C'est en forgeant qu'on devient ... [Relou]

Le reflet que Raol voit dans l’agathe dont il s’apprête à sertir une rapière forgée par Gwen ne lui plaît guère. Iel grogne en constatant qu’iel a vraiment une sale tronche. Les cheveux mal coiffés, des cernes qui se creusent de jour en jour, un teint trop pâle par rapport à ses dorures habituelles… La faute à ses nuits qu’iel passe n’importe comment et avec n’importe qui depuis une semaine. Il n’a pas fallu longtemps à la grenouille, suite à sa grande dispute avec Gabryel sous le toit du dragon et de l’altissien, pour retomber dans des habitudes peu saines. Lea Zeteki compense sa peine de cœur en draguant n’importe qui qui veut bien d’ellui pour quelques heures, car iel se sent seul.e et abandonné. Sans leur donner de nouvelles par la suite, évidemment. Tout ça ne lea fait pas se sentir mieux a postériori, bien au contraire.

Il faut vraiment qu’elle se reprenne, la grenouille. Son travail et ses fréquentations vont finir par en pâtir, si elle persiste à faire n’importe quoi avec son hygiène de vie et ses rencontres. Raol n’a pas envie de lèser Gwen, d’autant plus que ça lui plaît, de bosser à la forge. L’eossien se secoue et cesse de se regarder dans le jaune de ses yeux globuleux pour se remettre à l’ouvrage. Le métal a suffisamment fondu et va pouvoir être utilisé pour fixer les agathes taillées en triangles à la garde de la jolie rapière. Il s’agit d’une commande d’arme décorative, donc, la grenouille peut s’amuser à l’orner généreusement, avec d’avantage de finesse qu’une rapière utilisée pour le combat.

Fort heureusement, lorsqu’iel se concentre sur son ouvrage, Raol ne pense plus au reste. Ni à Gabryel, ni au soir du diner maudit, ni aux pertes de mémoire de Ziyal, si aux nombreux autres problèmes dans lesquels la cité est embourbée. Aussi, la grenouille accueille le tintement de la cloche de la porte d’entrée de l’échoppe avec un grognement typique. Iel est seul à la forge pour les heures à venir, il faudra donc s’occuper de la clientèle en plus de son artisanat. Raol prend tout de même le temps de terminer de fixer sa gemme à la rapière et de mettre le reste de son matériel en sécurité. Enfin, iel émerge de son plan de travail en gromellant un « j’arrive » et tombe nez à nez avec un visage qui ne lui rappelle que peu de bons souvenirs.

« Euh… Ah… »

Caches ta joie, Raol.

« C’est vous. Euh. Samaël. »

Lea Zeteki soutient le regard de son « client » mais ne peut empêcher son visage de prendre une teinte orangée en repensant aux scènes du fameux dîner organisé par nul autre que le type en face d'ellui. Iel a toujours honte de la manière dont se sont déroulées les choses et a tout à coup très envie de filer de cette forge de malheur. Et en même temps… une partie d’ellui se demande si l’altissien vient lui apporter des nouvelles de Gabryel.

Pfff… Mais bien sûr. Dans des rêves. Grenouille débile.

Raol s’éclaircit finalement la gorge, se redresse pour reprendre une posture plus confiante (du moins, qui en a l’air) et retire ses gants de travail, les glissant dans son tablier rempli d’outils au passage.

« Qu’est-ce que vous faites là ? Z’êtes perdu… ? »

Iel se rend compte que sa question est un peu conne. Samaël doit connaître le coin, maintenant qu’il y réside. Et par ailleurs, il n’est guère difficile d’imaginer ce qu’un militaire vient faire dans une forge.

« … Ou z’êtes en panne d’épée, ptet ? »

Ouais, remettons-nous dans notre « jeu de rôle artisan-commerçant ». C’est mieux pour tout le monde.

« Peut-être » ? Comment ça « peut-être » ? Il est quand même pas venu pour faire la conversation, tartempion, si ??

Tendu.e, Raol se retient de trop grimacer de gêne devant la clientèle. Iel espère vraiment que l’autre va en rester à lui donner du travail et pas… ah, non, Samaël semble s’interesser à ce que la grenouille fait ici. Lea Zeteki lève brièvement les yeux au ciel et souffle du nez. Exactement ce qu’iel ne voulait pas. Mais bon. Peut-être que l’altissien est simplement gêné, lui aussi, et tente d’apaiser le climat ce malaise qui a envahi la forge à sa manière. Toutefois, lorsque Samaël prononce le nom de Gabryel, Raol sent son estomac se nouer. Est-ce que l’autre est vraiment venu lui donner des nouvelles de la nymphe. Certainement pas, il est juste… il observe et analyse juste les lieux.  

Après un moment de silence, Raol détourne son attention de la mention de Gabryel et ignore sciemment la dernière question. Iel n’a aucune envie de parler du caldissien. Surement pas avec la personne qui les a vu se disputer chez lui. Qu’est-ce que Samaël va dire, hein ? Il va essayer de plaider la cause de son ami le général ? Même si c’était son idée en venant ici, Raol n’allait pas lui en laisser l’occasion.

« …Gwen—M’dame Ashworth m’a formé à utiliser les outils pour faire des réparations sommaires. Mais pour des rénovations majeures, il faudra voir avec elle directement. Elle sera de retour dans… 3-4 heures, je dirais. »

… Je voulais pas sonner aussi sec.

Lea Zeteki soupire discrètement, puis constate que Samaël a dirigé son regard vers son plan de travail et ses gemmes. La grenouille s’éclaircit la gorge afin d’attirer l’attention du militaire.

« Je… m’occupe principalement de sertir des armes ou armures ornementales, ou de placer des charmes magiques sur, bah, comme sur cette dague, par exemple. »

Iel lui présente une dague ornée de quelques gemmes magiques, bien conservée dans une boite matelassée, en attendant que son propriétaire revienne la chercher. D’habitude, Raol aurait fait un petit speech sur les techniques utilisées pour arriver à ce résultat, dont iel est plutôt fier.e. Iel aurait observé les armes portées par son client et présenté quelques gemmes qui auraient pu se fixer joliment sur leurs gardes ou prêter des propriétés utiles à leur propriétaire. Il faut bien dire que quand il s'agit de vendre et de négocier, Raol a beaucoup appris d'Akiya, à force de l'observer. Iel ne sera jamais aussi doué, mais, habituellement, iel se débrouille fort décemment.

Malheureusement, iel est un peu trop gêné par la présence de Samaël et les souvenirs du diner maudit pour se comporter comme iel le ferait avec un client lambda. Là, iel a juste hâte que l’altissien lui fasse sa demande pour qu’iel se mette (ou pas) à l’ouvrage. Après tout, Samaël lea trouve certainement méprisable après ce qui s'est passé l'autre soir. Il n'a certainement pas que ça à faire que l'écouter déblatérer sur de stupides pierres précieuses.

« Hm… tout ça, ça ne me dit pas ce qui vous amène aujourd’hui. »

Pas que je veux le presser mais… bon, en fait, je serais juste plus à l’aise de faire mon travail que de lui faire la causette.

La grenouille se retient de soupirer de soulagement lorsque l’altissien réoriente la conversation sur son épée. Il a compris les signaux de la grenouille embarrassée, c’est un bon point pour lui. Raol s’intéresse donc aux propos de son interlocuteur et hoche la tête lorsque Samaël entreprend de sortir la lame de son fourreau.

« Je peux ? »

Demande Raol avant de saisir avec assurance et dextérité l’arme afin de l’examiner de plus près. La manière dont iel plisse les yeux tout en détaillant le métal, ses potentiel défauts ne lui donne sans doute pas l’air très malin. En passant son doigt contre le plat de la lame, iel émet un bref « hm » et observe à nouveau l’épée sous une source de lumière.

« …J’ai l’impression que vous l’avez peu entretenue ces derniers temps, j’me trompe ? »

C’est une question rhétorique plus qu’autre chose. Lea Zeteki hausse les épaules et garde l’arme en main pour l’emmener dans l’atelier.

« Je vais m’en occuper. »

Ce n’est rien de trop sérieux pour qu’iel ne puisse s’en occuper. Plus tôt ce sera fait, plus tôt iel pourra retourner à ses occupations habituelles. Enfin, à son travail. Enfin… disons que la plupart de ses journées se résument à « se lever, faire à manger, se préparer, aller au travail, rentrer, manger, dormir ». Donc, oui, se rendre à la forge est la partie de sa vie la plus palpitante du moment.

…j’ai vraiment l’impression d’être revenu 1 an en arrière.

Les observations que Samaël fait à voix haute lea tire de son marasme.

« Eh ben… faut dire que les clients préfèrent commander directement des armes ornementales, plutôt qu’altérer leurs anciennes épées ou autres. »

Iel sourit en coin et ricane brièvement.

« Certains ont un lien un peu trop fusionnel avec leurs épées. Enfin… des histoires d’avoir survécu à la guerre avec elles ou… bref. Je peux pas vraiment juger, je pionçais pendant la guerre, moi. »

Et franchement, tant mieux. Quoique, tout existe. J’en connaissais un, d’eossien, qui préférait son katana à saon coinjoint.e et son enfant. Et il est mort. Pas dommage.

La grenouille s’amuse un peu de son trait d’humour douteux et qui ne sera peut-être pas bien  reçu par l’altissien. Même si, pour une fois, Raol n’essayait pas de prendre l’autre de haut. Peut-être qu’iel essaie juste de se détourner du fait que Samaël vient de compliment son ouvrage et qu’iel ne sait pas comment réagir. N’empêche, Raol n’a pas réussi à camoufler un franc sourire en coin.

Il est vrai que les gemmes magiques et les charmes sont des ornements « à part ». Ils n’attirent pas tant l’attention, car leurs effets ne demeurent pas si puissants comparés à de vrais sorts. Et comme le prouvent les questions du général, ce domaine demeure assez peu connu.

« Ouais, entre autres. Les charmes sont surtout utilisés pour de la protection ou du renforcement. On peut en appliquer sur des bijoux, des armes, en l’occurrence, mais aussi des objets du quotidien ou des vêtements. Il y a beaucoup de gens qui achètent des charmes mineurs pour les offrir et pour… Disons, pour la symbolique de leurs effets ? »

Certains parents inquiets aiment offrir des charmes d’apaisement ou de protection à leurs enfants, par exemple. Souvent, c’est un argument pour faire cadeau d’un joli objet ou d’un bijou « avec un petit plus » à leur proche. Enfin, c’est ce que Raol a pu constater.  

Raol quitte un moment son poste, s’essuie les mains et va chercher une boite matelassée remplie de charmes de toutes tailles.

« Tous les charmes sont composés d’une ou plusieurs gemmes magiques. Les effets et la puissance de chaque quartz sont très variables… Pour qu’ils fonctionnent, il faut qu’ils soient sertis avec des matériaux capables de canaliser leurs magies. Le métal le plus puissant, notamment utilisé pour des armes, c’est l’obsidienne… je l’utilise rarement, à part pour des commandes spéciales : il est cher, complexe à manier et trop puissant pour certaines gemmes -c’est chiant, d’ailleurs, à chaque fois, je gâche plein de pierres et le prix de la commande couvre à peine toute les pertes, m’enfin bref-.  Le plus communément, on utilise des alliages à base de de magirium, ou un mélange de bois et de métal. »

En se rendant compte qu’iel s‘étale beaucoup, l’amphibien s’éclaircit la gorge puis remet en ordre les charmes qu’iel a commencé à montrer à l’Enodril pour accompagner ses explications.

« … Vous aviez quelque chose de particulier en tête, peut-être ? »


Je le vois pas comme un type qui porterait des charmes sur ses armes ou des gemmes sur lui. Peut-être qu'il veut faire un cadeau ou... c'est pas mes affaires.

Faut que j’arrête d’essayer de faire des vannes, moi, personne les comprend.

Pour une fois, le but de la grenouille n’était pas de mettre son interlocuteur mal à l’aise. Ce serait bien hypocrite, sachant que Raol est très attaché à ses gemmes, ce qui doit paraître absurde à beaucoup de gens. Alors, pourquoi pas une épée, après tout. Iel était déjà assez embarrassé comme ça, l’amphibien et iel en rajoute. La grenouille ne répond pas, afin de ne pas se ridiculiser à nouveau.

Au moins, Samaël a l’air de s’intéresser à son ouvrage, ce qui allège l’ambiance. Raol n’essaie pas spécialement de lui vendre quelque chose (même s’iel ne serait pas contre) et continue de s’occuper de l’épée en priorité. Cela dit… lea Zeteki ne peut s’empêcher d’être interpellé par la curiosité de son client, qui persiste à dire qu’il n’est là que pour des réparations... Raol à beau dire que cela ne lea regarde pas, iel reste une vraie commère.

« Ouais, ça peut être tout type de protection. Physique, magique, élémentaire, etc. »

Iel observe l’autre avec une certaine curiosité. Pendant ses explications, iel manie l’épée avec précaution afin de lui faire un bon aiguisage, de la polir un peu pour lui rendre de la brillance et de lisser les quelques imperfections.

« Les charmes sont assez populaire chez certains hybrides, pour la grande variété d’effets qu’ils permettent d’obtenir. Les animorphes apprécient les protections magiques, tandis que des magimorphes vont chercher des gemmes ou des enchantements capables de les rendre plus résilients face à la force brute. »

Raol a donné le premier exemple qui lui est venu à l’esprit, mais il s’aperçoit qu’il s’adapte plutôt bien à la situation de Samaël et de son colocataire. Sans plus y penser, iel se concentre à nouveau, sur ses outils, sans savoir comment enchainer.

« J'ai davantage de caldissiens que d'altissiens ou d'eossiens dans ma clientèle, en général. »

Avant, Raol faisait tout pour exploiter sa clientèle Elysiane et l’arnaquer. Pour faire littéralement payer les envahisseurs.  C’était plus frustrant qu’autre chose. Puis, ça ressemblait vraiment à quelque chose qu’Akiya aurait pu faire. Raol s’en est rapidement lassé. Pas que les riches ne devraient pas payer pour les crises mais… si c’est uniquement pour enrichir une grenouille égocentrique et xénophobe, alors, ce n’est pas si réjouissant que ça. Ni satisfaisant d’un point de vue moral. Ni sans risque.

En parlant avec l’Enodril, Raol se rend compte ne plus avoir autant de haine à cracher à la figure des Altissiens et des Caldissiens. Même si les militaires continuent de lea mettre mal à l’aise. Il y a toujours ces remords qui lea rongent, liés à cette personne qu’iel a empoisonné il  y a plus d’un an.. Les elysians ont leur tord, oui, mais Raol sait désormais à quel point iel a été dans le tord dans sa manière d’appréhender les bouleversements récents.

Puis, iel a admis à ellui-même qu’iel n’aime pas vivre en Yggdrasil. Qu’iel ne se sent pas à sa place chez les eossiens. Donc… le reste des Elysians (du moins une bonne partie) ne lui semblent plus aussi monstrueux.

« J’ai l'impression que les altissiens, vous préférez les accessoires qui ne sont pas trop ostentatoires. C’est… enfin, cela vous fait un point commun avec les eossiens, j’imagine. »

Pas lea grenouille d’il y a un an qui aurait reussi à dire un truc pareil sans s‘étouffer d’horreur.

... ça veut pas dire que j'ai envie de devenir le meilleur pote d'Enodril pour autant, par contre.

Même si Raol ne voit pas les choses de cette manière, il ne peut qu’admettre que Samaël a raison. Tous les habitants du continents sont les descendants des eossiens, d’une certaine manière. La grenouille se demande combien d’eossiens encore en vie aujourd’hui ont peut-être déjà croisé leur lointaine descendance sans le savoir. Quoique, pour avoir appris depuis peu qu’il y a de nombreux Zeteki en Caldissia… Raol en a une petite idée. Même si ce ne sont pas ses descendants, mais plutôt de très lointains cousin.e.s. Mais il a surtout constaté que sa famille a mieux survécu a l’est du continent que ses membres partis vers l’ouest réfugiés en Yggdrasil. Ziyal ne veut pas lui en parler ou dit qu’iel ne se rappelle pas. Akiya était radicalement opposé, traumatisé, même, à l’idée de révéler quoique ce soit sur le sujet à part une légende des plus convenues. Raol se demande ce qui s’est vraiment passé, pour que leurs ancêtres se séparent ainsi.

Tout en méditant les paroles de l’autre, le Zeteki a bien progressé sur son ouvrage et la lame lui parait en bien meilleur état, désormais. Alors qu’il s’interroge sur la suite du processus, s’il doit affuter encore un peu la lame ou la nettoyer, l’autre se croit malin de faire une vanne un peu gênante. Du moins, Raol s’en trouve mal à l’aise. Il arque un sourcil, vaguement irrité les remarques de l’altissien.  

« Non. C’est juste une évidence. »

Réplique sèchement la grenouille qui n'a ni envie de rire, ni envie de se faire féliciter pour son « évolution ». Surtout quand il s'agit d'être moins xénophobe et vraiment pas d'avoir résolu le racisme en quelques mots. Il n'est pas fier de lui et n'en est pas encore au stade de faire des vannes sur ses erreurs (graves) passées. Il s'agit de personnes qu'il a failli dessouder... d'une personne qu'il a vraiment tuée, même. Cette manière de rejeter violement ses pairs, pour leur simple différence ou leur incapacité à s’adapter à sa manière de voir les choses, c’est comme ça que son père procédait. Et Raol a décidé de ne plus être comme lui depuis déjà un moment.

Mais ça, Enodril ne peut pas le savoir. Et je tiens pas à ce qu’il l’apprenne un jour.

Raol tente de se détendre avant de poursuivre. L’altissien ne pensait probablement pas à mal, mais ses propos lui ont rappelé des souvenirs désagréables.  

« J’sais que la barre est au sol vu comment j’me comportais avant, mais y’a pas de quoi s’exciter non plus. »

J’ai beaucoup à apprendre. Je fais pas ça pour être applaudi. Je fais ça car c’est… la bonne chose à faire pour moi et mes proches. Enfin, je crois.

Pour changer de sujet, il reporte son attention sur l’épée du général. Il passe un chiffon légèrement humide sur la lame bien affutée pour en chasser les restes de poussière, puis l’imbibe d’un peu d’huile de lin pour lui rendre un bel éclat. Une fois cela fait, la grenouille fait briller l’acier sous la lumière pour tenter de déceler les dernières imperfections à corriger. Mais le résultat lui semble satisfaisant. D’un geste habile, il retourne l’épée entre ses mains et la présente, garde en premier, la lame reposant sur ses paumes et ses doigts, à son propriétaire.

« Ça vous va ? »

Il attend que Samaël reprenne son arme et lui donne son aval afin de poursuivre :

« Hm… il vous faut autre chose ? Un charme, par exemple ? »

Bah, quoi ? Ça avait l’air de l’intéresser. En plus, ils sont vraiment très bien et très jolis, mes charmes.

Samaël n’est toujours pas tenté par les charmes mais il continue de poser des questions à leur sujet. Raol a du mal à saisir les raisons de l’hésitation de son interlocuteur lorsqu’il l’interroge. Mais, quand l’altissien parle de booster la confiance de quelqu’un, la grenouille finit par connecter les points. Et les choses deviennent soudain plus claires.

Ah. Mais il parle de Natsume en fait.

S’intéresser à des amulettes de protection physique plutôt que magiques qui intéressent notamment les magimorphes, ça aurait déjà dû lui mettre la puce à l’oreille. D’autant plus que Raol sait que Samaël vit avec un magimorphe plutôt frêle. Quand à cette histoire de confiance en soi… eh bien, l’association est évidente également. Il y a quelques mois, le Zeteki se serait certainement moqué très grossièrement de l’Enodril. Des choses dans le ton de : « vous avez vraiment des préférences qui craignent du cul bordel », « je comprends mieux que vous écriviez mal des poème, votre soucis c’est juste que vous avez des gouts de chiotte ». Des remarques des plus abjectes, oui.

L’opinion de Raol sur Natsume n’a pas changé, depuis leur dernière « discussion ». Le diner n’a pas fait remonter le dragon dans son estime. Il aimerait dire qu’il s’en fiche complètement, mais ce serait un gros mensonge. Enfin. Ça, Enodril n’a pas besoin de le savoir. Par contre, c’est trop tentant de faire comprendre à l’Altissien qu’il et aussi transparent qu’un cristal poli. Et de bonne guerre, pour répondre à la taquinerie de ce dernier, non ?

« Vous pouvez le dire, que vous cherchez quelque chose pour Natsume. »

La grenouille hausse les épaules et se donne l’air totalement détaché. Il préfère largement s'étendre à nouveau au sujet de ses ouvrages plutôt que sur Natsume, bizarrement.

« C’est possible, cela dit. Enfin, indirectement. Je n’ai pas de pierre ou de charme qui altèrent réellement la confiance en soi. Il n’y a que la psychomancie qui pourrait vraiment agir sur ça directement et j’ai pas très envie d’m’y pencher. »

A nouveau pris dans un exercice de pensée relatif à l’un de ses sujets de prédilection, la grenouille marque un arrêt. Raol demeure pensif un petit instant, mais, rien à faire, l’idée de demander à appliquer des sortilèges qui agissent sur la psyché le mettent mal à l’aise. Bien sûr, ça pourrait être utilisé dans le but d’aider beaucoup de gens mais… les dérives possibles sont probablement trop nombreuses. Sans parler des erreurs de manipulation qui auraient des effets dramatiques.

« Enfin, faut plutôt imaginer des équivalents de sorts d’apaisement, de renforcement ou qui changent certaines caractéristiques physiques. De la magie blanche ou d’altération à l’efficacité moindre, en gros. »

A nouveau, Raol émet un « mmmh » méditatif.

« J’ai déjà travaillé sur des charmes d’altération, mais j’vous cache pas que le tarif est bien plus élevé, car je dois consulter un.e enchanteur.ice. Je suis plus spécialisé en magies élémentaires et en cailloux aux effets mineurs ou moyens, ‘voyez. »

Pourquoi il demandait ça, déjà ? Ah oui, pour son « colloc ».

Cette dernière pensée rend son rictus narquois à la grenouille. Cependant, il ne se permettra pas de faire remarquer à Samaël que son crush monumental sur son pote magimorphe ne fait aucun doute. Il a franchement la flemme de porter la responsabilité qui découlerait la réaction de l’altissien.

Mais… mais pourquoi il réagit comme un enfant, d’un coup ?
Il est accro à Natsume à ce point… ? Ou alors c’est la première fois que ça lui arrive ? Eh bah-- bah c’est pas un truc que j’avais envie de savoir, en fait. Mais maintenant, ‘va falloir que je fasse comme si j’avais pas remarqué.

…Mais s’il insiste, ça risque d’être compliqué.

Raol se détourne brièvement et se mord la lèvre afin de retenir un gloussement moqueur. Il doit vraiment rester dans son rôle de commerçant, même s’il a très envie de réagir en secouant l’altissien molasson. Ce qu’il ajoute à propos des charmes arrache un rictus franc au Zeteki. Effectivement, les charmes paraissent superficiels à certains, d’autres considèrent que c’est tricher.

« Ça s’entend, ouais. Mais les gens qu’ont à ce point besoin d’insister qu’y sont trop talentueux pour s’abaisser à utiliser des charmes, y ont ptet des trucs à compenser aussi, nan ? »

Il a formulé cette dernière interrogation d’un ton mi-blagueur, mi-sérieux.

« Les charmes ne sont qu’une aide ou un bonus, après tout. Ils n’ont pas la prétention de remplacer un vrai entrainement physique ou magique ! »

Raol n’a jamais considéré que ses charmes allaient venir substituer de vrais traitements médicaux, psycho-thérapeutiques ou autres. Mais… il s’avère que beaucoup de gens restent attachés à des biens matériels « de confort », qui les rassure d’avoir sur eux. Pour certains, un charme remplit cette fonction, en plus d’avoir un effet qui peut parfois leur servir de « béquille ». D’autres sont simplement attachés au fait d’avoir de jolis objets ou décorations artisanales sur eux, qui correspondent à leurs caractères ou leurs esthétiques de prédilection.

En vrai, pas étonnant que beaucoup trouvent ça futile ou inutile, surtout parmi les eossiens. Mais bon.

« 'Fin, c’est possible d’avoir plusieurs charmes actifs. Comme sur ce carquois, par exemple -c’est une commande-. »

Il lui présente l’objet en question. Un grand carquois de cuir orné de quelques décoration d’argent, sur lesquelles sont enchâssés de petites gemmes triclores.  

« C’est une question d’équilibre entre les charmes et les matériaux. Mais pour que ce soit dangereux… soit la pierre était vraiment trop puissante et c’était imprudent de l’utiliser au départ, soit un enchanteur a voulu vous jouer un sale tour. »

Dans le cas de Raol, le pire qui a pu arriver était que les charmes ne marchent simplement pas. Ou qu’ils perdent très rapidement leurs effets.

Après ces nouveaux échanges, Raol n’est qu’à peine surpris qu’au final, l’Enodril continue d’insister sur le fait qu’il ne s’intéresse ABSOLUMENT PAS aux charmes pour en offrir au Shimomura. Comme s’il avait besoin de faire des détours pour que l’amphibien ait le temps d’oublier ces détails-là. Cette fois, Raol se contente de soupirer et de lancer un regard narquois au Général, comme pour le défier.

« Ouais, ouais, ouais, j’en doute pas. Je suis sûr que vous avez plein d’autres amis eossiens dont vous êtes aussi proche. »

Il marque une pause de quelques courts instants. Juste assez longue pour être gênante. Puis il brise de contact visuel avec Samaël et poursuit, comme si ne rien était.

« Sinon… si vous craignez les qu’en dira-t-on, c’est votre soucis. »

Pourquoi il se prend la tête à ce point, d’ailleurs ? Il compte offrir son cadeau depuis une estrade, en dansant et en chantant la sérénade, ou… ? Personne n’a besoin d’être au courant en dehors de lui et de l’autre.

Dommage que le Zeteki préfère ne pas parler en son nom maintenant. Il aurait pu témoigner qu’il a bien aimé qu’un caldissien à beaux cheveux lui offre une dague ornée. Dague aux motifs caldissiens qu’il porte d’ailleurs encore sur lui à l’heure actuelle, malgré le fait d’être en froid avec Gabryel.

« Tous les éossiens sont pas les mêmes. Certains aiment les armes tout en étant pacifistes. Certain jaseront, oui, y'a des commères partout. »

Certains ne sont même pas du tout pacifistes.  

« Vous connaissez mieux que moi les goût de-- de la personne à qui vous voulez offrir ce cadeau. »

Une manière polie de dire (peut-être trop subtile) qu’il n’a absolument pas envie d’aider l’altissien à choisir un cadeau pour son « collocataire ».