Reine du shopping (quête unique)
Champepañe se baladait dans le quartier commercial de la ville. Elle repérait les tavernes, bars et commerçants avec qui elle pourrait travailler. Tous les passants lui jetaient des regards curieux. Ce n’est pas surprenant, elle n’avait jamais été discrète. Elle avait appris dès son plus jeune âge à attirer l’attention sur elle. Rien que sa démarche était calculée au millimètre près pour la démarquer des autres. Ses pas était fluide mais précis et donnait l’impression qu’elle flottait, légère comme une plume, indifférente aux lois physiques auxquels chaque humain devait se plier. L’emplacement de ses épaules, de sa tête et de son torse la rendait plus imposant mais toujours élégante. Il était certain pour chaque passant qui la croisant qu’elle était Caldissienne, son regard à la fois méprisant et amusée en était la preuve ultime, du moins pour ceux qui ne connaissait que cette région par ses stéréotypes. Cela faisait à peine une semaine qu’elle était arrivée à Yggdrasil, mais sa ville natale lui manquait déjà. Pourtant elle avait déjà voyagé auparavant et sur de plus longues périodes. Mais peut-être la certitude de pas pouvoir revenir avant très longtemps lui donnait-elle le mal du pays. Quand elle était arrivée, Il lui avait fallu trouver rapidement un endroit où dormir. Elle s’était arrangée pour rester une ou deux semaines dans une auberge mais elle avait besoin de mettre la main sur un logement permanent rapidement. Elle pensait que cela aurait été facile mais la ville était bien plus populée que ce qu’elle avait imaginé. La seule solution à laquelle elle pouvait penser désormais était illégale, et elle était déjà recherché pour un meurtre, il ne fallait surtout attirer ce genre d’attention sur elle.

Elle repéra une peu d’agitation devant une enseigne. Un groupe de pauvre gens semblaient pressé contre la façade du commerce. Intrigué, elle s’avança vers eux et pu lire le nom de l’enseigne : « le cabaret des trois pièces ». Tout le monde semblait se réunir autour de deux hommes qui tenaient un parchemin avec une plume et un pot d’encre respectivement. A droite de l’attroupement, sur la façade du cabaret était plaqué une affiche autour duquel un groupe de quatre ou cinq personne stationnait. Quand ils la virent, ceux-ci s’écartèrent pour lui laisser la place de s’approcher de l’affiche. « Concours de miss : trouvez l’élégance et la beauté caché en vous pour gagner la récompense de 60 sicams ! ».  C’était une affiche faite par une main peu experte. L’écriture était digne d’un enfant de cinq ans et elle trouva au moins six fautes d’orthographes et de grammaire. Quelqu’un d’un peu plus doué avait dessiné une jeune femme sur une scène paré de ses plus beaux atours. Mais les traits restaient tout de même très brouillons. Elle s’esclaffa, amusé par l’idée que tant de gens puissent être aussi excité par soixante sicams. Les pauvres étaient vraiment prêts à tout pour presque rien ; elle trouvait cela plutôt amusant. Puis elle se rappela qu’elle aurait bien besoin de soixante sicams et effaça son sourire aussitôt. Elle jeta un regard autour d’elle pour être sûre que personne n’avait remarqué qu’elle s’était moquée d’eux, mais hélas, quelques personnes la regardaient. Au milieu de la foule en loque, elle ne passait pas inaperçu. Elle se racla la gorge pour reprendre contenance et fit mine de s’en aller. Elle cacha sa déception avec son éternel sourire, car pour être déçu, elle l’était. Elle ne pouvait participer au concours maintenant qu’elle s’en était moqué, on la prendrait pour une pauvre qui faisait semblant d’être riche alors qu’elle était tout l’inverse. Si ces gens savaient qui elle était, il serait en train de s’agenouiller devant elle pour recevoir sa grâce. Si elle avait participé, elle aurait gagné à coup sûr. Personne en Yggdrasil ne pouvait être plus élégante qu’elle, surtout parmi ces gens.

« Attendez madame ! »

Champepañe sentit une main se serrer autour de son poignet, elle se retourna, surprise que quelqu’un ose l’interpeler de cette manière. Son regard suffit à faire comprendre au malheureux qu’il aura mieux fait se pendre que d’oser toucher cette dame. Il la lâcha aussitôt. Retrouvant son sourire, elle lui demanda lentement d’une voix pleine de tension :

« Oui ?

« Vous… vous participez au concours de miss ?

-Moi ? Pourquoi je voudrais participer à ce concours ? Tu me prends pour qui ? Je ne suis pas pauvre, j’ai déjà assez d’argent comme ça ! »

Le jeune homme semblait peu impressionné par sa défense. Il la regardait droit dans les yeux avec un léger froncement de sourcils. Il était plus grand qu’elle, comme la plupart des gens, mais n’était pas particulièrement grand non plus. Il devait avoir entre 17 et 20 ans comme l’indiquait sa barbe tout juste naissante. Il n’était pas franchement riche, ses cheveux gras mal coupé, ses vêtements rafistolés de partout et ses dents jaunes et cassées en était la preuve. Il croisa les bras sur sa poitrine.

« D’accord…

-C’était tout ce que vous vouliez me demander jeune homme ?

-Non je, hum… Je voulais vous demander si vous, si vous… pourriez m’aider à gagner. Le concours. »

Champepañe le regarda muette pendant quelques secondes, attendant la suite, la chute de la blague. Mais elle ne vint jamais, il la regardait terriblement sérieusement. Un rire franc s’échappa de ses lèvres et s’écrasa brutalement sur le jeune homme. Il regarda autour de lui à la fois confus et gêné.

« Vous voulez participez au concours ? Vous ? Jeune homme, même moi je ne pourrais pas vous aider.

-Vous- Je pensais que…

-Il faut vous faire une raison, jeune homme, vous êtes bien conscient que vous ne pourrez pas gagner. Vous êtes pauvre, pas stupide. »

Elle trouvait cela profondément hilarant et ne pouvait s’empêcher d’en rire. Après s’être sentie humilié, cela faisait du bien de rabaisser quelqu’un. Et la tête de sa victime était tellement amusante, il semblait vouloir s’enterrer six pieds sous terre.

« Vous êtes si… élégante, je pensais que vous étiez capable de m’aider un peu.

-Même si cela vient de vous, Je suis flattée.

-…De rien »

Elle respira un bon coup et le regretta aussitôt quand la puanteur ambiante s’infiltra dans son nez. Elle grimaça. Le jeune homme reprit d’une voix basse :

« S’il vous plait madame, je vous donne la moitié de la récompense si vous voulez.

-La moitié ? 30 sicams ? J’ai encore moins besoin de 30 sicams. Si je voulais gagner 30 sicams, je participerais moi-même au concours. Et je gagnerais à coup sûr. »

Elle n’était pas aussi pauvre que son interlocuteur mais même 30 sicams ne lui ferait pas de mal, ce serait même une très bonne chose. Elle devait accepter l’offre, ce serait un travail simple et rapide. L’élégance, ça la connaissait et elle ne doutait en aucun cas de ses talents de pédagogue. Il serait simplet de sa part de laisser passer cette opportunité.

« Mais j’accepte de vous aider jeune homme. Ce n’est pas pour l’argent, évidemment, je veux juste… tester mes capacités. De quel miracle serais-je capable si je réussissais à vous faire gagner, n’est-ce pas ?

-Pour de vrai ?

-Et je ne le fais certainement pas pour vous non plus. »

Elle fit mine au jeune homme de se pousser pour la laisser voir l’affiche de nouveau. Elle la trouvait encore plus moche que lorsqu’elle l’avait vu la première fois.

« Quand ce concours aura-t-il lieu ?

-Demain soir

-Demain soir ? je comprends donc qu’il nous reste que très peu de temps. Bien, suivez-moi jeune homme.

-Mon nom c’est Constantin.

-Et ne m’adressez la parole uniquement dans le cas où je vous l’autorise. Est-ce compris jeune homme ? »

Il la fixa avec la moue agacée d’un enfant gâté à qui on viendrait de donner un ordre. Elle pinça ses lèvres souriantes et croisa les bras délicatement.

« Est-ce compris jeune homme ? Reprit-elle sur un ton plus affirmatif.

-Ouais

-Oui madame

-Oui, madame. »

Son sourire s’élargit, plissant ses yeux. Elle tourna le dos à son nouvel élève et se dirigea vers un endroit plus calme. Constantin la suivit sans plus de discussion. Certaines personnes parmi l’attroupement la regardèrent partir avec des yeux étranges mais Champepañe choisit de ne pas s’en préoccuper. Le jeune homme la suivait comme un petit chien, d’un peu trop près à son goût et attirait encore plus l’attention sur elle. Mais ça, ça ne la dérangeait pas. Elle ne trouva pas loin une ruelle calme et s’y arrêta avec son apprenti. Elle le regarda des pieds à la tête en réfléchissant à tous les points importants qu’il faudrait changer pour le faire paraître plus élégant. Mais après l’avoir étudié à une certaine distance pendant quelques minutes douloureuses pour Constantin, il lui semblait qu’il faudrait absolument tous changer pour qu’il soit même seulement autorisé à participer au concours. Elle lui demanda de se mettre de dos et remarqua une tâche verte pointant le bout de son nez de sa vieille tunique sur le haut de son dos. Elle haussa les sourcils puis sourit, ravit. Elle avait toujours rêvé de parler avec un Éossiens. Elle se souvient avoir lu une certaine quantité de livre à ce sujet et bien qu’ils soient très intéressants elle avait toujours voulu directement questionner le peuple en question.

« Je n’étais pas au courant que vous étiez Éossiens jeune homme. »

Champepañe ne saurait dire s’il était silencieux car il ne souhaitait pas en parler ou parce qu’elle lui avait dit de ne parler uniquement quand elle l’autorisait.

« Tu peux te retourner. »

Même s’il se lavait et mettait des habits corrects, il restait… tout le reste. Sa démarche était trainante et désorganisé, il semblait incapable de marcher sur une ligne droite. Il avait le dos courbé et le cou lâche, quand il bougeait, sa tête se balançait en suivant le reste de son corps. Il avait plein de petits tics comme se gratter le pouce avec son annulaire, se gratter le sourcil droit, taper du talon gauche, se balancer de droite à gauche quand il ne fait rien et plain d’autres. Que des choses qui traduisait sa petite naissance et son manque d’éduction. Il ne dégageait aucune élégance, beauté ou confiance en soi. Il n’y avait rien à quoi s’accrocher, pas une qualité sur laquelle s’appuyer. Ce n’était qu’un pauvre garçon. Elle aurait voulu trouver du potentiel en lui, quelque chose sur quoi travailler pour que le reste vienne naturellement, mais il n’y avait rien, absolument rien. « Il y a vraiment des gens nées pour être pauvres » pensa-t-elle avec un sourire amusé. Etant donné le peu de temps qu’il lui restait, elle ne pouvait pas lui donner des cours complets, le plus important resterait la pratique.

« Bien, vous vous en êtes peut-être déjà douté, mais je viens de Caldis. J’ai eu l’occasion de côtoyer la noblesse de là-bas et c’est ainsi que j’ai appris à me comporter comme une dame. Le chemin pour devenir aussi élégante que moi est long et difficile alors ne vous attendez pas à totalement changer d’ici demain. Je ne fais pas des miracles non plus. Bien, pour commencer, vous allez arrêter de vous balancer sur vos pieds. »

Il s’arrêta aussitôt, mais alors, pour compenser, il commença à tirer sur ses manches. Il semblait ne même pas remarquer que ses tics nerveux contrôlaient son corps. C’était plus fort que lui.

« Vos mains, jeune homme. Essayez de rester parfaitement immobile, je ne veux rien voir bouger pendant cinq minutes. »

Et pendant les cinq minutes suivantes, elle observa les moindres mouvements de son élève. Il n’était pas parfaitement immobile, comme elle s’en doutait, il manquait d’équilibre et de contrôle sur son corps. Comme Champepañe, elle, ne pouvait pas rester sans rien faire pendant plus d’une minute elle se mit à parler.

« Pour être élégant, il faut que vos mouvements soient une danse parfaitement orchestrée. Vous devez être conscient à tous moments de votre corps, d’où sont placée chacun de vos membres et de quels mouvements les agite. Rien ne doit être laissée au hasard. Mais il est aussi important de ressentir ce qui n’est pas vous, de ressentir l’espace qui se trouve entre les différentes parties de votre corps, et entre votre corps et les choses aux alentours. Sans cela, vous ressemblez à un enfant qui fait des gestes aléatoirement et sans but, tous ce que vous ferez semblera superflu, et alors, toute l’élégance de vos gestes sera perdue. Même si vous apprenez à marcher correctement, à vous tenir droit, à lever la tête, tout cela sera inutile si vous n’avez aucun contrôle sur votre corps, comprenez-vous ?

-Oui. Madame

-Essayez de ressentir chaque centimètre de votre corps. Fermez les yeux et essayez de ressentir chaque centimètre de votre corps. Tout, absolument tout, ne laissez rien dans le flou. »

Constantin ferma les yeux et fronça les sourcils. Elle n’observa que peu de différence dans son corps mais de temps en temps, pendant quelques secondes, il devenait totalement immobile. Son corps semblait enfin ne faire qu’un. Après que les cinq minutes soit passé, elle lui demanda de lever une jambe puis de rester immobile ainsi pendant encore cinq minutes. Et ainsi, toutes les cinq minutes, elle lui demanda de changer de position et de rester totalement immobile tout en essayant d’être conscient de son corps. Pendant ce temps, Champepañe déblatérait sur des sujets plus au moins en rapport avec l’exercice. Enfin, elle changea d’exercice, au grand bonheur de Constantin qui était mentalement fatigué de ne rien faire mais de tout de même devoir écouter son enseignante. Elle lui apprit à marcher sur une ligne droite, puis à poser et lever ses pieds correctement. Toutes les deux minutes, elle lui faisait une remarque sur ses tics. Il se remettait toujours à se balancer sur ses pieds, ou à se gratter le sourcil droit, ou pire, à craquer ses doigts. Et il était toujours incapable de mettre un pied d’avant l’autre de manière gracieuse. Quand il y arrivait, Champepañe n’en était pas plus soulagé car le reste de son corps était terriblement maladroit. A la fin de la journée, alors que le ciel s’assombrissait, Champepañe avait l’impression de n’avoir fait aucun progrès, mais elle n’était pas découragée. Il fallait qu’il se lave et elle allait apporter des vêtements plus élégants que ce qu’il portait, ce qui n’était pas un exploit, et peut-être qu’avec sa nouvelle apparence, il serait plus aisé pour lui d’agir comme un noble. Elle le renvoya chez lui en lui donnant rendez-vous le lendemain dans la même ruelle à quinze heures. Ses devoirs étaient de méditer et se laver avant leur rendez-vous.

Le lendemain, elle arriva dans la ruelle vers 15h30 et le Constantin n’était toujours pas arrivé, ou peut-être était-il parti, pensant que Champepañe n’allait pas venir finalement. Celle-ci secoua la tête, il lui manquait beaucoup de patience.

« Pardon madame, ch’uis en retard.

-« Je suis retard »,  et j’avais remarqué jeune homme, cela fait trente minutes que je vous attends, trente précieuse minutes de mon temps. Vous avez intérêt à avoir fait vos devoirs, répondit-elle avec un sourire agacé. »

Elle l’invita à s’approcher. Il s’était mouillé, s’était un bon début. Il ne sentait plus la boue, ses cheveux étaient… moins gras. Ils n’étaient pas assez propres et soyeux à ses yeux, mais c’était déjà ça. Son sourire était toujours incomplet mais elle ne pouvait rien y faire pour le moment.

« Bien (elle sortit une pile de tissus de sa besace), Il va falloir que vous portiez ces habits.

-Oui madame. »

Il tendit les bras sur lesquels un tas de vêtements atterrît. Il les regarda avec un mélange de confusion et d’excitation. A coup sûr, il n’avait jamais porté des vêtements d’aussi bonne qualité. Le tissu était à la fois doux et épais et sa couleur était encore vive sans être trop criarde. Des petits détails faits par des mains expertes ornait les manches, les cols et les poches. Ils sentaient bon aussi, l’odeur des fleurs et de la fraicheur. Ils avaient été lavés à l’eau propre avec du parfum. Il se demanda s’il ne pourrait pas en profiter pour les lui voler puis les revendre après avoir gagné le concours. Elle n’avait pas l’air de manquer de vêtements

« Vraiment merci madame.

-Je ne vous les donnes pas, il faudra me les rendre après.

-Bien sûr, garanti-t-il avec un tremblement dans sa voix »

Mais Champepañe avait insisté sur ce point seulement parce qu’elle pensait qu’il lui manquait les conventions sociales des gens normaux à cause de sa pauvreté. Elle regarda autour puis pinça les lèvres.

« Tu as un endroit pour te changer ? »

Elle aurait voulu lui demander s’il avait une maison mais un soudain élan de politesse envers lui l’en avait dissuadé. Le jeune homme sembla hésiter avant de répondre :

« Oui madame. J’ai… pas loin.

-Si ce n’est pas très loin, pouvez-vous y aller rapidement pour vous changer ?

-Oui madame.

-combien de temps cela prendra-t-il ?

-10… 20 minutes.

-Bien, alors nous nous retrouverons ici dans 20 minutes, est-ce compris jeune homme ?

-Oui… madame.

-Bien. »

Sur ce, elle sortit de la ruelle pour se diriger vers la rue commerçante principale, là où se trouvait le cabaret. Constantin, de son côté, prit le chemin du retour, vers là où il avait dormi la nuit précédente.

Vingt minutes plus tard, Champepañe sortait du cabaret. Elle avait visité l’endroit et goûté leur nourriture qui n’en valait certainement pas le prix et en avait conclu que le concours de miss était une excellente manouvre commerciale pour attirer des clients et faire du profit en une soirée. Elle avait l’impression que l’idée ne venait pas du propriétaire, il avait l’air aussi intelligent qu’une chaise, quelqu’un devait lui avoir soufflé l’idée. L’endroit n’était pas très bien éclairé mais avait l’avantage de se trouver sur la rue commerçante principale du quartier. Néanmoins, ils avaient moins de clients qu’ils ne l’auraient dû avec un placement pareil. Après avoir discuté avec un serveur, elle avait appris qu’ils avaient commencé les concours de miss il y a quelques mois et ils avaient réussis à générer une quantité considérable d’argent. C’est ainsi que malgré leur pauvre quantité de clients habituels et le prix élevé du loyer, ils avaient réussi à garder la tête hors de l’eau. Elle avait aussi appris que la sœur du serveur détestait utiliser des torchons et qu’elle utilisait donc exclusivement du papier, ce qui leur coutait une fortune mais que le serveur aimait trop sa sœur pour y faire quoi que ce soit. Il lui avait aussi dit que le patron du cabaret était aussi de Caldissia, comme elle et que l’alcool de banane lui manquait énormément, mais il était bien rare, voire inexistant à Yggdrasil. Elle avait fini par parler de sa vie à Caldis au patron, sans entrer dans les détails et avec pas mal de mensonge. Enfin elle leur avait parlé de Constantin et de sa volonté de participer au concours.

De retour dans la ruelle, elle trouva le jeune homme vêtu de ses habits. Cela lui faisait bizarre de voir quelqu’un porter des habits qu’elle avait acheté et porté à Caldissia, comme si on lui volait son identité. Elle expira un bon coup pour faire sortir cette idée de sa tête. En l’observant plus attentivement, Il était bien différent de ce à quoi il ressemblait le jour d’avant. Il ressemblait enfin à quelqu’un pour qui il serait acceptable de participer à un concours de miss. Mais ses tics nerveux n’était toujours pas partis, ils semblaient presque plus fort maintenant qu’il s’était changé.

« Arrêtez de vous balancer jeune homme. »

Il arrêta de se balancer et devint parfaitement immobile, pas de tics nerveux pour compenser ne semblait surgir de ses muscles. Le sourire permanent de Champepañe s’élargit ; il semblait avoir fait ses devoirs, peut-être avait-il bien une chance de gagner ce concours. Il avait dans la main droite un ruban rouge brodé de fleurs, Champepañe fronça ls sourcils puis jeta à Constantin un regard méprisant.

« Vous n’êtes pas versé dans l’art d’attacher les cheveux jeune homme ?

-Pardon? Madame.

-Auriez-vous besoin de mon aide jeune homme ? Pour vous attacher les cheveux »

Malgré son sourire toujours présent, sa voix était devenue plus dur et pressante.

« Non, c’est bon… Madame

-Bien. On recommence les exercices de méditations donc. »

Après s’être attaché ses cheveux longs en une queue de cheval basse, Champepañe pus enfin bien voir son visage en entier. Il avait la mâchoire asymétrique, comme si on lui avait donné un coup qui lui avait cassé l’os à cet endroit. Une cicatrice descendait de sa tempe jusqu’au bas de sa joue. Une bouffée de panique gagna Pañette mais elle la cacha aussitôt. Il ne devait pas avoir plus de vingt ans, il était bien curieux qu’il se soit fait des blessures aussi graves. Mais encore une fois, Champepañe se rappela que le monde des pauvres était différent. Comme le jour précédent, elle lui ordonna différentes positions dans laquelle il devait se placer et rester immobile pendant cinq minutes. Elle ne put résister à lui poser des questions ; sa curiosité, aussi mal placé qu’elle soit, avait besoin d’être satisfaite.

« Comment vous êtes-vous fait cette cicatrice ? Vous êtes-vous battu avec quelqu’un pour de l’argent ? »

Le jeune homme fut si surpris par sa question qu’il en perdit l’équilibre alors qu’il posait, un pied en l’air et les bras croisées au-dessus de sa tête. Il réussit à sa rattraper avant de s’écraser contre le sol. Il la regarda avec des yeux ronds qui lentement changèrent et tout son visage finit par dessiner une grimace de colère.

« Pardon ?

-Madame.

-Non, je pense pas que se sont vos affaires.

-N’allez-vous pas répondre à ma question ? Insista Champepañe, de plus en plus mal à l’aise, mais décidé à assouvir sa curiosité avec un grand sourire.

-Comme j’ai dit, c’est pas vos oignons.

-Donc j’ai raison ? »

Elle recula de quelques pas, de plus en plus inquiété par l’aura de colère qui se dégageait de Constantin. Elle était seule dans une ruelle avec un homme qui faisait deux fois sa taille. Il n’avait pas vécu dans les conventions sociales de la plupart des gens, il était sûrement accoutumé à la violence, on pouvait le deviner rien qu’en le regardant.

« Je dois répondre quoi ? Oui ? Ça vous ferait plaisir que je dise oui ? Ben du coup, oui.

-Était-ce quelqu’un que vous connaissiez qui vous a donné cette marque ? »

Il ne répondit pas et se remit juste en position, encore plus immobile qu’avant. Elle insista encore quelque fois mais finit par abandonner face au stoïcisme de Constantin. Elle reprit donc ses exercices de méditations, accompagnés d’explications trainantes sur le sujet. Elle suivit par des exercices de maintien, de posture, de danse, de bonne manière, d’étiquette etc. Elle le maquilla, accentua ses traits pour les rendre plus marquants, elle accentua même sa cicatrice avec de la pâte cuivre pailleté. Malgré ses efforts, elle n’avait pas réussi à sortir une nouvelle phrase de sa bouche. Il ne semblait plus vouloir lui adresser la parole. Si elle avait su qu’il était si sensible…

Enfin, le soir vint. Il était bientôt vingt-et-une heure, l’heure à laquelle le concours de miss commençait et Champepañe et son élève se dirigeait silencieusement vers le cabaret. Leur relation, si l’on peut appeler ça une relation, déjà tendue au départ était maintenant devenu explosive. Les questions de Champepañe n’avaient pas arrêté de pleuvoir et elles étaient devenu de plus en plus malicieuse au fur et à mesure du temps, elle se sentait insulté par le silence de son interlocuteur alors elle ne voyait aucun mal à l’insulter à son tour. Constantin, de son côté n’avait plus aucun scrupule à voler les habits de cette dame qui l’aidait. Elle voulait tellement qu’il ne soit qu’un pauvre voleur sans dignité, qu’il serait ravi de lui faire plaisir.

Dans le cabaret, Champepañe dit bonjour au serveur avec qui elle avait discuté puis au patron. Il leur indiqua la loge des contestants dans laquelle ils entrent. C’était une petite pièce délabrée sans aucun miroir ni siège où se trouvait déjà une dizaine de personnes paré de leurs plus beaux atours. Mais ce n’était que de la pacotille comparée à ce que Constantin portait. Ses habits éraient peut-être moins criard et extravagant mais ils étaient de bien meilleure qualité. Elle n’avait même pas encore fini de le parer car elle sortit une boite en fer de sa besace et l’ouvrit pour révéler des bijoux brillants d’or et de pierres précieuses, des vrais, Champepañe ne portait jamais des faux, mais cela personne ne pouvait le savoir. Qu’est-ce que des pauvres gens comme eux savait du luxe ?

« Ce sont des faux, évidemment, mais ils m’ont comme même coûté cher, Prenez-en bien soin s’il vous plaît. »

Elle luit tendit la boite et lui dit où et comment mettre chaque accessoire, hors de question qu’elle le touche. Elle en plaça dans ses cheveux, autour de son cou, sur son torse, autour de ses poignets et de sa taille et sur ses épaules. Sa tenue en fut totalement transformée. On pourrait presque croire qu’il se rendait à un bal de la noblesse. Il étincelait de milles feus et une aura de luxure l’entourait. Les autres contestants les regardaient maintenant avec de la crainte, ils étaient devenus une compétition dangereuse. Le sourire de Champepañe se chargea de malice.

« N’oubliez pas ce que je vous ai appris, ressentez chaque centimètre de votre corps, ne laissez aucun de vos mouvements au hasard. Est-ce compris jeune homme ?

-Oui madame.

-Bien, très bien. Vous avez intérêt à gagner Constantin. Je vais y aller maintenant, je serais dans le public. »

Elle n’attendit pas sa réponse et sortit de la loge, soulagé de pouvoir échapper à un endroit aussi sale, elle s’était sentie partir en voyant toute la poussière dans cette pièce. Mais une fois sortit, elle fut accueillie par une foule de gens venu voir le concours, ce qui n'était pas mieux car ils sentaient tous très mauvais. Elle repassa voir le patron qui séchait des verres au bar avec un torchon. Quand il la vit, il posa le verre dont il s’occupait et plaqua son torchon sur son épaule. C’était un petit gaillard bien bâtit. Un seul regard de sa part suffisait à vous faire comprendre que c’était lui qui dirigeait cet endroit mais après avoir un peu discuté avec lui, Champepañe avait observé qu’il n’était pas très intelligent, ce qui pouvait le rendre d’autant plus dangereux sous certains aspects. Elle le salua avec son sourire

« L’alcool de banane me manque aussi beaucoup vous savez. »

Elle s’assit élégamment sur un grand tabouret contre le comptoir et posa ses mains dessus.

« Ma mère avait l’habitude d’en faire dans notre cave familiale. J’ai été élevé avec.

-On n’en importe que très rarement à Yggdrasil, c’est bien dommage.

-Vous savez, je vends des bananes.

-VOTRE ATTENTION MESDAMES ET MESSIEURS ! »

Champepañe se retourna en sursautant, surprise par le bruit soudain. Sur la scène du cabaret, au travers de la foule, une vieille femme se tenait. Elle regarda le public silencieusement en attendant que tout le monde la regarde. Une fois que le bruit ambiant se fut un peu calmé, elle reprit de sa voix forte et captivante :

« Ce soir a lieu la cinquième édition du concours de miss du cabaret des trois pièces ! Nous allons voir des performances dignes d’un ballet de danse. Des beautés vous feront goûter leur grâce et leur raffinement et vous, chère public, serez ceux qui voteront pour le meilleur d’entre eux. Etes-vous prêts à entrevoir les portes du paradis ? »

Un grand cri général s’éleva de la foule et emplit la salle d’un excitement féroce. Les contestants défilèrent un à un sur la scène, faisant la parade de leur déhanché, de leurs habits, de leur visage, de leur maquillage, de leur raffinement ou de leur élégance. Certains ne faisaient que marcher sur la scène puis repartir tandis que d’autre montrait un talent ou interagissait avec le public. Aux yeux de Pañette, aucun n’avait de chance face à son élève. Cette certitude ne venait pas de sa confiance aux talents de son élève, qu'elle trouvait médiocres, mais plus en sa propre capacité à enseigner les choses. De plus, la tenue du jeune homme était bien plus élégante que toutes celles qu'elle avait vu.

Le public devint de plus en plus saoul et leur excitation grandit exponentiellement. Ça se bousculait de partout, certains sifflaient, d’autres criaient ou chantaient, certain même aboyait. Enfin, Constantin arriva. Sa parure brillait malgré l’obscurité ambiante, reflétant chaque maigre rayons de lumière produit par les chandelles. Il se déplaçait lentement mais assurément, ses pas était millimétré et parfaitement équilibré. Il avait la tête haute et les épaules droites, un vrai maintien de prince, dommage que le reste ne suivait pas. Il avait toujours la tête dandinante et les bras trop rigide. Mais son regard fut ce qui la surpris le plus. Elle aurait cru se voir dans un miroir. Ce n’était surement dû qu’au maquillage mais cette impression la perturba un moment. Comme elle lui avait appris, il n’hésita pas à regarder le public dans les yeux et s’attarder sur certains d’entre eux. Il arriva au bout de la scène sous les cris d’encouragement et les sifflements de la foule. Le moment était parfait, mais à ce moment-là, il croisa le regard de Champepañe et il attrapa le bout de sa manche et la tira pour masquer sa main puis se balança sur ses pieds de gauche à droite.

Toujours en souriant, elle secoua la tête en le regardant droit dans les yeux puis se retourna vers le bar, déçu de la prestation du jeune homme. Elle qui pensait avoir fait un bon travail.

« Quoi ? »

Elle se retourna une nouvelle fois vers la scène pour découvrir que c’était Constantin qui l’avait interpellé. Intrigué, elle leva un sourcil. Il répéta le mot, plus fort cette fois et attira l’attention d’une bonne partie de la foule, le bruit ambiant avait commencé à s’effacer et quelques regards se tournaient vers elle.

« Vous avez un problème avec la façon dont je me comporte ?  Vous me dites que je suis pauvre, violent, que… je tue pour de l’argent. »

Elle regarda autour d’elle pour voir si qui que se soit allait prendre sa défense mais la plupart des gens la regardait sans rien faire. Beaucoup, même, semblait encourager Constantin. Un sourire méprisant commença à apparaitre sur le visage du jeune homme tandis que sur son visage, le sien s’effaçait peu à peu.

« Vous voulez me civiliser, vous voulez que je devienne comme vous ? Qu’est-ce qui vous fait penser que je veux devenir comme vous ? Vous êtes fière, ignorante et méchante, mais vous semblez penser que vous êtes meilleur que tout le monde dans cette pièce. »

Il sauta de la scène sur une table tout près dont les locataires acclamèrent Constantin.

« Vous me regardez de haut, vous me méprisez, vous me traitez comme une bête de foire. Vous pensez que je vous dois des réponses et vous vous énervez quand je ne me comporte pas en parfait petit sujet d’étude. Pourquoi ?  Vous n’êtes même pas noble. Et vous oubliez que vous êtes dans ma ville et je pense pas que ce sont ceux à qui appartient vraiment cette ville qui vous ont autorisé à rester ici. »

Le public encourageait le jeune Éossiens avec des cris, des sifflements et des bras en l’air. Même
si la plupart était juste saoul et s’était laissé entrainé par l’excitement général, une partie du public semblait vraiment soutenir le discours proclamé sur scène. Un cercle s’était créé autour de Champepañe et de celui-ci sortait des cris et des insultes envers elle. Elle ne bougea pas et ne laissa pas voir sa peur. Un seul moment de faiblesses et ces chiens n’hésiteraient pas à se jeter sur elle. Constantin la regardait toujours et sauta sur une autre table, se rapprochant d’elle.

« J’en ai eu assez des gens comme vous… »

Il sauta une nouvelle fois et cette fois-ci, il atterrît sur la table la plus proche d’elle.

« …Qui croient qu’ils peuvent venir jusqu’ici pour me donner des leçons sur ma situation alors que c’est de leur faute si j’en suis ici. »

Il descendit de la table et se plaça juste en face de Champepañe pour la regarde droit dans les yeux. Il la dominait par sa taille et par sa colère. Elle était terrifiée. Un groupe de gens abruti par l’alcool l’entourait, prêt à l’attaquer au moindre vouloir d’un Éossiens en colère. Sa frayeur était presque comparable à celle qu’elle avait vécu la nuit de la mort de son mari. Elle garda tout de même la tête haute. Il était hors de question de se faire prendre de haut par quelqu’un comme lui. Elle le défia du regard. Il se baissa pour se retrouver à sa hauteur et passa sur elle un regard presque aussi méprisant que certains nobles avaient l’habitude de lui donner pendant ses dernières années à Caldis, et tous cela sous les acclamations du public. Puis, il lui tourna le dos et remonta sur scène en passant par le couloir que lui accorda la foule. Il fit une grande révérence en souriant puis quitta la scène sans rien dire.

Une fois parti, la foule l’applaudit comme elle n’avait applaudi personne. Les contestants suivants défilèrent, mais aucun ne donna une performance aussi acclamée que celle de Constantin. Tout l’attention porté sur elle disparut aussi.

A la fin du concours, les contestants s’alignèrent sur la scène et pour chacun, la vieille dame demandait au public d’applaudir. Celui qui recevrait le plus d’applaudissement serait le gagnant. Sans aucun doute, ce fut Constantin qui reçut le plus d’applaudissement. Quand se fit son tour, la salle fut secouée tellement le public tapait des mains et des pieds. Constantin le premier en fut surpris. L’attention sembla presque lui faire peur. Il resta seul sur scène pendant que la vieille dame lui remettait son prix de 60 sicams. Il refusa de donner un discours, au grand dam du public qui le huèrent et, dès qu’il put, il quitta la scène. Champepañe en profita pour se diriger vers lui. Il fallait qu’elle récupère son argent et sorte d’ici au plus vite. L’endroit commençait à trop fortement puer la transpiration et la bière. Quand elle arriva à sa hauteur, il était déjà entouré d’un groupe d’individu qui semblait insister pour parler avec lui. Elle profita de sa petite taille pour se faufiler entre eux et attirer l’attention de Constantin.

« Excusez-moi jeune homme, vous me devez 30 sicams. »

Il la regarda sans rien dire pendant quelques secondes, semblant contempler ses choix, puis il ouvrit la bourse de 60 sicams qu’il avait reçu sur scène et lui donna l’argent promis. Elle recompta l’argent et le rangea dans sa besace qu’elle garda près de son corps, de peur de se faire voler. Elle se rappela en le regardant une dernière fois qu’il devait lui rendre ses affaires.

« Il va falloir que je récupère mes vêtements et mes bijoux, jeune homme. Immédiatem-Hé ! »

Constantin déguerpit à une vitesse impressionnante. Il bouscula tout ce qui se trouvait sur son passage pour atteindre la sortie le plus vite possible.

« Arrêtez-le, c’est un voleur ! Cria-t-elle aux clients du cabaret mais aucun d’eux réagit alors que Constantin sortait de l’établissement. »

Avec difficulté à cause de tous les obstacles humains, elle courut jusqu’à la sortie mais en regardant dehors, elle ne put voir le jeune Éossiens nulle part. Il avait disparu avec ses vêtements et ses bijoux les plus précieux. Il ne lui restait plus que 30 sicams. C’était le pire profit qu’elle n’eut jamais fait de sa vie.

« Ça ne peut pas être vrai, je suis en plein rêve. »

Sa poitrine lui faisait mal, elle avait envie de se jeter d’un pont. Comment la situation avait-elle pu se dégrader à ce point. Elle était persuadée de n’avoir rien fait de mal. C’était une punition du destin pour avoir fait confiance à un pauvre, il ne fallait jamais faire confiance à quelqu’un prêt à tout pour avoir au moins de quoi manger le soir-même. La situation des gens les plus démunis les amenait toujours à la violence et au vol, elle ne devait jamais l’oublier maintenant qu’elle se trouvait seule dans une ville inconnue sans aucun pouvoir ni argent.
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