Lysia Thalys

« No one can follow me into the shadows. »

Lysia, 9 ans, court. Son frère à ses côtés, le vent dans ses cheveux de feu, elle se sent si légère qu'elle a l'impression de voler. Son rire enfantin résonne dans les airs, se propage tel un écho, synonyme du bonheur qui guide chacun de ses pas. Ses neuf premières années de vie ont toujours été ponctuées par la joie et l'amour. Ses parents sont agriculteurs : ils travaillent la terre pour en faire pousser les plus beaux légumes du royaume. Lysia sait que sa famille n'a pas beaucoup d'argent et que la faim qui lui tiraille le ventre le soir n'est pas normale, mais elle s'en fiche ; ce n'est pas la nourriture qui la rend heureuse, mais l'amour de ses proches. Dans le village, elle reçoit tout autant d'amour : des autres agriculteurs qu'elle aide à chacun de ses passages ; des personnages âgées qui ponctuent ses journées d'histoires incroyables ; des mamans qui peuvent se reposer lorsqu'elle occupe leurs enfants. Lysia est une enfant douce, agréable, souriante. Bercée par la philosophie d'Omnis, elle se passionne pour les récits extraordinaires et s'imagine déjà grande exploratrice. Alors elle court, elle court jusqu'à en perdre haleine, jusqu'à ne plus sentir ses jambes, jusqu'à ce que le soleil se couche et laisse place à l'astre de nuit.

Et puis, elle tombe.

Une petite chute, rien de bien grave. A neuf ans, Lysia comprend le poids de la gravité, mais les coudes ensanglantés, le visage trempé par les larmes, c'est aussi une leçon de vie qu'elle apprend. Jusqu'alors, ses parents et son grand frère ont toujours été là pour la rattraper ; toujours derrière à elle, à veiller à ses moindre gestes, moindre besoins. Mais à son âge, ils n'ont plus le temps de se préoccuper d'elle sans cesse. Alors lorsqu'elle tombe, il n'y a personne pour la rattraper. Le constat lui vient comme un choc : elle regarde autour d'elle mais ses cris n'alertent même pas ses parents, trop occupés à travailler dans les champs. La petite Lysia rejoint sa petite maison avec le cœur empli d'une immense tristesse. Son frère la voit en premier et au lieu de la rassurer, il crée une autre fissure en elle : il la gronde, chose qu'il n'avait encore jamais faite avant. Il lui dit qu'elle doit être prudente, que papa et maman ont d'autres préoccupations qu'elle. Lysia est grande, maintenant. Elle doit les aider et non les inquiéter. La jeune fille baisse la tête, honteuse, puis elle acquiesce, le dos droit et une nouvelle flamme dans les yeux : elle ne décevrait pas ses parents.

Pendant très longtemps elle parvient à ne pas les décevoir. Pourtant, Lysia n'est pas certaine d'y avoir gagné au change ; ils se font de plus en plus distants. Avec la guerre, les ventes de légumes n'apportent plus suffisamment de revenus pour nourrir toute la famille et les Thalys peinent à avoir plus d'un repas par jour. A ce moment-là, Lysia a 14 ans. Elle fait de son mieux pour travailler tout en continuant à jouer avec les enfants du village. Elle n'a perdu ni son innocence ni sa joie de vivre, mais elle se rend de plus en plus compte de la réalité dans laquelle elle vit. Et en toute honnêteté, cette réalité ne lui convient pas. Plus pour ses proches que pour elle-même ; moins manger ne la dérange pas, mais elle voudrait voir ses parents sourire plus, entendre leurs éclats de rire au lieu de leurs sanglots. Elle parvient à se convaincre que tout cela ne durera pas et qu'Omnis finira bien par leur envoyer un signe.

Ce signe arrive le lendemain de ses 15 ans, mais elle aurait préféré l'éviter. Son grand frère, 18 ans passés, est prêt à travailler réellement pour amener ses propres revenus. Il trouve rapidement une place dans une taverne, mais pour cela, il doit partir vivre au centre de Caldis. La nouvelle arrive pour Lysia comme un coup dans la poitrine ; aussitôt ses yeux sont embués de larmes et elle s'accroche avec véhémence aux manches de son frère. Elle sait sa réaction puérile et égoïste, mais elle a peur de la ville, de ce qu'elle entend sur la guerre qui ravage chacun des habitants là-bas. Les traits creusés des visages de ses parents finissent par lui faire entendre raison. Elle laisse son frère partir, le cœur serré. L'inquiétude et l'anxiété de ce moment ne l'ont alors plus jamais quittée.

L'année qui suit cependant est beaucoup plus douce et sereine : son frère leur envoie un peu d'argent tous les mois ce qui leur permet de vivre un peu plus décemment. La présence de son protecteur est un manque qu'elle combat au quotidien, mais elle obtient régulièrement de ses nouvelles par le biais de lettres courtes mais rassurantes. Lysia a alors beaucoup grandi. Elle s'intéresse de plus en plus à la religion et sa curiosité pour les territoires adjacents la pousse à se préparer pour effectuer le Périple jusqu'au Lac d'Yggdrasil. Ses parents au départ refusent catégoriquement : avec la guerre et leur premier enfant loin d'eux, ils n'ont aucune envie de la laisser partir. Mais Lysia sait se faire convaincante, elle leur promet de revenir saine et sauve. Et puis qui sont-ils pour remettre à plus tard une si grande partie de leur religion ? A son départ, tout le village vient l'encourager. Un tel événement suscite l'admiration mais aussi l'inquiétude, pourtant aucune peur ne peut se lire sur le visage de l'adolescente lorsqu'elle monte sur son chameau.

Lysia chérira toujours les souvenirs liés à son voyage. Entraînée depuis des mois et des mois, ayant poussé son corps dans ses plus grandes limites, elle se sent confiante et, surtout, enivrée d'une connexion spirituelle puissante avec Omnis. Les deux mois de Périple ne sont pas simples pour autant : la chaleur du désert lui brûle la peau malgré ses protections et éviter les attaques de bandits l'épuise bien plus qu'elle ne l'avait prévu. Mais à aucun moment du voyage Lysia ne songe à rebrousser chemin. Même lorsqu'elle s'endort la nuit, la tête prête à exploser, ses jambes prisonnières d'une sensation cotonneuse qu'elle est certaine de ne plus pouvoir échapper. Mais tous les matins elle se relève, une volonté presque surhumaine la poussant jusqu'au Lac. Enfin, elle y arrive. Elle n'oubliera jamais cette vision du Lac lorsqu'elle l'a aperçu pour la première fois : cette grande étendue d'eau entourée d'arbres, baignée d'une lueur presque féerique grâce aux rayons du soleil qui se reflètent à la surface. Au début elle songe même à un mirage tant la beauté du lieu lui coupe le souffle. Bien évidemment, sa première réaction est de se jeter sur sa gourde qu'elle remplit et vide de nombreuses fois sans se soucier de ce qu'elle ingurgite réellement tant qu'elle se désaltère. Elle passe ensuite la journée à prier, puis la nuit à se reposer pour repartir dans le sens inverse dès le lendemain.

Elle est accueillie au village telle une héroïne et même son grand frère est là pour la féliciter. Elle n'a jamais vu tant de fierté dans le regard de ses parents. Sans avoir eu à la nourrir pendant deux mois, ils ont pu économiser un peu et lui offrent un véritable festin. Le soir de son retour est un des plus beaux moments de sa vie et elle est certaine que rien de mauvais ne pourra jamais lui arriver.

Pendant plusieurs années, elle a raison : la vie passe dans un rythme serein et régulier. Plus forte physiquement et mentalement grâce au Périple, Lysia peut réellement aider ses parents et le reste du village. Sa bienveillance est exemplaire même si l'adolescence lui confère un caractère légèrement susceptible et, plus que tout, maladroit. Si elle est forte, elle n'est pas très douée pour les tâches quotidiennes ce qui renforce son côté un peu grincheux parfois. Son frère cependant vient de moins en moins et ne répond presque plus à ses lettres, ce qui l'attriste. Elle voit ses parents vieillir et fatiguer mais elle préfère ignorer tous ces signes qui assombrissent son futur. A 20 ans, Lysia n'a pas encore connu la guerre et est toujours enveloppée dans une bulle d'amour. Elle se sent intouchable et invulnérable.

Son monde est légèrement remis en question lors de la venue d'un nouvel arrivant au village, Matthew. Un homme d'une trentaine d'années, à la carrure un peu mystérieuse, aux traits fins et à la peau aussi blanche qu'un linge. Il n'était pas rare de voir de nouvelles têtes dans le village, mais rarement étaient-elles des personnes aussi atypiques. Matthew a quelque chose d'attirant, peut-être un peu trop pour la jeune femme de 21 ans qui ne sait plus trop quoi faire de ses pensées à son arrivée. Très vite, elle apprend à le côtoyer. Il est là, d'après ses dires, pour écrire un article de journal sur les activités des villages aux alentours du royaume. Il lui montre une broderie attestant de son statut et, incrédule, elle le croit. Elle ne le croise pas souvent, seulement à la tombée de la nuit, lorsque seules les bougies éclairent les fenêtres des maisons. Cette préférence pour le travail de nuit la fascine plus qu'autre chose ; elle trouve cela mystérieux et intriguant. Elle lui pose de nombreuses questions et très vite les deux finissent par se rapprocher ; suffisamment pour échanger un baiser une nuit de pleine lune, mais jamais rien de plus. Lysia peut attendre, elle s'en fiche, d'attendre. Au bout de plusieurs mois, il finit par lui proposer de l'aider. Elle peut mener des interviews pour lui puisqu'elle connaît la plupart des habitants du village et à l'idée de passer plus de temps avec lui, elle accepte sans idée. Ses parents n'approuvent pas réellement, mais à son âge, elle estime pouvoir faire ce qu'elle désire.

La guerre, enfin, finit par arriver. C'est un beau matin de printemps. Le frère de Lysia est venu la veille pour profiter de quelques jours auprès de sa famille et pour célébrer une grande nouvelle : le voilà gérant de la taverne dans laquelle il était employé depuis des années maintenant et cela annonce une hausse des revenus et un nouveau tournant pour la famille Thalys. Lysia a 22 ans et est habituée à son nouveau quotidien : elle aide ses parents le jour et travaille avec Matthew le soir. Le rythme la fatigue mais c'est un épuisement qui lui convient, comme celui qu'elle avait ressenti lors du Périple. Ce matin lorsqu'elle se lève, elle se sent d'attaque pour une nouvelle journée, encore plus avec son frère à ses côtés. Pourtant, elle se rend compte que quelque chose l'a réveillée : un bruit sourd mais violent, comme si une partie de la maison s'était effondrée sur elle-même. Lysia dévale les escaliers à toute vitesse mais rien ne la prépare au spectacle d'horreur qui l'attend : elle voit d'abord les traces de sang sur le sol, puis seulement après le corps de son frère. Elle n'a pas besoin de s'approcher pour constater qu'il ne respire plus. Lysia doit se faire violence pour refouler la nausée qui l'assaille. Dehors, des cris familiers la poussent à passer outre la terreur et à ouvrir la porte d'entrée. Le chaos qui règne dans le village lui apparaît comme un rêve tant cela lui semble irréel : des maisons brûlent, réduites en flammes dévoratrices qui ne s'arrêteront pas avant la prochaine pluie ; la place du village est saccagée et les tonneaux conservant les ressources sont retournés, vidés jusqu'au moindre centimètre. Mais ce qui choque Lysia plus que tout, ce sont les cadavres. Les corps de tous ces habitants qu'elle peut identifier sans réfléchir. La jeune femme éclate en sanglots, et ce son désespéré lui vaut d'être repéré par les bandits qui ont pillé son visage.

Lysia meurt à 22 ans.

Du moins, c'est ce qu'elle pense. Un des hommes armés se jette sur elle, lui agrippe le poignet avec une force qui lui arrache un cri et la retourne pour lui planter sa lame juste au-dessus du cœur. Lysia pousse un hurlement mais la douleur est tellement vive qu'elle ne la ressent pas vraiment. Elle tombe à terre, sa robe blanche déjà teintée de rouge. On dit souvent que quand on meurt, on voit sa vie défiler devant nous. Lysia est trop loin pour ça : elle se sent aussitôt happée par les ténèbres et ce qu'elle ressent la terrifie : Omnis ne l'attend pas dans l'au-delà. Elle entend à peine les hommes quitter son village, la croyant morte ou ne s'en préoccupant pas. La campagne ne lui a jamais paru aussi silencieuse. Elle se demande quand elle va mourir. Les secondes lui paraissent cruellement longues et douloureuses.

Une voix inaudible lui parvient. Au premier abord elle pense halluciner, mais le son se fait de plus en plus persistant. Elle sent une main se poser sur sa poitrine et un visage se dessine devant elle : cette pâleur, ces traits sérieux ; elle reconnaît aussitôt Matthew, l'esquisse de sa tête devenant de plus en plus précise. Ce qu'elle remarque avant tout c'est l'obscurité profonde qui les entoure : le ciel a déjà pris ses couleurs nocturnes, si bien qu'elle se demande combien de temps elle a passé ainsi, à se vider de sans sang sur le sol. Ce qu'elle voit ensuite la terrifie mais aucun cri ne sort de sa bouche : pourtant ce sont bien des crocs, sanguinolents et pointus, qui lui font face. Elle aurait dû s'en douter : le travail qui ne peut avoir lieu que la nuit ; ce teint blanc, si blanc qui ne rougit même pas au contact du soleil. Lysia n'avait jamais été confrontée à d'autres espèces que des êtres humains même si elle en connaissait l'existence. Enfant, les histoires de vampires et de loups-garous ne lui faisaient pas peur, la fascinaient au contraire. Mais se retrouver face à un vampire à l'article de la mort a le don de la pétrifier : elle n'a pas envie qu'il la vide de son sang. Ne peut-il pas attendre qu'elle ait vraiment rendu l'âme ?

_ Mords-moi, lâche-t-il, impatient. Elle se rend compte qu'il tend son poignet devant sa bouche. Son regard est impassible, si caractéristique de sa personnalité. Pourtant, elle peut déceler une pointe d'émotion dans ses prunelles d'émeraude. Mais Lysia a encore suffisamment de force pour tenter de le repousser.

_ Non, non, non, non, répète-t-elle, des larmes dans les yeux.

Elle ne veut pas devenir une vampire.
Mais elle ne veut pas mourir, non plus.

Son instinct de survie prend le dessus alors qu'une nouvelle secousse douloureuse lui contracte le corps. Le regard fixé sur les étoiles, elle avance son visage contre le poignet qui lui est offert et, sans prévenir, le goût du métal assaille ses papilles.

Les jours qui suivent lui apparaissent comme un vague souvenir. Ou peut-être ne veut-elle pas se rappeler des premiers instants de sa transformation, où elle s'est nourrie du sang des habitants décédés pour récupérer ses forces. Elle se souvient seulement avoir enterré le corps de son frère et, surtout, elle se souvient ne pas avoir trouvé les corps de ses parents. Elle n'est pas restée pour les chercher cependant. Elle se sent honteuse de sa nouvelle condition et jamais elle ne voudrait que ses parents la voient ainsi. Alors, accompagnée de Matthew, elle fuit.

Pendant des semaines ils arpentent la campagne du royaume de Caldissia pour permettre à Lysia de s'habituer à toutes les nouvelles choses qui viennent avec sa transformation. Il doit à plusieurs reprises l'empêcher de se réchauffer au soleil ou de consommer un morceau de pain laissé à l'abandon. Matthew n'a plus rien d'attirant pour elle désormais ; au contraire, il la dégoûte. Il tente de tout lui expliquer et de tout lui apprendre, et elle sait qu'elle devrait lui en être reconnaissante, mais elle ne parvient pas à faire taire tous les reproches qui lui viennent à l'esprit à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Pourquoi m'as-tu sauvée ? Un jour, elle lui pose cette question et seul un sourire triste accompagne sa réponse :

_ Mon village aussi a été pillé comme le tien. J'ai été sauvé par un vampire, comme toi, mais je n'ai pas pu sauver le reste de ma famille. Je... je t'aime, Lysia. Je ne pouvais pas te laisser mourir.

Mais pourtant, je suis morte, pense-t-elle, amère. Elle n'oubliera jamais cet instant où elle s'est sentie enveloppée par la mort. Elle aurait dû mourir. Et cette injustice lui donne envie d'hurler. Pourtant, elle sait que bien d'autres auraient voulu avoir cette chance, cette possibilité d'avoir une nouvelle vie. Mais son cœur qui ne bat plus lui rappelle cruellement qu'elle ne vit plus vraiment. Qu'elle ne pourra plus jamais observer le soleil se coucher, ou goûter les légumes de ses parents. Elle déteste le goût du sang encore plus lorsqu'il provient d'animaux innocents qu'elle doit tuer pour se nourrir. Lysia n'est même pas de nature vengeresse ; si ses opinions politiques se sont renforcées, elle ne ressent qu'à peine le désir de venger sa famille et son village.

Plusieurs mois passent et Lysia et Matthew finissent par regagner la capitale. Le vampire a de nombreux contacts et ils n'ont aucun mal à trouver un logement et de quoi se sustenter. Désormais, la jeune femme s'est habituée à sa condition - même si elle ne l'apprécie pas pour autant. Très rapidement, elle retrouve la taverne qui appartenait à son frère et elle parvient à en reprendre la tête. Apparemment, son frère avait de nombreuses connaissances également et tout le monde la connaissait déjà. En tant que gérante, personne ne se demande pourquoi elle ne vient qu'à la nuit tombée pour gérer ses affaires. Après tout, elle a le droit de faire ce qu'elle veut et ses employés sont suffisamment bien payés pour ne pas lui poser de questions. Avec l'argent qu'elle gagne, même s'il est minime, elle se fait une promesse : celle de ne plus jamais tuer d'êtres vivants pour se nourrir. Elle découvre l'existence du marché noir et ne se procure du sang que là-bas, lorsqu'elle en a réellement besoin.

L'anniversaire de la Paix vient chambouler son quotidien encore une fois. L'assassinat de l'impératrice et du roi ne lui arrache aucune réaction, mais la renaissance d'Yggdrasil pique sa curiosité et c'est presque comme si elle pouvait reconnecter avec la Lysia d'antan. Elle prend aussitôt la décision de déménager dans l'arbre, Matthew à ses côtés. Elle a suffisamment économisé pour fermer sa taverne et en ouvrir une nouvelle dans le quartier des affaires d'Yggdrasil. Heureusement pour elle, le marché noir et ses employés suivent la cadence.

Mais un jour, Matthew disparaît. Une note, une simple note explique son absence. Il a passé assez de temps avec elle pour qu'elle puisse voler de ses propres ailes et il a besoin de partir. La nouvelle la surprend et l'attriste profondément. Si le lien avec Matthew s'était brisé, il n'empêche qu'elle le voyait comme son mentor et elle n'est pas certaine de savoir gérer sans lui. De plus, son salaire n'est pas suffisant pour payer un loyer en plus de ses rations de sang. Lysia doit faire un choix, et elle compte bien garder un toit sur sa tête.

A côté, elle rencontre presque toutes les nuits une jeune Elfe dans un parc, Alyss. Plus âgée qu'elle mais beaucoup plus élégante et belle, Alyss apparaît dans la vie de Lysia tel un ange. Les deux femmes se lient rapidement d'amitié, mais la vampire ne se sent pas assez en confiance pour lui dévoiler sa condition. Après tout, seules deux ou trois personnes savent, et elle ne compte pas se révéler davantage. Pourtant, un soir, elle y est obligée. En manque cruel de sang, Lysia tente tout de même de rejoindre son amie et de cacher son état maladif. Mais Alyss n'est pas dupe, lorsque Lysia tombe à genoux, elle la force se dévoiler. Partagée entre le soulagement et la peur qu'Alyss la livre à des chasseurs de prime, Lysia finit par s'évanouir. Ce n'est qu'en se réveillant qu'elle constate que la jeune Elfe l'a ramenée chez-elle et lui a fait boire de son sang. Furieuse, sous le choc, Lysia s'énerve avant de s'endormir contre son amie, épuisée. Depuis, les deux femmes ont passé ce qui s'apparente à un accord tacite : interdiction de reparler de cette nuit où le cours de leurs vies a basculé.

Depuis, Lysia vit avec Alyss ainsi qu'avec une nymphe des eaux, Delia et un animorphe, arrivés tous les deux bien avant elle. Elle a été forcée de leur révéler sa condition mais à son grand étonnement, ils l'ont plutôt bien pris. Lysia dort désormais dans une cave sans fenêtre et, étrangement, elle ne s'est jamais autant sentie en sécurité. Dans les mois qui suivent, elle a appris à accepter, si ce n'est son affliction, le fait d'être en vie et essaie d'en profiter le plus possible. Elle n'aspire à rien d'autre, si ce n'est ce désir latent de partir explorer les territoires d'Yggdrasil. Un jour, peut-être. Ou plutôt devrais-je dire : une nuit.