Pour toujours et à jamais

ft. Sebastian L. de Venomania & Ludeciel L. de Venomania (pnj)


Je suis épuisé... et trop malade à mon goût. Mon teint est cadavérique, mes yeux rougis et mon nez irrité. Certain.e.s diront que j'exagère, comme à mon habitude, mais cette fois-ci ce n'est pas le cas. Des bactéries sont venues se loger dans mon corps, comme si je n'étais déjà pas assez fatigué... Combien de temps cela fait-il que je n'ai pas dormi ? Je ne sais plus. A vrai dire, c'est un peu idiot mais je n'ai cessé de travailler, de lire et d'étudier tout et n'importe quoi, pour ne pas songer à ma vie personnelle. Car si je suis dans un état pareil c'est bien évidemment parce que je n'ai pas fait attention, mais il suffit de me connaître un minimum pour savoir que ce n'est pas mon genre de négliger ma santé. Tout du moins pas à ce point. Et pourtant, je me suis retrouvé au beau milieu d'une forêt maudite en train de dormir à peine réchauffé par un feu de bois de fortune. Aux côtés de Raol. Et quel idiot j'ai été, en y repensant. Je ne regrette pas mon choix, néanmoins cette relation étrange me perturbe. C'est maladroit, inattendu et... probablement pas très sain. Je n'ai pas recroisé la grenouille depuis ce jour, cela fait déjà une bonne semaine. Non pas que je compte les jours, mais disons que j'ai du mal à remettre de l'ordre dans mes pensées à cause de mes reniflements incessants.

Je ne sais plus comment réfléchir. Alors qu'à nouveau je me regarde dans la glace, je constate que ma mine est bien sombre. Mes cernes n'ont eut de cesse de s'épaissirent et mes joues de se creusées. Je crois que j'ai loupé quelques repas, je ne sais pas. J'ai la sensation que si j'avale quelque chose je risque de le régurgité immédiatement. Hier j'étais un peu patraque, mais aujourd'hui je suis définitivement malade. Je porte le dos de ma main à mon front et je ne peux que le sentir brûlant. J'ai encore du travail... Heureusement pour moi mon excessive façon d'être trop inquiet pour moi finit par l'emporter et je m'habille difficilement pour me rendre à l'hôpital. Le médecin m'a dit que ce n'était rien de très grave, sûrement un coup de froid et une fatigue trop intense et qu'avec du repos ça ira bien mieux. Les concoctions apaisèrent ma fièvre et mes courbatures, mais à vrai dire cela n'arrangeait rien à mon état de zombi. Alors tout en baillant à moitié je remerciais le soignant et prit congé, retournant à mon domicile. Depuis la destruction du Centre de Commandement je n'ai plus travaillé nulle part d'autre que chez moi. Les bureaux du Quartier des Armes ne me dérangent pas plus que cela, mais il y a souvent de l'agitation et... j'ai besoin de calme, pour une fois.

Alors -un peu par esprit de contradiction- je me remis à lire les papiers et les quelques rapports sur les Éclaireurs. Il y a beaucoup de suspicions, jamais de réelles preuves, ou peu. Je me masse l'arête du nez. Puis-je seulement ralentir ce mouvement ? Augmenter les patrouilles et les fouilles, n'est-ce-pas cela qui a contribué à cette colère générale ? Le silence de la trop grande demeure fut soudain brisé par les cliquetis des griffes de Bjorn sur le sol. Il reniflait frénétiquement la porte. Il ne grognait pas, au contraire. Il semblait très excité, pressé même. Fronçant des sourcils, je me lève et ne tarde pas à entendre quelqu'un toquer à la porte. Je ne serai donc pas tranquille aujourd'hui, mh ? Ma tronche de mort-vivant est la première chose que verra la pauvre personne derrière, tant pis. J'ouvre, un peu à contre-coeur, et écarquilla les yeux. Face à moi, en chair et en os, se tenaient mon grand-père Ludeciel et mon père, Sebastian. Ma bouche s'ouvre, mais aucun son ne sort. Je ne suis plus très sûr de ce que je suis censé dire et en fait j'ai du mal à me faire à l'idée que ce que je vois est la réalité... Quoique, ma fièvre m'aurait-elle joué des tours... ? Non, tout de même pas à ce point.

« Bonjour fils. Tu as mauvaise mine, ne me dis pas que tu viens tout juste de te réveiller ? Un an sans ma surveillance et te voilà déjà plongé dans un mauvais rythme. »


Mon père fut le premier à parler, l'air tout à fait sérieux bien que je détecte un semblant d'inquiétude au fond de ses yeux. Le plus vieil homme roule des yeux et sourit faiblement, me saluant à son tour.

« Bonjour Gabryel. N'as-tu pas grandi ? Ou peut-être est-ce moi qui me suis affaissé, ça ne m'étonnerais guère... »


Sans réellement attendre la permission ou même une réponse, les deux pénétrèrent dans la maison au coude à coude. Je n'ai toujours pas prononcé le moindre mot, je ne me contente que de m'écarter un peu pour les laisser rentrer. J'agis machinalement, en réalité toujours bloqué par leur présence ici. Que font-ils à Yggdrasil ? Ont-ils déjà eu des échos de... tout ça ? Je me mets à angoisser comme un enfant ayant eu des mauvais résultats à un examen et j'en oubli presque ma maladie. Mes cils battent l'air vivement tandis que je déglutis, me raclant ensuite la gorge pour réussir à reprendre mes esprits. Je débarrasse rapidement mes aînés de leurs manteaux, les installant par la même occasion sur la table où tous mes papiers s'entassaient.

En bredouillant une excuse, je tente de mettre de l'ordre dans le flot de parchemins. Mais la main de mon père m'arrête. Et voilà... il me fait ce regard. Celui qui veut dire qu'il s'intéresse grandement à tout ce travail. Je ne peux rien dire, je me contente de m'asseoir, le laissant fouiller sans la moindre gêne. Il semble se mettre à jour, sans doute pour éviter de devoir poser des questions. Ces dernières années il a toujours eu tendance à vouloir écourter au maximum nos conversations, parce que le temps c'est de l'argent et qu'il ne peut se permettre d'en perdre en posant des questions auxquelles il pouvait avoir aisément des réponses. « Tu devrais agir de la même façon. », me disait-il souvent. Sans doute avait-il raison, je ne sais pas. Mais il n'a jamais vraiment apprécié mon côté diplomate et beau parleur, quelle ironie.

« Je ne m'attendais pas à vous recevoir ici. Excusez-moi si je n'ai pas bonne mine père, le médecin m'a apprit que j'étais malade. Je respecte toujours vos horaires de levés, un homme qui se lève tôt est un homme qui réussi, me disiez-vous. »


Mon interlocuteur hoche brièvement la tête, toujours plongé dans sa lecture intensive. Il ne prend pas la peine de répondre, se contentant d'un bref signe de la main à Ludeciel pour que lui se mette à s'exclamer à propos de la situation. Son ton est toujours aussi calme et grave qu'auparavant... Au moins, eux, n'ont pas changé.

« Nous sommes venus ici après avoir apprit pour le Centre de Commandement. Nous comptons rester à Yggdrasil pour une durée indéterminée. Sebastian a d'importantes choses à voir ici et moi cela fait bien longtemps que je n'ai plus profité de ta présence. Mais apparemment tu es un homme prit. » Son regard dévie pour analyser son environnement. « Je vois que tu ne risques pas d'avoir le mal du pays. Cette demeure est assez ressemblante au domaine familial à Caldis. C'est toujours aussi propre, c'est bien. Quel honte cela aurait été que tout soit en désordre ahah... Heureusement tu n'es pas du genre à décevoir. Par ailleurs, sers nous donc un verre de vin, sois poli mon enfant. »


Je ris faussement à sa remarque, un poil mal à l'aise. Puis je m'exécute, me levant subitement pour partir à la recherche de la meilleure bouteille que je garde ici. Mais j'avais oublié que les dernières ont été sifflées lors de mes multiples dérives avec Klaus ou Samaël, voire même seul. Bon sang... Je pioche celle qui me semble le mieux et revient dans la pièce principale, les jambes un peu flageolante. Mon père semble avoir rangé les papiers, prêt à s'adresser à moi un peu plus directement. Je sers un fond de verre à chacun de nous, souriant du mieux que je le peux malgré la fatigue. Je sais qu'ils n'apprécient pas lorsque je ne me sers pas en même temps qu'eux, ils trouvent ça irrespectueux... mais je donnerai tout pour ne pas le faire au vu de l'état très approximatif de mon estomac. Mais je me force, m'asseyant à mon tour et buvant une légère gorgée du vin. Il passe mal, très mal.

« Lui n'est peut-être pas décevant, mais ce vin l'est. »


Je sers la mâchoire. Il n'a pas tout à fait tort, mon père. Ce breuvage n'est pas immonde et à vrai dire n'importe qui le trouverait même assez succulent. Mais je connais les goûts complexes du fameux Sebastian Lyan de Venomania. Je marmonne une excuse, sentant déjà un maux de tête me venir. Je sentais que la journée allait être longue et cela me faisait un peu peur. Un long silence passe, durant lequel chacun se concentrait sur sa boisson. C'est habituel, alors ça ne me met pas mal à l'aise. Je sais que mon père prend toujours plaisir à déguster sa boisson avant d'entamer la discussion. Mais j'avoue ne pas avoir énormément de patience aujourd'hui...

« Je ne t'ai jamais vu aussi peu compétent dans ton travail, Gabryel. »


Le ton de Sebastian est glacial. En réalité, sa voix l'est toujours plus ou moins. Mais cette remarque me touche en plein cœur. Je sais bien que je suis incompétent, mais l'entendre si brutalement alors que personne n'osait le dire depuis des lustres... et de sa bouche à lui... je sens comme un pincement. Quel échec.

« Voyons Sebastian, ce n'est pas aussi simple que cela. Le Roi n'est plus, puisse-t-il reposer en paix, et rien n'est normal dans sa situation. Fait preuve de plus de compassion, Omnis ne peut pas bénir tous les jours le même enfant. »


La tension venait de grimper d'un cran. Cela pouvait sembler être un échange cordial vu de l'extérieur, mais c'était très loin d'être le cas. Quasiment personne ne contredisait mon père, il n'y avait que Ludeciel qui pouvait se le permettre sans risquer de représailles. Et lorsqu'il le faisait... ça ne passait jamais bien. Tous les deux échange un rictus, mais ce n'est qu'un masque de bienveillance. Chacun souhaite que l'autre se taise et n'aille pas plus loin. Et heureusement pour mon cas ils se stoppent là.

« Cela étant dit, ne néglige pas ta santé. C'est sans aucun doute une des rares choses en ce bas monde que l'on ne peut guère s'offrir. »


Un silence passe, encore. Bien plus pesant qu'auparavant. Même si je ne m'en inquiète pas, je me pose quelques questions. Qu'entend-t-il par là ? Je ne m'attarde pas là-dessus, me contentant de changer de sujet.

« Mère n'est pas ici ? »


« Le contraire aurait été surprenant, tu ne crois pas ? »


Cette fois-ci, la réponse ne s'était pas faite attendre et ce fut Ludeciel qui répondit à la place de mon père. Ce dernier jette un regard en biais vers le tableau familial et son fils vers les plus petits cadres. La famille y est représentée, un peu partout et de différentes façons. J'en viens à me demander s'ils ont rendu visite à Elizabeth, mais... c'est naïf d'y croire.

« Tu ne nous as plus envoyé de lettres depuis bien longtemps. J'ai cru être pourtant clair avec toi sur ce sujet, je voulais des nouvelles sur la situation. Mais au final j'ai dû faire appel à des connaissances. Et je ne découvris rien de bien beau. Il va falloir resserrer l'étau Gabryel, tu le sais n'est-ce pas ? »


Évidemment que oui... Je sais pourquoi il me dit cela. Le connaissant il a du se renseigner sur mes dernières décisions et mes agissements. Si ce n'est même mes relations. Au fond je me sens un peu soulagé, je vais pouvoir compter sur son soutien professionnellement parlant. Je sais qu'il est toujours de bon conseil et qu'il sait de quoi il parle. Alors je ne redoute pas trop ses projets, me disant avec candeur qu'il ne ferait rien qui ne m'affaiblirait plus que je ne le suis déjà -si c'est possible-. J’acquiesce donc à ses paroles en buvant une énième gorgée d'alcool -toujours aussi immonde pour moi-.

Pendant un bref instant nos regards se croisent. Et je comprends qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Il a des choses à me reprocher, à me dire... Je tente de ne pas me montrer perplexe et sourit de façon angélique. Mais ce rictus n'est pas contagieux. Sebastian garde son visage sévère et me toise silencieusement. Puis après ce qui me sembla une éternité il se mit à continuer, d'une voix un peu plus forte :

« J'espère très fortement que tu ne joues pas à l'idiot avec ces lâches d'Altissiens et...ces Éossiens. Je sais à quel point tu as tendance à être bon envers autrui, mais tu n'as pas à te lier avec des ennemis. Je te l'ai pourtant assez répété, tu finiras par en payer le prix fort. Sauf que les conséquences peuvent affaiblirent la famille et cela il en est hors de question. Mais tu n'es pas du genre à te laisser ensorceler par ces démons, pas vrai ? »


Oh ce n'est pas une approbation qu'il attendait, loin de là. Cette phrase n'était qu'une pure et simple menace. Il ne faisait jamais les choses dans mon dos et là il me prévenait clairement qu'il allait surveiller mes fréquentations. Et à mon avis il est au courant pour mon amitié avec Samaël... c'est en tout cas ce que ce qu'il laisse sous-entendre. Pour Raol néanmoins ça m'étonnerait. Mais le ton dédaigneux et hautain qu'il employa ne me rassura pas. Je n'en étais pas sûr, mais dorénavant c'est limpide : il les hait. Ou plutôt s'en méfie durement. Il a ses raisons, c'est ce que je me dis pour excuser son air arrogant et le fait qu'il crache avec dégoût le mot « Éossien ».

J'en viens à un peu appréhender les premiers jours pour lui ici... Il risque de tomber de haut, quelles que soient ses attentes concernant Yggdrasil. Il n'a jamais été pour notre départ ici, s'il aurait été Roi il aurait sans aucun doute fait du grand arbre un champ de bataille pour arracher aux Altissiens le moyen de nous être supérieurs. Que ce sois l'Artefact ou des autres découvertes, tout aurait été bon à prendre. La population Éossienne, elle, aurait été spectateur de ce terrible événement. Et s'ils se seraient révoltés comme ils le font actuellement... Mes yeux glissent vers les poings serrés de mon père et mon cœur se serre lorsque je me rends compte qu'il aurait sans doute donné l'ordre de tous les anéantir.

Je ne sais pas combien de temps ils comptent rester, mais quelque chose me dit que ça ne va pas être facile pour me déplacer sans avoir un regard sur moi.

« Il en va de soi, père. Je n'entretiens que des relations cordiales dans le but de ne pas entraver nos actions professionnelles. Son Altesse ayant prit la décision de cohabiter avec les Altissiens j'essaye de garder des relations stables pour ne pas compliquer les taches et obéir du mieux possible à la royauté comme nous l'avons toujours fait. Il serait fâcheux de voir mes ordres discutés, aussi. Et à Yggdrasil j'ai bien l'impression qu'il vaut mieux se montrer coopératif, si je puis me permettre. »


Son regard est pénétrant, indéchiffrable et il tranche plus qu'un sabre. Un désagréable frisson parcours mon échine. Je n'ai pas peur de mon père, mais je lui voue un respect si grand que je n'ose pas le contrarier ou aller à l'encontre de sa pensée. Je sais que si je suis où je suis c'est en partie grâce à lui. Néanmoins je soutiens son regard, difficilement. Son visage est neutre, ni agressif ni chaleureux. C'est juste... un mur. Une énorme armoire de glace. Une personne qui ne semble plus savoir comment exprimer ses ressentis... s'il en a seulement. Il poussa un soupir tout en buvant une nouvelle gorgée du vin.

« Certes... »


Il fait un geste de la main comme pour balayer ce sujet de la conversation. Père était du genre à aimer contrôler les discussions et les situations. Il n'est pas du genre à tourner autour du pot et il n'aime pas non plus perdre trop de temps sur quelque chose puisqu'il ne changera de toutes façons pas d'avis. Ainsi il reprit :

« J'ai ouïe dire que tu avais quelqu'un dans ta vie, mon fils. Qui est-ce ? »



Hein ?
Comment il le sait ? Non, plutôt qui le lui a dit ?
Il ne parle pas de Raol. Impossible. Personne ne sait rien de nos échanges. Par contre, beaucoup ont vu Klaus rentrer et sortir de chez moi, parfois y passer la nuit. Si c'est de lui qu'il parle... que suis-je censé dire ? Il n'a jamais trop apprécié les coureurs de jupon et affirme que ce n'est pas bon pour l'image de la famille -bien qu'il se fiche à peu près de qui peuvent bien être mes compagn.e.on.s. Je tente de formuler quelque chose d'à peu près logique :

« Ce n'est plus le cas. Nous étions en désaccord quant à la façon de gérer notre nouvelle vie commune. Nous n'étions pas fait pour nous entendre et-... »


« Je t'ai posé une question. Qui est-ce ? »


Je ne voyais en lui qu'un papa poule trop protecteur. Je n'imaginais pas une seconde qu'il pouvait dire de telles choses uniquement pour... se protéger lui.

« Klaus. Klaus Evergarden. »


Ses sourcils se lèvent. Il est surpris de ne pas connaître ce nom. Ce n'est pas comme s'il s'intéressait grandement aux autres familles, mais il devait s'attendre à un domaine d'une certaine noblesse. Son interrogatoire continu.

« Et où as-tu bien pu rencontrer cet homme ? »


Eeh... La vraie version n'est pas glorieuse. Si je lui dis que c'est un ancien collègue il verra ça d'un mauvais œil, alors...

« A la bibliothèque. »


Père est perplexe. Il n'y croit pas du tout. Cependant à ma grande surprise il ne relève pas et continu de boire son verre jusqu'à le finir entièrement. Il délègue la parole à Ludeciel qui prend un ton bien plus grave.

« Les banalités étant donc échangées, nous pouvons te parler de la réelle raison de notre venue ici. Tu n'es pas sans le savoir, la vieillesse commence à m'étreindre un peu trop brutalement... » Je n'aimais pas du tout ce début de phrase. Pas du tout. « Ma condition physique se fait compliquer, mais en temps normal il me resterait encore quelques années de réussite. Mais. » Mais. Mais quoi au juste ? Je commence à trembler nerveusement. « Je suis touché par une maladie cardiaque. Une déficience qui me mènera à la mort d'ici très peu de temps. »


Je ne sais pas ce qui me fit le plus mal. La résignation qu'il éprouvait ? Son ton monotone ? La révélation en elle-même ? En tout cas mes yeux me brûlaient. J'avais une sensation de lourdeur immense. C'était comme si mon estomac venait de se retourner. J'ai envie de vomir. De crier. De pleurer. De comprendre, aussi. Mon grand-père continua, comme si cette mort prochaine n'était qu'un petit détail.

« Il ne me reste plus que quelques mois. Ainsi il faut que tu... »


Je ne l'écoute plus. Je suis totalement choqué. Je ne bouge plus, ma respiration se fait haletante et je commence à voir flou. Je suis déboussolé. Que suis-je censé faire ou dire ? Comment puis-je vivre tout en laissant derrière moi une des personnes qui m'a tout apprit ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ? Y a-t-il un moyen de le sauver ? Est-ce-que je peux trouver quelque chose ? C'est cela ma mission, non ? Je dois trouver un moyen de le sauver. Oui... Oui je ne dois pas le laisser mourir. Je ne dois pas...
Je ne peux pas.
Je ne veux pas.

Tandis que mes doigts sont liées et que je fixe la table, je sens une chaleur envelopper mes mains. En relevant un peu la tête, j'aperçois le visage de mon grand-père souriant. Il me tient les mains et tenta maladroitement de me consoler.

« Tout Homme trouvera un jour ou l'autre la mort. J'aurais pu mourir misérable et seul, mais Omnis soit loué je ne regretterai pas de quitter ce monde. J'ai accompli mon devoir, il est temps pour moi de laisser la place aux nouvelles générations. J'ai eu un fils extraordinaire et un petit-fils qui le dépassera sans aucun doute. Je suis amplement satisfait de mon existence et ne suis pas amer à l'idée de laisser notre famille entre tes mains, après tout tu es bien le descendant d'Orion je n'ai aucun soucis à me faire. »


Sa main vient me tirer doucement la joue tandis que je reste encore statique. Ma gorge se serre. Je n'ai pas le droit de me montrer faible, surtout face à eux. Mais c'est si inattendu. Pourquoi rien ne va ces temps-ci ? Pourquoi tout est si compliqué ? J'en ai assez, je suis fatigué... Mais d'un coup je réalise la signification de sa phrase. Comme un vieil engrenage rouillé ma tête pivote avec difficulté vers mon père. Ses yeux sont vides. Son teint pâle. Ses joues creusées....

« Laisser... notre famille entre mes mains ? Mais, grand-père j'ai encore bien le temps ! Père est là... Pas vrai ? »


Je n'aime pas ces regards. Je hais cette sensation de tout perdre, d'un coup. Le sol se fracture sous mes pieds et tout dégringole. Tout ce que j'ai pris tant de temps à façonner... Tout est détruit. Par une seule et simple phrase. Une phrase assassine qui ne me quittera jamais.

« Je suis aussi mourant. C'est à toi que reviendra très bientôt le domaine familial. »


Et si je n'en veux pas, me disais-je. Et si je pouvais sacrifier tout cela pour vous garder, ne serait-ce qu'un peu ? Ma tête se met à tourner et je passe une main sur mon front. Je ne sais pas si j'aurai les épaules assez fortes pour soutenir tout ce poids... Je ne sais même pas si j'arriverai à guider correctement notre famille. Suis-je prêt ?

Les mois derniers me reviennent en flash. Et ils me mettent une claque. Je n'ai rien réussi depuis plus d'un an. Je n'ai fais qu'enchaîner les mauvaises décisions. Comment puis-je seulement imaginer être à la hauteur des Venomania ? J'ai trop de choses à régler, mais pas assez de temps. Mon angoisse grimpe en flèche tandis qu'à nouveau la voix de mon père raisonne.

« Nous ne te laissons pas le choix, Gabryel. Je refuse que quiconque d'autre que toi ne prenne ma relève. Tu m'entends ? Tu es mon digne héritier et tu as su faire tes preuves. Je crois en toi, tu sauras le faire. »


Ces mots censés m'apaiser me font d'autant plus de mal. Je commence à comprendre que tout cela est bien réel et ça me fait un mal de chien. Le sort s'acharne, dirait-on. Je fini par articuler, la voix déformée par l'émotion.

« J'imagine que personne n'est au courant... Oh par Omnis. » Je frotte mes mains sur mon visage, tentant de remettre de l'ordre dans mes pensées emmêlées. « Vous allez donc loger à Yggdrasil jusqu'à... »


« Jusqu'à ce que l'on meurt, oui. » Répondit aussitôt mon père, donnant l'impression de cracher sa phrase.

Quoiqu'il puisse dire je lis clairement l'amertume en lui. Il ne veut pas mourir. Il sait qu'il a encore bien des choses à découvrir. Il n'est pas du genre à céder si facilement... Abandonner ce n'est pas dans son vocabulaire, alors il doit certainement avoir des symptômes trop compliqué à vivre ? Quelque chose les ronge de l'intérieur. C'est terrorisant. Cette sensation d'impuissance totale que je ressentais déjà par rapport à la situation d'Yggdrasil est d'autant plus forte maintenant. Je ne peux rien faire pour Yggdrasil, ni pour ceux partageant mon sang... Alors à quoi est-ce-que je peux bien servir ?

Je voyais qu'ils n'avaient pas fini. A vrai dire maintenant je commence à avoir peur pour ma mère, ma sœur et toutes les autres personnes de ma famille. Ma cousine, qui est aussi ma capitaine, est souffrante elle aussi depuis l'Incendie. J'ai été dans l'incapacité de la protéger, trop préoccupé par ce foutu Pilate qui n'a pas su tenir sa langue en supplément. Mon cœur avait déjà fait un bond dans ma poitrine à l'idée de perdre un membre de ma famille -qui plus est Alyss dont je suis plus proche que les autres de part nos métiers-, mais je ne sais pas si je peux encore me prendre d'autres nouvelles négatives dans la tronche sans vaciller.

Sebastian se leva, arpentant le salon jusqu'à se poster face au grand tableau sur lequel notre famille était peinte. Je l'observe de loin, toujours avec autant d'appréhension. A en croire son humeur aujourd'hui il est capable de me dire tout et n'importe quoi d'un ton bien trop monotone. Sur ce coup, il me rappelle Raol. Qu'est-ce-que ça peut m'énerver, ce manque d'humanité.

« Fils... » J'étais perdu, je ne l'écoutais qu'à moitié. « Gabryel ! Viens ici. » Je sursaute, m'exécute et le rejoint face au tableau. Soudainement, il pose ses mains sur mes épaules. « Sois digne. Ne me déçois pas. »


Et il m'enlace, sans pour autant que je ressente le moindre sentiment dans ce câlin. J'ai l'impression qu'il ne fait ça que pour le geste, mais qu'au fond il n'y met pas du sien. Mes bras tremblent, je n'arrive pas à l'étreindre. Je suis bloqué. C'est épouvantable. C'est la première fois qu'il fait une telle chose... et pourtant je n'arrive pas à être heureux. Je suis... tellement triste. Les larmes me montent douloureusement. L'idée de perdre un membre de ma famille me donne envie de vomir. Je suis complètement tétanisé. J'ai affreusement peur. Je ne sais pas si sa phrase était un ordre ou une sorte d'encouragement. Je suis complètement paumé.

Doucement je viens le serrer à mon tour, la mâchoire contractée et les yeux fermer. A présent je ne peux m'empêcher de penser que c'est peut-être la dernière fois que nous pouvons être ainsi l'un avec l'autre. Viendra-t-il un jour où j'oublierai sa voix ? Son odeur ? La teinte si particulière de ses prunelles ? Est-ce-que les histoires fantastiques de Ludeciel ne seront plus qu'un vague souvenir brisé ? Vais-je réussir à vivre, sans eux ? Si j'en suis là, c'est avant tout grâce à eux. Au prestige qu'ils ont apporté à notre famille, à l'argent qu'ils ont amassé, à la gloire du nom Venomania. Peut-être aurais-je réussi à atteindre ce grade, mais sans doute pas aussi aisément. Ils m'ont tout apprit. Que suis-je censé apprendre, moi ? Et à qui ?

Me faire à l'idée que je serai bientôt seul, ça n'allait pas être simple. Seul pour gérer le domaine familial. Seul protecteur. Celui qui représente les Venomania. Celui qui se doit d'être le digne successeur. Je m'y étais préparé à recevoir le flambeau, depuis mon enfance, mais certainement pas de cette façon. C'est si inattendu, si violent. C'est une réelle explosion. Et je sais qu'il n'y aura pas que l'impact qui fera mal. Il y aura tellement de contres-coups... Mais ils me l'ont bien dit.

Je n'ai pas le choix.

En réalité, je ne l'ai jamais eu. C'était déjà écrit. Tout était prévu, évidemment. Mais je me complaisais dans l'idée naïve qu'ils resteraient toujours à mes côtés. Comme un enfant, j'ai cru au « pour toujours et à jamais » de mon grand-père... Comment vais-je faire ? Une fourrure vient se frotter contre ma jambe tandis que mon père me repousse doucement. Je jette un regard en biais à celui que je crois d'abord être Bjorn.

« Un chat ? Voilà un animal déjà plus soigné que ton vieux loup. »


Je souris doucement à la remarque de mon père. Il n'a jamais aimé Bjorn, à vrai dire il n'aime pas les animaux trop gros. Il apprécie ce qui est joli et gracieux... les cygnes, les félins... J'avais oublié à quel point on pouvait être différents lui et moi. Le cinquantenaire retourne s'asseoir en dégustant tant bien que mal son verre de vin. J'ai à la fois l'impression que le fait de bientôt... mourir... le répugne, mais en même temps c'est comme s'il n'en avait plus rien à faire. Il finit la boisson d'une traite et me lance un regard transperçant.

« Allons visiter cette fameuse Ville-Haute. »


Sans attendre de réponse il se lève, suivit de près par Ludeciel et je les suis un peu décontenancé par cette soudaine envie de balade. Nous marchons ensemble à travers les rues et je prie de toutes mes forces pour ne croiser personne que je connais de... trop près, disons. Du genre Klaus. Même si cela m'étonnerait qu'il vienne ici. Je vois clairement mon père s'attarder sur la bâtisse meurtrie qui fut un temps le Centre de Commandement.

« Ah... Quel gâchie. Son Altesse Hincmar manque fort à Caldissia. »


Je baisse les yeux en serrant les poings. Je suis responsable de cet échec... Si j'avais été plus rigoureux... Si j'avais renforcé la sécurité... Je sais ce qu'il pense, à cet instant. Il doit se dire « Comment des amnésiques vieux d'un millénaire peuvent-ils triompher de deux nations supérieures dans tous les domaines à eux ? » et à vrai dire je me pose la même question. Parfois, j'ai tendance à me dire qu'Yggdrasil lui-même les aide.

A la mention du nom de l'ancien souverain, je détecte un rictus sur le visage de mon grand-père. Il aimait beaucoup le Roi, il en parlait souvent... Et au fond pourtant je sais qu'il trouve sa fille, Camélia, d'un ridicule épouvantable. Enfin, ce n'est pas comme s'il s'en cachait. Qui peut lui en vouloir ? La Reine n'est pas encore prête pour gouverner. Et en voilà les résultats. Pourtant je sais que mon rôle c'est d'assurer la protection de notre pays et de la royauté, peu importe si cette dernière n'est pas compétente je me dois de réussir.

Mais j'ai échoué.

On parcourt les jardins privés de la Ville-Haute, croisant parfois quelques personnes qui jettent toutes des regards vers notre trio. Les Caldissiens nous reconnaissent sans aucun mal... Et certains Altissiens aussi, bien qu'ils nous appréhendent avec un peu plus de virulence.

« Combien de temps ? »


Je tourne la tête vers mon père, fronçant des sourcils.

« Combien de temps... pour ? »


Il sourit, fixe le ciel et répond, l'air cynique.

« Combien de temps donnes-tu aux Eossiens avant qu'ils ne commettent leur prochain crime ? »


Ah...

« Peut-être au commencement de l'hiver... »


Il rit jaune et secoue la tête.

« Tu es bien optimiste. Prépares-toi rapidement si tu ne veux pas d'un Coup d'État. Voire pire... d'une trahison de la population. Ces sauvages manipulateurs n'auront aucun mal à les attendrir. Tu dois protéger la nation de tous les dangers. »


J'hoche la tête, acceptant sans réellement réfléchir ses ordres. Je ne relève même pas l'intonation haineuse de sa voix, ni même le fait qu'il soupçonne les nôtres. Peut-être a-t-il raison au final... il n'y a personne à qui l'on peut se fier.

Ludeciel semblant s'être éloigné revient vers nous, une fleur dans la main. Mon père lève les yeux au ciel.

« Les fleurs n'ont pas le droit d'être cueillies... »


Il sourit, bien conscient de cela. Tandis qu'il me fixe, il laisse tomber la fleur au sol et l'écrase violemment. Je ne bouge pas. Je n'ai pas l'habitude de le voir agir ainsi... Qu'est-ce-qu'il a... ?

« Qui peut m'en empêcher ? »


Je me mords l'intérieur des joues. Ils ont donc décidé de jouer avec mes nerfs... soit. Il sait qu'il est en position de force et que je ne lui dirai jamais rien, malgré la fatigue que me procure ma maladie. Il sait aussi qu'au sein de cette cité il a un pouvoir conséquent et que le fait de cueillir une fleur des jardins privés ne sera jamais une faute. Je m'agenouille pour prendre la fleur meurtrie entre mes doigts et j'entends distinctement mon père rire nerveusement.

« Il va très sérieusement falloir qu'on resserre l'étau, ouais... »


Je me relève, dépliant lentement mon dos. Plus grand que mon aîné, je le prends de haut, lève le menton et lui lance un regard aussi dur et froid qu'il peut le faire. Et dans ma main, une petite flamme s'allume et consume le végétal. Et tandis que les cendres s'envolent, j'articule.

« Je deviendrai votre idéal si vous me promettez de vivre jusqu'à ce que j'accomplisse quelque chose de mémorable. »


Tant pis si cela revient à agir comme un robot.
Tant pis si je n'ai plus la possibilité de fréquenter qui je souhaite.
Ils sont les seuls à pouvoir m'aider.
Je sais que tout ce qu'ils souhaitent c'est que je devienne leur plus belle œuvre.

Et moi, qu'est-ce-que je souhaite ?

« A croire que tu n'as jamais grandi... Quelle idée saugrenue. »


Il souffle du nez. Pendant un instant, je me dis que je l'ai plus rendu gêné qu'autre chose. Mais sa main se pose dans mon dos et il me pousse un peu en avant.

« Ne te courbe plus jamais devant personne si tu ne veux pas me faire honte, je concéderai après à ta demande. »

Mon grand-père hausse les épaules, l'air fier de lui.

« On a toujours dit de moi que je possède un charisme naturel, que voulez-vous... »


L'atmosphère s'est détendue, ou du moins en apparence. Les prochains jours risquent d'être compliqués... Je venais de tout perdre. Et l'impuissance que je ressentais ne va que s'agrandir de jour en jour, je le sais. Je dois essayer de faire plaisir à tout le monde à la fois. A la population, à mon entourage, à ma famille, à moi-même... Je vais peut-être devoir mentir, autant à moi même qu'aux autres, pour espérer réussir.

La soirée se fit plus calme, bien que les sujets de discussions tournaient autour de la politique, de l'argent ou de mes relations. Au moins, j'en sais un peu plus sur ce qu'ils pensent d'Yggdrasil. Ils sont tous les deux très méfiants et apparemment assez pressés de me voir avoir une progéniture. Il faut assurer une descendance, hm...

Au final, je me retrouve seul pour la nuit, puisqu'ils sont parti dans leur demeure.
Voilà.
Je suis là.
Seul.
Et je ressasse en boucle.
M'imaginant l'instant où ils vont décéder.
Ce fut impossible pour moi de dormir cette nuit. Je fus secoué par d'incessants sanglots et d'horribles crises d'angoisse.
Qu'est-ce-que je suis ridicule.
agora