Au plus noir de la nuit - Noah

Si Noah a peur de la solitude, c'est qu'il ne l'a jamais vraiment été physiquement, et ce depuis sa naissance. Il est venu au monde trois petites heures après sa sœur jumelle, Maëlle. Et lorsque son premier souffle résonna en ce monde, celui de sa mère s'éteignit très peu de temps après dans la même soirée. De santé fragile, elle avait insisté pour mener la grossesse à terme mais n'a pas pu supporter l'accouchement jusqu'au bout. C'est donc Aloïs, leur père, qui dut les élever seul, au sein de la capitale de Caldissia. Cet elfe blond tient un restaurant reconnu à travers la ville, mais ne s'en ait jamais particulièrement vanté. C'est lui qui plongera ses nouveau-nés et sa défunte épouse dans l'Hélios à quelques jours d'intervalles. Il était tombé amoureux d'une louve-garou qui donna d'ailleurs ses gênes à leur fille. Sans personne pour lui indiquer comment éduquer une hybride pareille, leur père fera pourtant de son mieux afin d'accompagner sa fille, de peur qu'elle ne se fasse rejeter par les autres à cause de sa nature. De ce fait, si Noah a toujours été proche de sa jumelle et de son père, cela ne lui a jamais empêché de ressentir un peu de jalousie et d'avoir l'impression d'être laissé de côté par rapport à sa sœur, qui, contrairement à lui, avait hérité des cheveux bruns de leur génitrice. C'était sans doute aussi quelque part pour ça qu'elle était si gâtée. Heureusement, Maëlle n'a jamais considéré son espèce comme un fardeau, mais plutôt comme une force. Et elle en était très fière.

Les jumeaux étaient inséparables. Toujours à courir l'un derrière l'autre, à faire les quatre cent coups ensemble. C'était du moins très souvent la brune qui faisait des bêtises et son frère qui la suivait religieusement, comme si elle était un guide. Et Noah admirait sa vivacité et son énergie. Il n'était pas vraiment capable de faire la même chose. Il avait toujours été de faible constitution malgré les repas garnis que leur père faisait à la maison. Ils étaient en effet bien nourris, mais le blondinet restait malgré tout assez mince. En grandissant, ça ne s'arrangeait pas, et il tombait d'ailleurs souvent malade. Jamais rien de très grave, cela dit, mais le médecin devait très souvent le surveiller. Cela inquiétait évidemment sa famille qui restait à son chevet dès qu'ils le pouvaient jusqu'à ce qu'il se rétablisse. Pour se distraire, l'enfant passait son temps à lire. Et son goût de la lecture ne l'a jamais quitté.
Mais c'est tout de même très jeune qu'une chose capta son attention : les dessins. Capitale de l'art, il grandit entouré des luxueuses fresques de la cité ainsi que ses artisans. Alors, dès son plus jeune âge, il se mit lui-même à dessiner, puis à peindre. Rien de semblable à ce qu'on pouvait trouver sur les murs de la ville, mais il fallait bien commencer quelque part. Et très vite, il voulut s'inscrire dans une école d'art pour poursuivre dans cette voie. La peinture l'apaisait. Il pouvait regarder un sujet pendant des heures afin de le reproduire tout à fait. Et ainsi, puisqu'à Caldissia les arts sont importants, il avait quelque chose pour se mettre à son tour en avant par rapport à Maëlle. Cette dernière avait choisi la voie des armes et voulut s'engager dans l'armée plus tard. Elle avait toujours préféré le combat, de son côté, même si elle aimait danser à ses heures perdues. Aloïs, heureusement, leur laissait une assez grande liberté quant à ce qu'ils souhaitaient faire. Aussi calme et patient que son fils, il mit un moment avant de pouvoir gérer les crises de sa fille les soirs de pleine lune mais n'hésita pas à solliciter l'aide de spécialiste pour l'aider à mieux se contrôler et à savoir quoi faire dans ces cas-là. Noah, était un humain très banal, mais c'était quelque part ce qui faisait aussi son avantage. Il était choyé par ses professeurs et son entourage en général qui voyaient en lui un grand potentiel. Surtout qu'il était très bon à l'école et faisait souvent partie des meilleurs de sa classe, répondant à la lettre aux principes Omniste sur le développement de soi. Cela ne lui donna pas que des ami.es, d'ailleurs, loin de là. Très renfermé et timide, il ne s'est jamais beaucoup lié d'amitié avec qui que ce soit et c'était toujours sa sœur qui devait le défendre lorsqu'il était victime de harcèlement. En outre, avec ses positions au classement de ses écoles et son espèce privilégiée, il avait de quoi faire des envieux.

Heureusement, le cadre familial était sain. Aloïs gérait son restaurant en s'occupant de ses enfants dès qu'il le pouvait. Sans prétendre être le parent idéal, ils mangeaient à leur faim et ne manquaient généralement de rien. Le business était florissant et les clients constituaient de temps à autre des relations bénéfiques dont il pouvait tirer profit. C'est ainsi que Noah put obtenir du matériel de peinture de qualité. Il n'avait en effet pas toujours été l'adolescent renfermé qu'il est devenu. Jadis, il souriait davantage ; et quand on lui offrait de l'acrylique, c'était un enfant aussi lumineux que le désert au sein duquel il vivait. Et alors il prenait son matériel et l'emmenait partout lors de ses balades pour prendre des pauses et capturer l'instant sur ses papiers, avec plus ou moins de réussite selon les périodes. En quinze ans, à force de pratique, il put toutefois obtenir un bon niveau, avec en plus l'enseignement de professeurs qui l'encourageaient dans cette matière. Tous les jours n'étaient pas forcément roses non plus, bien sûr. La guerre faisait encore rage. Mais il était heureux.




« Bois ça, cela te fera du bien. »

On leur avait dit qu'il risquait de mourir. Alors Aloïs avait fait ce qu'il pensait être juste. Dès son entrée dans l'adolescence, sa santé s'était progressivement dégradée. On pensait au début que c'était bénin, comme toujours, mais la situation empirait à chaque nouveau cas quand on pensait qu'il était sorti d'affaire. Et c'était de pire en pire. On se mettait à dire son géniteur qu'il avait un pied dans la tombe. Et c'était devenu terriblement angoissant. Il pouvait les quitter à tous instants, les médecins étaient formels et n'avaient aucune solution. Aloïs et Maëlle prièrent donc pour que Noah survive, mais l'espoir se perdit petit à petit. Ne restait qu'une maigre flamme qui attendait de s'éteindre en même temps que la vie du jeune garçon. Mais l'elfe n'était pas prêt à voir un autre de ses proches s'en aller. Il eut une idée folle, mais était prêt à tout pour pouvoir garder son fils en vie. Avec l'aide d'une connaissance intime à forte influence qui était aussi une de ses plus fidèles clientes, il réussit à mettre la main sur du sang de vampire. C'était des méthodes douteuses mais se salir les mains ne lui faisait pas peur. Devoir dire adieu à un de ses enfants, en revanche, le terrifiait plus que tout au monde. Alors il le força à boire ce sang en lui promettant que ça le guérirait. Il y croyait. Et, quelque part, il n'avait pas menti. Cela eut pour effet de la transformer lui-même en vampire. La maladie lui passa et il n'était plus souffrant, mais à la place, son corps avait subi des modifications indésirables. Peau blafarde, canines acérées, soif de sang, sensibilité au soleil... Il reçut un choc quand il découvrit ce qu'il était devenu, et surtout qui était le responsable de son état. Encore aujourd'hui, il en veut toujours à son père pour ce qu'il lui a fait.




« Pourquoi tu fais cette tête ? T'es un vampire ! C'est génial, d'être un vampire ! T'es spécial, t'es comme moi ! »

Maëlle ne comprenait pas. Elle était même heureuse pour lui. Les différentes espèces la fascinaient depuis toujours alors elle ne voyait pas ce qu'il y avait de mal à être un vampire. Pourtant, elle sentait depuis ce fameux jour toute la détresse qui émanait de son jumeau, comme si c'était la sienne. Peut-être était-elle un peu dans le déni également. Elle avait mal à la poitrine de savoir qu'il souffrait de sa nouvelle condition. Alors elle essayait de le réconforter. Mais la louve-garou est maladroite et ne peut pas vraiment se mettre à la place de quelqu'un qui doit désormais vivre avec autant de contraintes au quotidien.

« Génial ?! Non ! Non, ce n'est pas 'génial', c'est affreux, Maëlle ! Tu ne peux pas comprendre ! J'ai jamais demandé à être comme ça ! »

Plus de sorties en journée. Plus de nourriture à manger. Et cette trop grande force qui était plus un poids qu'autre chose. Il détestait cette vie. Il n'en voulait pas.

« Quoi ?! Tu veux dire que t'aurais préféré mourir ?! Idiot !
- C'est toi l'idiote ! »

Les disputes étaient devenues de plus en plus fréquentes. Il n'était pas rare que chacun reparte avec des griffures et d'autres traces sur le corps. Une violence dont ils n'avaient jamais fait preuve auparavant. Et Noah haïssait ces moments. Il laissait aller sa tristesse et sa colère et finissait toujours par blesser et être blessé en retour. Des constats qui effrayaient leur père lorsqu'il tentait de les séparer.

« Ca suffit tous les deux ! »

Mais qu'importe pour Noah. Il voyait rouge quand son géniteur s'en mêlait. Il considérait qu'il en avait déjà fait bien assez, et savoir qu'il était responsable de sa condition lui faisait encore plus mal à la poitrine que tout le reste. Son cœur ne battait plus, mais il se brisait quand même.

« J'te déteste ! »

Il le détestait. Il détestait cet homme qui l'avait rendu ainsi. La mort avait eu beau lui faire peur, pour lui, ce n'était pas une vie.




« Noaaaah ! On va au marché, tu veux v'niiir ? »

Avec précipitation, Maëlle était montée dans la chambre de son frère, le sourire aux lèvres. Son énergie toujours aussi débordante lui permettait de foncer au second étage à une vitesse impressionnante. Mais sa tête ne marchait pas forcément aussi rapidement que le reste, au grand dam de son frère. Ce dernier, assis sur le rebord de la fenêtre, se tourna brièvement vers sa jumelle. Il portait le même regard morne et triste que d'habitude. Cette fois, pourtant, elle pouvait le sentir également blasé. Ce n'est que lorsqu'il lui montra ses canines pointues qu'elle eut un flash et que tout lui revint en mémoire.

« Oh euh... Oublie ce que j'ai dit. »

Gênée et désolée, elle ferma piteusement la porte avant de redescendre plus lentement les marches. Noah, lui, se contenta d'un soupir. Des fois, sa sœur oubliait. Tout simplement. Elle ne faisait pas attention, n'était pas encore tout à fait accoutumée. C'était toutefois difficile pour le concerné d'oublier tous ses changements d'habitude qu'il avait été contraint de faire. Le soleil l'appelait au dehors, mais il ne pouvait même pas en profiter. Ses desserts favoris préparées par son paternel, il les vomissait dès qu'il prenait même une petite bouchée. C'était pourtant ce genre de petits plaisirs qui lui permettaient d'aller mieux. Il devait au lieu de ça rester cloîtré chez lui sans jamais pouvoir aller dehors en journée. Il faisait peut-être beau, mais son monde à lui était devenu d'un gris très terne.
La seule chose qui l'occupait alors dans ces moments-là, quand ce n'était pas les siestes qu'il se forçait à faire pour que le temps passe plus vite, c'était la peinture. Heureusement qu'il avait encore la peinture. L'extérieur ne lui devenait accessible qu'à travers ça, lorsqu'il posait sur papier les couches de couleurs qui formaient peu à peu des paysages où brillait le soleil accompagné de son ciel bleu. Il suffisait qu'il dessine son propre portrait au milieu de ce panorama. Ça y est. Il était à l'extérieur.

L'extérieur, il pouvait y aller, véritablement. Se réveillant en même temps que la nuit, il profitait de ces moments pour sortir. Les premières transformations en chauve-souris furent des désastres. N'ayant pas de mentor, en plus de ça, il apprit à le faire en autodidacte après de longs entraînements. Mais cela en valait le coût. Car la capacité de voler était bien le seul cadeau que sa nouvelle forme lui donnait. La ville était toujours aussi belle de nuit. Mais la nuit, c'est également le moment où tout le monde dort. Lors des nuits de pleine lune, il savait que c'était les moments où Maëlle s'en allait aussi pour sa transformation en louve-garou. Jamais toutefois ils ne se croisaient. Cela aurait été trop dangereux. Les toits et les rues de Caldis étaient très jolis, à n'en pas douter. Mais elles n'étaient malheureusement pas très bavardes.




Le changement fait peur. Parfois, il est nécessaire. Déménager sur Yggdrasil après que l'arbre soit revenu n'était pas une obligation, mais Aloïs avait été demandé auprès d'une de ses plus fidèles clientes devenue sa responsable. En échange de lui trouver du sang pour son fils par des moyens peu scrupuleux, il était devenu son cuisinier attitré, laissant son restaurant à Caldis entre les mains de personnes de confiance. Ses enfants, n'ayant pas nécessairement quelque part d'autre où aller, l'ont accompagné durant le voyage jusqu'à cette nouvelle terre promise dont on leur vantait tant les mérites. Et effectivement, les paysages étaient très différents de ceux de Caldissia. Cette nouveauté permit au moins à Noah de focaliser son attention sur quelque chose, même s'il avait un peu de mal à bien tout voir, avec sa large capuche au-dessus de ses yeux. Le voyage se passa toutefois sans encombre, même s'ils devaient voyager de jour pour plus de sûreté. Noah fit bien attention à ne dévoiler aucune partie de son corps sous le soleil. Un oubli si vite arrivé avait failli lui coûter une belle brûlure au bras.
La transition vers leur nouvelle vie ne fut pas difficile. Avec la paix signée, ils étaient au moins rassurés que Maëlle n'ait pas à davantage risquer sa vie dans l'armée, même si elle fut déçue de ne pas avoir pu assister à beaucoup de bataille. Elle n'eut toutefois aucun mal à s'intégrer sur Yggdrasil. Pour son frère, c'était bien sûr moins évident. La peinture commençait à être quelque chose de douloureux pour lui. Il décida de s'arrêter pendant un moment afin de se concentrer sur sa nouvelle passion : la magie. Les bibliothèques de Caldis sont remplies d'œuvres concernant la magie mais celles d'Yggrasil ne sont pas en reste. Il ne peut pas vraiment se déplacer pour aller voir par lui-même mais demande souvent à sa sœur de lui prendre quelques bouquins. Sa relation avec son père ne se sont pas forcément améliorées mais Noah continue de lui parler brièvement de temps à autre, pour des choses très formelles. Noah ne parle pas beaucoup en général. Il a un rêve : étudier pour trouver un remède au vampirisme et guérir de ce qu'il considère être une maladie. Il s'est inscrit à l'Académie Magique grâce aux relations des Vénomania, les nobles que leur père sert, et se montre très appliqué auprès des professeurs particuliers qui viennent le voir à domicile. La hausse de ses notes est proportionnelle toutefois à la chute de ses relations sociales qui s'amenuisent de jour en jour. Mais qu'importe, il est déterminé. La chaleur du soleil, un jour, il pourra la sentir à nouveau.