Event n°4
Chant Funeste
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A l'aube lorsque fleurira le printemps,
Et lorsque le Gardien lèvera la tête,
Alors Yggdrasil brillera et ses racines s'illumineront.
De tous les maux tu recevras guérison.
N'oublie jamais cette dette,
Honore-le d'hommages chantants.
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Miracle est arrivé, l'été avec lui. Les Pourritures ont disparu, les nuits sont redevenues calmes, la cité a repris sa tranquillité paisible. Après des mois de siège épuisants, les rues semblent retrouver leur énergie. On recommence à sortir le soir, on reprend peu à peu l'habitude de s'éloigner des Grand Murs sans avoir la craindre de ne pouvoir revenir. Et bien au de-là de la sécurité, ce qui rassure tant les habitants d'Yggdrasil, c'est le retour progressif des vivres. Les marchands osent enfin reprendre les routes et avec eux, les cargaisons reviennent, plus nombreuses que jamais. La nourriture passe de mains en mains, les foyers retrouvent enfin des mets plus copieux. Si l'ambiance fut un temps à la révolte frémissante, le soulagement fut tel que le mot n'est même plus un sujet. La cité est apaisée. Elle respire à nouveau.
Miracle est arrivé mais pas sans mal ; et surtout, sans cause. Miracle a été offert par Yggdrasil : et ça, les éossiens l'ont bien compris. Ils pansent non sans mal leurs plaies, peut-être plus difficilement encore que les autres. Plus minces et maigre que leurs comparses altissiens et caldissiens, ils sont ceux qui ont eu le plus des leurs à enterrer. Les Sentinelles survivantes narrent de temps à autre des histoires qu'on évoque à demi-mots, avec une hésitation humble et incertaine. Le choc est certain. Des terres qui n'ont jamais connu la guerre l'ont découvert et ne l'oublieront pas de sitôt.
Alors le miracle est d'autant plus grandiose. Yggdrasil les a sauvé et ils ne l'oublieront pas. Ce soir, comme tant d'autres soirs depuis la levée du siège, les éossiens se rassemblent autour des racines d'Yggdrasil à la nuit tombée. Les repas communautaires n'étaient pas si rares avant leur sommeil millénaire mais ils s'étaient fait moins nombreux après l'arrivée des élysians. Ces derniers, bien peu à l'aise en voyant tant de ces derniers réunis, se montrent toutefois discrets. Quelques soldats veillent ici et là, mais ils restent à distance. Les habitants originels d'Yggdrasil, en tous cas, ne les regarde même pas ; l'ambiance est à la fête et aux prières. Ces veillées sont devenues leur assemblée.
La nuit est joyeuse. L'été arrive et la lueur des lucioles vient décorer le ciel nocturne comme autant de petites étoiles fluorescentes. Comme chaque nuit depuis la chute du dragon, le feuillage d'Yggdrasil s'illumine d'une douce lueur d'émeraude. Sur la place des vignes, on a installé des torches et des bougies, dispersé des banquets sans faste mais qui ne demandent aucune invitation. Quelques uns dansent et se laissent aller au rythme tranquille des santhours et des luths. Aux coins des racines, des petites estrades, bien rudimentaires, ont été dressées pour que des artistes masqués s'adonnent à une spécialité éossienne : les spectacles d'ombres et de lumières. Derrière la toile, on imite des formes, des personnes, des concepts, des idées. Leurs gestes suivent le rythme du chant de chorales situées au devant de la scène.
Une bizarrerie, toutefois, dénote aujourd'hui. Sur les estrades, divers objets ont été déposés.
Ils n'ont pas forcément de lien entre eux. Les bougies accompagnent les petits couteaux, les bijoux de fortune se retrouvent à côté des pots de confiture vides ou remplis ; tout cela semble plus être un amoncellement de babioles et de bibelots dispersés ici et là, sans grand sens général.
Aujourd'hui, pourtant, est une fête particulière. C'est une veillée un peu différente des autres.
C'est un enterrement.
Ici et là, les éossiens déposent des souvenirs, des objets du quotidien. Les estrades où on danse et on chante sont devenus autant de petits autels, disséminés ici et là, tantôt par hasard que par accointance passées. On aurait bien du mal à deviner celles dédiées aux sentinelles, à ceux s'étant trouvés au mauvais endroit au moment, ou à celles des malheureux fauchés par la misère.
Chez les éossiens, pourtant, on veut croire au Miracle. On veut croire à la protection d'Yggdrasil, on veut se réjouir de cette lumière qui les a protégé. Alors on le remercie, on célèbre la réincarnation des disparus, on trinque à un futur qui paraît plus prospère, soudainement.
A demi-mots, certains se demandent si Yggdrasil ne cherche pas à chasser les envahisseurs.
Plus au nord de la place, là où le tronc de l'Arbre sacré semble s'enfoncer dans la terre, on dépose cadeaux, remerciements et bougies. On prie d'une même voix, mais surtout, on chante. On chante des chants qui ont traversé les âges et ont changé avec eux mais qui n'ont, au final, jamais vraiment perdu leur sens. Le chant du Gardien avait perdu sa popularité au début du siège ; il semble, toutefois, qu'elle soit maintenant toute retrouvée. Qu'il ait pris un tout autre sens.
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Miracle est arrivé et arrivera,
En son coeur Yggdrasil les fidèles comblera,
Une seule âme l'éos formera.
Peine ne saurait durer, l'émoi tu oublieras.
Au cycle tu retourneras,
Miracle est arrivé et arrivera.
Sous les étoiles, vérité apparaîtra.
{…}
Les pertes furent grandes et les réparations bien maigres ; qu'importe, pourtant. Miracle est arrivé. Miracle arrivera encore. Ce soir, l'humeur est à la fête.