainsi.
« Les... Les Eossiens pourront maintenant, enfin, à partir d'aujourd'hui, porter les armes. Nos... Nos armées se tiendront entièrement garantes e-et... Garantes, enfin, responsables de leur formation, pour les guider, afin de pouvoir offrir à tous l'égalité des chances et le... Le pouvoir de protéger nos peuples. »
Aliès en rit. Un rire jaune et tassé, assourdi par le désabus et l'amertume qui remontent dans sa gorge comme une houle écœurante. Tout ça était hilarant. Les voilà, ces monarques trop petits pour leurs propres couronnes, en train d'inviter les siens à devenir eux-mêmes les artisans de leur oppression. Des peuples qui, en plus de ça, avaient besoin de marier des enfants, sans que ça ne semble dégoûter personne, pour faire croire à leur entente. Arriver la bouche en cœur, dans ce qu'Aliès ne saurait pas distinguer entre de la naïveté, de la bêtise ou de l'arrogance, afin de présenter des cordes supplémentaires autour de leurs poignets comme des cadeaux.
Et pourtant, Aliès le sait, cet appel sera entendu. Après la disette de cette d'hiver et la misère dans laquelle se retrouvent plongés ses congénères... Erys lui dirait sûrement de ne pas les blâmer.
Malheureusement, d'entre eux, iel était cellui qui avait survécu.
Dans un mouvement de main, iel indique aux éclaireurs l'accompagnant de se tenir immobiles. Il était temps de déroger ce monologue interminable et inintéressant. Iel en a assez entendu. Leur audace est trop grande. Iel s'excuserait presque auprès du Gardien, qui doit entendre toutes ces sornettes ; sans doute qu'aucune autre de ses vies n'a eu à subir la même idiotie. L'Eos le garde d'un cycle qui serait aussi injuste que celui-ci. Iel s'apprête à donner le signal.
Pourtant, la terre tremble.
La terre tremble. Elle tremble si fort qu'iel doit s'accrocher à la rambarde pour ne pas chuter. Elle tremble comme si c'était la terre même qui avait décidé de se déchirer : et pourtant, elle reste intacte.
Elle reste intacte, car les vibrations ne viennent pas d'elles. Les vibrations viennent de la place.
Elles viennent du Gardien.
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Ça faisait longtemps.
La pierre bouge. Ses écailles semblent s'articuler par elles-mêmes. Ses lourdes pattes se dégagent du socle, dans un bruit lourd et imposant. Tandis que les humains au sol s'agitent, s'éparpillent, crient, paniquent, la bête bouge sa tête. La foule s'agite. On s'empresse de protéger et d'éloigner les plus importants. Son regard de rubis s'illumine et brille.
Un cri monstrueux et furieux quitte sa gorge.
Une immense gerbe de flammes quitte sa gueule. Peu lui importe ce qu'il vise. Peu lui importe ce qu'il touche.
Il n'y a que de le bruit et la fureur.
Résumé rapide :
Yggdrasil est en fête : sous un soleil radieux en extérieur, Gaston et Camélia annoncent leurs fiançailles afin d'unir les deux pays qui se sont fait la guerre pendant un millénaire. Ravis ou non de cette cérémonie, les habitants se bousculent pour y assister, au grand dam des concernés qui n'ont pas pris cette décision de gaieté de cœur.
Cette célébration est aussi l'occasion pour annoncer à tous les Sentinelles : ce nouveau rang parmi les militaires a été fait pour les Eossien.nes qui peuvent désormais intégrer l'une des deux armées afin de la servir.
Aliès et un groupe d'Eclaireurs voient tout ça d'un mauvais œil et s'apprêtent à chambouler un peu cette histoire de mariage, mais sans toutefois faire preuve de violence.
Tout ce beau monde est néanmoins pris de court par des tremblements venant du sol et des rugissements sonores. Dehors, dans le ciel d'Yggdrasil, la statue du dragon gardien qui se trouvait sur la place du Quartier Eossien a quitté ses écailles de pierre pour devenir une créature vivante. Elle menace désormais la cité en crachant à tout va un feu destructeur qui vient semer la zizanie et le chaos.